
Habemus papam! («Nous avons un pape!»). Les chrétiens du monde entier se réjouissent de l’élection du pape Léon XIV, 266e successeur de saint Pierre. En tant que catholique, j’attends moi-même beaucoup du nouveau pape, et notamment qu’il soutienne résolument le libre marché.
Le nom choisi par le nouveau pape est porteur d’espoir. Léon XIII fut en effet l’auteur de l’encyclique Rerum novarum («Du changement révolutionnaire») de 1891, un texte fondateur des enseignements de l’Église sur l’économie, rédigé en réponse à la montée du socialisme, elle-même réaction à la révolution industrielle. Léon XIII y rejette sans équivoque les idées socialistes, et approuve prudemment l’économie de marché, en défendant notamment avec force l’importance de la propriété privée.
À l’occasion du centième anniversaire de Rerum novarum, le pape Jean-Paul II avait publié la grande encyclique Centesimus annus («La centième année»), réaffirmant l’importance de la propriété privée, sans toutefois s’arrêter là. «À notre époque», écrivait Jean-Paul, «la possession du savoir-faire, de la technologie et des compétences» est tout aussi essentielle que la possession de terres. Louant «l’initiative et l’esprit d’entreprise», Jean-Paul constatait qu’au sein d’une économie de marché, les individus pouvaient «découvrir le potentiel productif de la Terre, ainsi que les nombreuses manières de satisfaire les besoins humains». Il reconnaissait explicitement le rôle légitime des profits, qui indiquaient selon lui que les «facteurs productifs» étaient «correctement employés», et les «besoins humains correspondants dûment satisfaits».
Le regretté pape François plaçait en revanche l’accent sur les aspects négatifs des marchés. Dans Evangelii gaudium («La joie de l’Évangile»), par exemple, il s’interrogeait: «Comment est-il possible que les journaux n’évoquent pas le sort d’un sans-abri mort de froid, mais qu’ils traitent d’une baisse de deux points sur le marché boursier ?». Il critiquait également ceux qui «continuent de défendre les théories du ruissellement selon lesquelles la croissance économique, favorisée par le libre marché, conduirait inévitablement à davantage de justice et d’inclusion à travers le monde». Selon François, les partisans de cette conception étaient naïfs, et participaient à une «économie de l’exclusion», contraire au commandement qui interdit le meurtre.
La richesse et la profondeur des enseignements de ces papes ne peuvent évidemment pas être résumées en quelques paragraphes. Léon XIII et Jean-Paul II ont eux aussi critiqué certains aspects du marché, et cherché à en limiter les excès, notamment au moyen de ce que l’on pourrait qualifier d’intervention forte de l’État. De son côté, François a parfois salué certaines qualités avantageuses du marché.
Quoi qu’il en soit, j’espère que le nouveau pape Léon XIV s’inscrira dans la continuité des papes prédécesseurs de François. Il ferait ainsi preuve de fidélité aux enseignements économiques de l’Église depuis l’aube de l’économie moderne. Ce choix témoignerait par ailleurs d’une compréhension des résultats empiriques et des vertus morales de l’économie de marché.
Depuis Léon XIII, y compris sous François, les papes insistent sur le mandat catholique de la priorité aux besoins ainsi qu’au bien-être des personnes pauvres, marginalisées et impuissantes. Dans ses propres déclarations introductives au monde, Léon XIV a exprimé le souhait que l’Église s’efforce toujours d’être «particulièrement proche de ceux qui souffrent». Or, le système de la libre entreprise constitue l’outil le plus efficace de l’histoire dans la lutte contre la pauvreté. En 1970, plus d’un quart de la population mondiale vivait avec moins d’un dollar par jour. En 2006, environ une personne sur vingt endurait l’extrême pauvreté. Cette évolution remarquable s’explique par l’adoption du libre marché dans les pays en voie de développement.
En favorisant les aspirations, la créativité et le travail utile, les marchés libres sont synonymes de vies épanouies. À l’occasion des 90 ans de Rerum novarum, Jean-Paul II débutait Laborem exercens («Par le travail») en affirmant que nous étions «appelés à travailler», ce qui constituait «une dimension fondamentale de l’existence des êtres humains» avant même leur chute et leur expulsion du paradis. Si nous sommes «à l’image de Dieu», c’est notamment en raison de notre destin biblique consistant à «soumettre et dominer la Terre». Dans l’accomplissement de cette mission, expliquait Jean-Paul, chaque être humain reflétait «l’action même du Créateur de l’univers».
Le libre marché respecte profondément les préférences, les connaissances ainsi que les choix des individus et des familles. Le capitalisme encourage de multiples vertus, parmi lesquelles la prudence, le sens de l’économie, l’honnêteté, la fiabilité, l’esprit d’innovation et l’ambition. L’échange marchand nécessite de la coopération, ce qui rend la société dans son ensemble plus coopérative. Il crée du respect ainsi que de l’égalité entre les acteurs, et par conséquent entre les citoyens. Les marchés constituent un moteur de croissance économique, laquelle favorise la tolérance, le pluralisme, la démocratie et les politiques économiques de solidarité. Le dynamisme crée l’aspiration.
Depuis Léon XIII et les premiers enseignements sociaux catholiques, l’Église soutient le libre marché. Elle plaide pour en limiter les excès, mais dans un contexte qui élève et valorise bien souvent l’activité de marché. Jean-Paul II affirmait ainsi que l’économie de marché moderne était synonyme de liberté humaine, tout en soulignant les obligations et responsabilités liées à cette liberté économique. Les entreprises ne constituent pas de simples machines à générer des profits, pensait-il, mais doivent être considérées comme «une communauté de personnes qui, de différentes manières, s’efforcent de satisfaire leurs besoins fondamentaux, et qui forment un groupe particulier au service de l’ensemble de la société».
Léon XIV s’assoit sur la chaire de saint Pierre à l’heure où les fondements moraux du libre marché sont attaqués. L’histoire prendrait une tournure puissante et fascinante si le premier pape américain contrebalançait le manque de foi du président des États-Unis dans le libre marché. De même, après le pontificat de François, un grand service serait rendu aux fidèles si le nouveau Saint-Père redécouvrait la grande valeur morale historiquement perçue par l’Église dans le libre-échange.
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