Chronique des taux de la banque Sturdza du 13 février

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Le bear market obligataire tant attendu arrive enfin… Vraiment?

Draghi surprend les marchés…

Le 25 janvier, Mario Draghi a, une fois n’est pas coutume, entretenu le flou sur les intentions de son comité de politique monétaire. Un commentaire ambigu sur la force de l’euro contre dollar a propulsé ce dernier jusqu’à 1,2537, entraînant dans son sillage un mini sell-off du Bund de 0,57% à 0,64%. Mais si l’EUR/USD s’est stabilisé par la suite, le Bund a poursuivi sa marche en avant pour atteindre 0,70% et ensuite glisser jusqu’à 0,80% le 8 février dans le sillage du sell-off des Treasuries US. Est-ce le véritable début du bear market obligataire européen?

Il est prématuré d’envisager un changement dans
la  politique d’assouplissement quantitatif en Europe.

Une partie de la réponse se joue à Francfort, l’autre outre-Atlantique. La communication de la BCE dans les prochaines semaines sera le fil rouge du comportement des marchés obligataires du vieux continent. Certes, le Bund est encore à un niveau très faible, le spread Bund-10y Treasury devra un jour se normaliser mais pour l’instant, l’inflation en zone euro tarde à montrer le bout de son nez et comme le mentionne très justement Peter Praet (membre du Board et Chef Economiste de la BCE), il est prématuré d’envisager un véritable changement dans la  politique d’assouplissement quantitatif. Nous allons donc observer les chiffres d’inflation à la loupe, l’évolution de l’EUR/USD et les divers commentaires des banquiers centraux de Francfort, avec un œil sur la normalisation des taux US.

Au revoir Janet!

Le 31 janvier restera dans l’histoire comme le dernier FOMC présidé par Janet Yellen. En guise de cadeau d’adieu, elle a pointé du doigt la hausse des salaires tant attendue, synonyme de révision à la hausse des anticipations d’inflation. Les chiffres de l’emploi vendredi 2 février ont confirmé les propos de Madame Yellen avec une hausse des salaires de 2,9% en rythme annuel. Il n’en fallait pas plus pour provoquer une tension sur les taux US. Nous estimions en janvier que si le niveau clé de 2,63%-2,64% sur le 10 ans était cassé, il ouvrirait la voie pour la poursuite de la correction jusqu’à 3%. Aujourd’hui, entre 2,85% et 2,90%, le 10 ans Treasury commence à être attrayant, d’autant plus que nul ne sait si les fameux 3% seront vraiment atteints. Du côté des taux courts, avec un Libor 3 mois à 1,7% et un 2 ans Treasury à 2.1% nous pouvons également élaborer des stratégies d’investissement intéressantes et il va falloir bientôt songer à acheter la partie courte de la courbe US si elle atteint des niveaux proches de 2,5%.

Une stratégie barbell composée de floaters Libor 3 mois
et de taux longs 10-30 ans semble adéquate.

Aujourd’hui, une stratégie barbell composée de floaters Libor 3 mois et de taux longs 10-30 ans semble adéquate. Encore plus qu’en Europe, c’est l’inflation qui va dicter le comportement de la Fed et par conséquent celui des taux Treasuries ainsi que la pente de la courbe. Nous estimons toutefois qu’un sujet beaucoup plus préoccupant risque de provoquer la poursuite de la remontée des taux longs: il s’agit du volume d’émissions du Trésor. En effet, conséquence du programme de réforme fiscale, il est prévu pour cette année 2018 un volume de nouvelles émissions supérieur à 1'000 milliards de dollars contre 488 milliards l’année dernière. Il suffirait, comme l’a suggéré Goldman Sachs la semaine dernière, que cette offre ne trouve pas de demande équivalente et ce serait la voie pour une deuxième vague de remontée brutale des rendements.

Sur le marché des Treasuries, jusqu’à présent, deux énormes acheteurs dominaient le marché: la Fed et les Chinois…Il suffirait donc qu’une adjudication se passe mal pour mettre le feu aux poudres. Tout dépendra du comportement des investisseurs institutionnels. Redeviendront-ils acheteurs naturels de Treasuries 10 ans à 3% et 30 ans à 3,25% pour compenser la défection des deux mastodontes? Pour les investisseurs en euro, le comportement du 10 ans US aura plus que jamais une influence majeure sur l’évolution du Bund. Mais à un moment donné, les comportements des deux taux benchmarks à 10 ans devront sans doute diverger pour ramener ce fameux spread Bund-Treasury, actuellement proche de 2% vers des niveaux plus raisonnables. A priori, la réduction de ce spread devra passer par la poursuite de la remontée du taux Bund lorsque le niveau du 10 ans US se stabilisera.

L'apparition d’incertitudes sur la croissance économique peut
marquer le début d’un regain d’intérêt pour les instruments de taux.
Et la croissance?

A l’occasion de la parution du consensus ISAG de janvier 2018, une des questions posées aux membres était la suivante: verrons-nous des signes d’un ralentissement économique global significatif avant la fin de 2018? Le résultat, 66% de oui et 34% de non, qui peut paraître surprenant, est peut-être le signe avant-coureur d’un changement d’opinion des investisseurs au cours de cette année. Jusqu’à aujourd’hui, à juste titre, les obligations étaient toujours sous-pondérées dans les portefeuilles. Mais la poursuite de la correction actuelle, conjuguée à l’apparition d’incertitudes vis-à-vis du maintien d’une croissance économique satisfaisante, marquera peut-être le début d’un regain d’intérêt pour les instruments de taux.