Younited: quels risques sur les ABS de la fintech?

Pauline Quirin, TwentyFour AM

3 minutes de lecture

Les distributeurs de crédit en ligne du secteur de la fintech ont encore un long chemin à parcourir pour parvenir à concurrencer les banques.

Lorsque le gouvernement français a lancé son initiative «French Tech», il n’imaginait probablement pas que cette dernière pourrait avoir un effet stimulant sur l'offre de titres adossés à des actifs (asset-backed securities ou ABS) sur le marché européen.

L'objectif de cette initiative était d’accélérer la croissance des start-up françaises et de favoriser l’éclosion des  futurs champions mondiaux de la technologie. Pour ce faire, le gouvernement a mis en place un certain nombre de mesures de soutien, telles que les réformes du travail et les réductions d'impôts, la simplification de la charge administrative et l'introduction d'un régime de visa accéléré pour les fondateurs, employés et investisseurs non européens de start-up. Les investisseurs institutionnels, les banques et les compagnies d'assurance français se sont engagés à investir cinq milliards d'euros  sur trois ans. Par ailleurs, le gouvernement a publié le «Next40», un indice composé des 40 entreprises françaises qui sont des «licornes» ou qui satisfont à un certain nombre de critères de performance comme, par exemple, être parvenu à lever plus d’un million d’euros ces trois dernières années. Bref, tout a été mis en place pour attirer les talents et stimuler la croissance.

Younited entend transformer le système bancaire
grâce à la désintermédiation.
Le mot d’ordre: désintermédier

Younited Credit compte au nombre des heureux élus du Next40. Ce distributeur de crédit à la consommation en ligne est détenu par des institutionnels (dont Bpifrance et Crédit Mutuel Arkéa) et un fonds de capital-investissement français (Eurazeo) ainsi que par ses fondateurs et salariés. Comme bien d’autres start-up du secteur de la fintech, Younited entend transformer le système bancaire grâce à  la désintermédiation et, notamment grâce à son algorithme d’évaluation des risques développé en interne. Younited propose aux ménages européens des prêts à la consommation à taux fixe entièrement amortissables et non garantis pour financer la consolidation de leurs dettes, l'amélioration de l'habitat, les dépenses courantes ou l'achat de véhicules. Younited agit en tant qu'émetteur pour son propre compte ainsi que pour différents investisseurs institutionnels qui appliquent des directives de crédit spécifiques.

Des historiques courts

La stratégie de financement de Younited est aussi innovante que son modèle économique. Elle repose sur  les dépôts de particuliers collectés par l'intermédiaire d'une autre plate-forme fintech, ainsi que sur des opérations de  titrisation privées ou publiques. En mai de cette année, l’entreprise, assistée par Deutsche Bank, a émis avec succès son premier ABS adossé à des prêts à la consommation français.

Ces dernières années, un nombre croissant de créditeurs européens et américains du secteur de la fintech ont recouru au marché des  ABS pour financer leurs prêts. Bien que les nouveaux émetteurs soient toujours les bienvenus, leur manque d’historique de résultats nécessite une due diligence sur site qui permet d’ailleurs d’engager le dialogue sur l’impact social de leur activité. Nous sommes  généralement prudents vis-à-vis de ce nouveau type de crédits et valorisons l’élément humain lors de leur souscription.

Un taux de pertes sur créances insatisfaisant

Après avoir effectué notre due diligence à Paris en mai dernier, nous avons été impressionnés par la sophistication de la plate-forme technologique développée par Younited Credit, mais avions quelques inquiétudes quant à la rapidité de l’octroi des prêts (moins de 24 heures) ainsi qu’en ce qui concernait l'expérience des souscripteurs. La brièveté de l’historique de résultats incitait également au questionnement, car les pertes sur créances étaient supérieures à celles des homologues de Younited. Nous pensions cependant que la qualité s'améliorerait avec le temps, à mesure que les algorithmes intégreraient davantage de données pour effectuer leurs évaluations.

La sous-performance de Younited Credit démontre que l’octroi de crédits fondé
sur la technologie nécessite encore de nombreux ajustements.

Le modèle d'affaires repose sur la  maximisation de la rémunération des actionnaires de Younited et cible les volumes (qui servent de base au calcul des commissions perçues par l’entreprise) plutôt que la qualité des souscriptions. Après analyse, il s’avère néanmoins que les détenteurs d’obligations sont suffisamment protégés et traités de manière équitable. Nous avons donc pris la décision d’investir, mais  afin de nous assurer que Younited prêtait de manière responsable à des personnes qui en avaient besoin et qui étaient en mesure d’honorer le paiement de leurs emprunts, nous avons développé un processus de suivi ad hoc qui reflète les risques spécifiques à cet émetteur.

De nombreux ajustements nécessaires

Au bout de quelques mois, les performances mensuelles se sont révélées décevantes, les défauts de paiement des consommateurs étant plus élevés que prévu. Un tel résultat paraissait d’autant plus étonnant que la France, qui reste le principal marché de l’entreprise, bénéficiait d’une conjoncture favorable. Etant donné que les obligations émises par le distributeur se négociaient au-dessus du pair, il a paru prudent de sortir et de réaliser ainsi un petit bénéfice. Il paraît peu probable que les détenteurs de ces obligations aient à subir une perte, néanmoins, grâce à notre processus de suivi, nous avons pu éviter d’être confrontés à la volatilité et la baisse des cours qui n’auraient pas manqué de se manifester si les défauts de paiements avaient dû encore progresser.

La sous-performance de Younited Credit par rapport à ses homologues démontre clairement que l’octroi de crédits fondé sur la technologie nécessite encore de nombreux ajustements. De manière générale, on peut affirmer que les distributeurs de crédit du secteur de la fintech ont encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir concurrencer les banques. Entretemps, il sera néanmoins intéressant de suivre  l'évolution de ces nouveaux émetteurs.