Nouveau droit successoral: attention au délai

Cyril Schaer, Groupe Fiduciaire Michel Favre

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Des mesures doivent être prises dès maintenant s’agissant des entreprises déjà transmises.

Le Conseil fédéral entend faciliter la transmission familiale d’entreprises dans le droit successoral. Si ce projet est accepté, il aura des conséquences importantes sur les transmissions d’entreprises réalisées dans le passé.

Le second volet de la révision du droit successoral – encore en consultation aux chambres fédérales – entrera en vigueur probablement en 2024. Il entend favoriser la transmission d’entreprises familiales. Pour atteindre cet objectif, le Conseil fédéral propose quatre mesures-phares. Premièrement, il accorde aux héritiers un droit à l’attribution intégrale d’une entreprise, ou un droit aux participations leur octroyant le contrôle d’une entreprise, dans le cadre du partage de la succession, si le de cujus n’a pas pris de disposition à ce sujet. Cela devrait notamment contribuer à éviter le morcellement ou la fermeture d’entreprises. Deuxièmement, il institue en faveur de l’héritier repreneur la possibilité d’obtenir des délais de paiement à l’égard des autres héritiers, dans le but de lui faciliter le financement nécessaire pour le maintien en activité de l’entreprise. Troisièmement, il introduit une protection des héritiers réservataires en excluant que la réserve puisse leur être attribuées contre leur gré, sous forme de part minoritaire dans une entreprise dont un autre héritier aurait le contrôle. Cela permet d’éviter un capital «piégé». Quatrièmement, il établit des règles spécifiques en matière de valeur d’imputation des entreprises dans le cadre du partage de la succession, qui permettent à certaines conditions de considérer la valeur de l’entreprise transmise du vivant du de cujus, au moment où elle est cédée. Il sera ainsi tenu compte du risque entrepreneurial assumé par le repreneur, en distinguant, dans l’estimation de la valeur de l’entreprise, les éléments patrimoniaux nécessaires à l’exploitation de l’entreprise des éléments patrimoniaux qui ne le sont pas. C’est une exception importante au principe selon lequel le rapport d’une libéralité – faite du vivant du de cujus – a lieu à la valeur du bien au jour de l’ouverture de la succession.

L’héritier repreneur devra partager le gain de son activité entrepreneuriale – la plus-value industrielle – avec tous les héritiers, au moment de l’ouverture de la succession.

Ce dernier aspect mérite qu’on l’examine dans le détail, en particulier l’art. 630a P-CC. Cette disposition prévoit qu’une entreprise sera imputée à sa valeur au moment où l’héritier repreneur l’a reçue ou en a pris le contrôle (valeur vénale au moment du transfert), pour autant qu’il puisse prouver que l’entreprise a pris de la valeur depuis lors, que cette plus-value qualifie de plus-value industrielle et qu’elle est liée à son activité entrepreneuriale. Cette règle d’imputation ne s’appliquera toutefois qu’aux éléments patrimoniaux nécessaires à l’exploitation de l’entreprise. Les éléments non nécessaires – terrain à bâtir inutilisé, tableau de valeur ou appartement acquis par une entreprise lors de la construction de l’immeuble – seront imputés à leur valeur au moment du partage, selon le principe évoqué ci-dessus. De même en sera-t-il de la plus-value dite conjoncturelle due à l’évolution économique générale.

Cependant, pour pouvoir profiter de cette nouvelle règle, l’art. 630a al. 2 P-CC et l’art. 16a du Titre final P-CC prévoient qu’une évaluation de la valeur de l’entreprise au moment où elle a été cédée devra être réalisée et remise, justificatifs y relatifs compris, à l’autorité compétente désignée par le droit cantonal – probablement la Justice de Paix dans le canton de Vaud – dans le délai d’un an à partir de l’entrée en vigueur de la loi. Passé ce délai, l’art. 630a al. 3 P-CC prévoit que l’enregistrement de cette valeur auprès de cette autorité ne sera plus possible si elle ne peut pas être établie, et que le rapport aura lieu à la valeur de l’entreprise au jour de l’ouverture de la succession. En d’autres termes, l’héritier repreneur devra partager le gain de son activité entrepreneuriale – la plus-value industrielle – avec tous les héritiers, au moment de l’ouverture de la succession.

Les acteurs de la transmission d’entreprise, tout particulièrement les sociétés fiduciaires, sont ainsi fortement invitées à procéder, aujourd’hui déjà, aux évaluations des entreprises qui ont été transmises dans le passé, du vivant de leur propriétaire, afin de pouvoir les remettre à l’autorité compétente dans le délai d’un an qui suivra l’entrée en vigueur du nouveau droit, cas échéant. A tout le moins, ils doivent être capables de fournir toutes les informations et les documents nécessaires à leurs clients pour leur permettre de réaliser cette valorisation dans ce délai. Dans tous les cas, ils doivent dès maintenant attirer l’attention sur celui-ci, sur l’importance et les conséquences de cette démarche ainsi que sur les mesures à prendre pour pouvoir bénéficier de ce nouveau régime juridique, qui va probablement entrer en vigueur. Ne pas le faire peut potentiellement les exposer à des poursuites pour faute professionnelle, selon nous.