L’incertitude qui règne sur les marchés permet peut-être de réfléchir à des approches d’investissement alternatives. Manuela von Ditfurth, basée à Francfort et l’une des quatre gestionnaires de fonds les plus renommées d’Allemagne, selon Handelsblatt, fait partie de l’équipe de gestion quantitative d’Invesco et gère en particulier le Invesco Sustainable Allocation Fund ainsi que d’autres stratégies quantitatives gérées de façon dynamique.
Invesco gère 1751 milliards de dollars d’actifs et dispose de stratégies quantitatives depuis 40 ans, pour un total de 29 milliards de dollars d’actifs.
Pour quelle raison votre approche d’investissement quantitative se fonde-t-elle sur les facteurs de risque?
Nous sommes convaincus par la valeur ajoutée qu’apportent trois facteurs, à savoir «value», «momentum» et «Qualité». Ces facteurs permettent d’identifier si des actions sont attractives ou non en termes de performance et de risque. Ils déterminent la sélection des titres. Cette approche contraste avec celle du gérant fondamental qui prend ses décisions d’investissement selon son instinct d’investisseur, l’environnement macroéconomique ainsi que des «stories» des différentes entreprises.
L’investissement selon les facteurs était populaire il y a quelques années, mais ne l’est plus guère. Est-ce que la performance était décevante?
Non. L’investissement selon les facteurs n’a pas bien fonctionné durant la période du «junk rally», lorsque la quête de titres de qualité n’était plus une garantie de succès et que la valorisation des titres était difficile. Les investisseurs n’hésitaient pas à acheter des actions malgré leur valorisation exorbitante et un bilan fragile. Ce type de phases peut survenir de temps en temps mais elles ne durent pas longtemps.
L’investissement selon les facteurs rencontre de très bon résultats à long terme. Nos fonds publics pour les privés et les institutionnels en témoignent clairement. A long terme, l’investissement selon les facteurs a souvent une longueur d’avance.
«A long terme, l’investissement selon les facteurs a souvent une longueur d’avance.»
Quelle est la performance de votre gestion quantitative?
Notre fonds Invesco Sustainable Allocation Fund présente un rendement de 10,13% depuis le début de l’année et 17% sur un an. Ce fonds équilibré se caractérise par une allocation tactique dynamique et comprend une allocation en actions, obligations et cash, sur la base de nos modèles de facteurs quantitatifs.
De ces trois facteurs, celui de «value» peut sous-performer durant des années. Ne serait-il pas approprié de développer d’autres facteurs?
Non. Nous avons développé ces trois facteurs à l’interne et nous nous concentrons sur les actions qui nous paraissent ainsi les plus avantageuses et qui disposent d’un bon potentiel de hausse. «Value» est un facteur qui peut présenter des phases de faiblesse, mais ces derniers mois il s’est nettement repris. Nous le maintenons dans notre approche.
Nous employons un modèle multi-factoriel qui n’intègre pas seulement la valorisation mais aussi la qualité et le momentum. Il est indispensable de ne pas se limiter à un seul facteur et de combiner les trois facteurs parce que leur contribution à la performance varie avec le temps et le cycle. Cette modeste corrélation des trois facteurs est un atout lors que l’un des trois fonctionne moins bien.
Quelle est l’actuelle pondération des trois facteurs?
Les facteurs sont équipondérés en fonction du risque (c’est-à-dire de la volatilité attendue). Actuellement, la valorisation est sous-pondérée par rapport aux deux autres facteurs. Nous estimons donc le risque de chaque facteur avant de l’intégrer sur une base équipondérée dans le modèle. Nous n’allouons donc pas un tiers pour chaque facteur.
Est-ce que cette allocation a été modifiée depuis le début de l’année?
Les facteurs ajustés du risque changent peu avec le temps, à l’inverse des indicateurs sous-jacents aux facteurs. Par exemple pour le facteur de qualité nous regardons la qualité du bilan, pour la valorisation le rendement du cash-flow, le rendement du dividende, le multiple des bénéfices. Le poids de ces indicateurs peut être modifié. Le modèle est revu sans cesse en fonction des marchés. Mais nous ne changeons pas de modèle si des turbulences à court terme devaient se produire sur les marchés. De nouvelles tendances doivent être confirmées avant de décider de les intégrer dans le modèle.
Comment avez-vous réagi à la correction du début août?
Nous n’avons pas changé notre modèle parce que cette correction n’a pas modifié nos facteurs. Cette approche s’est avérée correcte à long terme. Nous ne modifions pas le modèle au gré des fluctuations du marché.
Quelle est l’allocation géographique et sectorielle?
Notre fonds quantitatif équillibré est, pour la partie actions, basé sur l’indice MSC Monde et autorise une gestion active (écart de 3%). Nous disposons de zones de fluctuations par rapport à l’indice selon notre analyse des pays, des secteurs et des positions individuelles.
«Nous employons un modèle multi-factoriel qui n’intègre pas seulement la valorisation mais aussi la qualité et le momentum».
Il n’est pas prévu que nous puissions investir uniquement dans la Big Tech ou aux Etats-Unis. Il serait beaucoup dangereux de courir un tel risque de concentration. Notre analyse des facteurs permet d’identifier des actions attractives mais nous tenons à une large diversification de portefeuille. Nous ne nous concentrerons jamais sur les «7 magnifiques» pour des raisons de risque.
Si vous dites que vous ne vous concentrerez pas sur les 7 magnifiques, n’est-ce pas une décision qualitative plutôt que quantitative?
Notre décision se fonde sur notre approche quantitative. Nous avons identifié plusieurs autres sociétés technologiques qui disposent de facteurs aussi attrayants que la Big Tech et qui permettent de répartir les risques. Nous ne nous laissons pas séduire par la «story» d’une société mais par des facteurs quantitatifs. Nous n’évitons d’ailleurs pas la Big Tech et avons même une position dans Nvidia, mais pas au point d’avoir une pondération identique à l’indice MSCI Monde.
L’intelligence artificielle modifiera fortement l’économie. Est-ce qu’une approche quantitative peut intégrer cette nouvelle technologie?
Nous pouvons très bien prendre en compte une nouvelle technologie, l’IA ou une autre, par exemple en matière environnementale. Il n’y a pas que Nvidia ou Amazon à utiliser l’IA à son avantage, comme le montrent de nombreuses autres entreprises, petites ou moyennes, appartenant à plusieurs branches d’activité.
Quel est votre emploi des critères ESG?
Notre approche des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance est très large. Nous intégrons aussi les facteurs ESG par titre, au niveau du portefeuille ainsi que dans la gestion des risques. Notre équipe d’investissement a développé nos propres critères ESG afin de gérer le contrôle de l’exposition pour présenter un meilleur profil ESG que l’indice MSCI Monde.
Par ailleurs, nous excluons les actions qui ont subi une nette réduction de leur rating ESG, parce que l’analyse a révélé que l’évolution d’un titre était fortement négative à la suite d’un tel ajustement.
Nous avons aussi mis en oeuvre un contrôle d’émissions de CO2 pour améliorer notre empreinte carbone par rapport à celle de l’indice sous-jacent. Nous pouvons aussi employer des critères ESG selon les besoins de l’investisseur, par exemple le respect des droits humains ou la politique environnementale.
Les discussions se poursuivent sur la durabilité de l’énergie nucléaire ou de groupes de défense. Est-ce qu’elles modifient vos critères?
Nous appartenons aux pionniers de l’investissement durable en Europe. Pour nous, l’énergie nucléaire et l’armement ne font pas partie de l’investissement ESG.
Comment combinez-vous les actions et les obligations?
Nous avons développé des modèles de gestion multi-actifs depuis 25 ans. Ils permettent de savoir si les perspectives des actions ou des obligations sont supérieures à celles du cash dans une optique à 3 ou 6 mois. Ces modèles sont intégrés de façon dynamique.
Notre Global Sustainable Allocation Fund peut investir au maximum 70% en actions. Actuellement, nous sommes modérément positifs à l’égard des actions, avec une part de 60% au portefeuille. Si le signal devenait très négatif, l’allocation pourrait tomber au pire à 0%. Nous assurons le portefeuille à l’aide de dérivés (Futures).
Est-ce que d’autres classes d’actifs sont utilisées, en dehors des actions, des obligations et du cash?
La corrélation entre les actions et les obligations peut être très élevée, mais de telles phases ne durent pas longtemps. Nous utilisons une couverture en overlay pour réduire le risque. Si la volatilité d’une classe d’actifs augmentait rapidement, nous utiliserions des Futures pour couvrir l’exposition. Mais nous n’ajoutons pas d’autres classes d’actifs sous peine d’augmenter excessivement les données nécessaires au fonctionnement du modèle. Un fonds équilibré doté de trois classes d’actifs est une bonne solution.
Comment investissez-vous en obligations?
Nous investissons dans les obligations souveraines à long terme. Ce sont des titres de grande qualité et nous intégrons une gestion de la duration du portefeuille, en fonction de l’environnement macroéconomique, de la courbe de taux d’intérêt et d’autres indicateurs. Nous avons une duration de 4 ans actuellement.
Est-ce que vous prenez en compte le risque géopolitique dans votre approche quantitative?
Le risque géopolitique ne peut pas être mesuré. Il ne fait pas partie de notre modèle à l’inverse d’indicateurs macroéconomiques ou de primes entre les classes d’actifs.
Si la France ne peut pas présenter de budget pour 2025, n’est-ce pas un risque politique à intégrer?
Nous pourrions l’évaluer mais pas le risque politique lié à l’élection de Donald Trump ou de Kamala Harris.
Quelle est votre approche à l’égard des monnaies?
Nous utilisons aussi un modèle pour les monnaies et cherchons à tirer profit des écarts de taux. Actuellement, 50% de l’exposition en dollars est couverte, et 70% pour la livre sterling, alors nous gardons l’exposition ouverte pour le dollar néo-zélandais, le dollar canadien, la couronne norvégienne.
Que pensez-vous du franc suisse?
Nous considérons le franc comme attractif ou neutre.
Quel est le rendement attendu de votre fonds d’allocation quantitatif géré dynamiquement?
Le rendement attendu dépend de la stratégie suivie. Pour le fonds quantitatif équilibré avec allocation tactique, nous suivons une stratégie «absolute return» et visons au moins 3% par an au-dessus du marché monétaire. Ce que nous avons d’ailleurs satisfait durant ces dernières années. Pour Morningstar, notre fonds appartient au meilleur décile en termes de performance et de volatilité. Notre stratégie purement axée sur les actions vise à battre l’indice MSCI Monde.