Vers des lignes directrices harmonisées pour les banques en 2024?

Armand Satchian, La Française AM

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Plusieurs initiatives fournissent déjà des axes d’amélioration aux banques afin de les accompagner dans la définition de leurs objectifs climatiques.

En novembre 2023, un article publié par Reuters annonçait que les engagements de plusieurs banques européennes à fixer des objectifs de décarbonation fondés sur la science avaient été retirés du site Internet de la Science-Based Target Initiative (SBTi). Selon cet article, cette décision aurait été prise par les banques suite à la parution de plusieurs publications de la SBTi en juin 2023. Toutefois, en l'absence d'une communication officielle des parties prenantes, la raison exacte de la suppression des noms des banques du site Internet reste floue.

Cet évènement met l'accent sur les difficultés rencontrées par le secteur bancaire à se mettre d'accord sur des lignes directrices harmonisées, afin d'aligner ses activités sur des trajectoires ambitieuses. Pourtant, année après année, le nombre de banques qui s'engagent à soutenir une économie «zéro émission nette» augmente. Par exemple, la Net Zero Banking Alliance (NZBA) rassemble 141 membres en janvier 2024, alors qu’il n’y avait que 29 membres lors de son lancement il y a près de trois ans. Pour amener le secteur bancaire à passer de l’engagement à l’action, il est donc nécessaire de définir des lignes directrices qui lui permettront d’opérer sa transition, en fixant par exemple des objectifs ambitieux, fondés sur la science, couvrant la très grande majorité des émissions financées ou en élaborant des politiques d'exclusion adéquates.

Trop de cuisiniers gâtent-ils la sauce?

Plusieurs initiatives fournissent déjà des axes d’amélioration aux banques afin de les accompagner dans la définition de leurs objectifs climatiques, telles que la norme «zéro émission nette pour les banques» du Groupe d'investisseurs institutionnels sur le changement climatique (IIGCC), les lignes directrices de la NZBA pour l'établissement d'objectifs climatiques pour les banques, le projet de norme «zéro émission nette» de la SBTi pour les institutions financières, ou encore le projet Assessing Low Carbon Transition (ACT) Finance. En tant que société de gestion d'actifs, nous reconnaissons les rôles distincts de ces initiatives. Néanmoins, leur manque d'harmonisation sur des sujets clés, tels que les critères définissant le concept d'objectifs fondés sur la science alignés avec une trajectoire «zéro émission nette», est préoccupant. 

Un exemple concret de ce décalage est le statut des critères relatifs au financement des énergies fossiles, qui sont explicitement mentionnés dans le projet de norme «zéro émission nette» de la SBTi, mais pas dans les lignes directrices de la NZBA. Cette dernière a été critiquée à la fois par des organisations externes et internes affirmant que leur approche du financement des énergies fossiles était trop laxiste, et des membres ont quitté l'initiative ou ont averti qu'ils partiraient en l'absence de règles plus strictes sur le sujet. 

Bien que le fait de disposer de diverses initiatives pour définir et évaluer les plans de transition climatique (et les objectifs connexes fondés sur la science) puisse être bénéfique, le manque d'harmonisation des exigences clés pourrait favoriser des initiatives plus souples, alors que l'urgence climatique exige tout le contraire. Un examen plus approfondi des 60 principaux financeurs des combustibles fossiles révèle ainsi qu'en janvier 2024, environ 70% sont membres de la NZBA, tandis que moins de 20% s'engagent envers la SBTi ou ont établi des objectifs validés par la SBTi. 

Prendre la route la moins fréquentée…

Lors de la conception de lignes directrices pour l'action climatique, la collaboration entre les différentes initiatives en place et l'alignement systématique sur les objectifs fondés sur la science sont essentiels. Il serait extrêmement inquiétant que des initiatives indépendantes aillent à l'encontre de la science pour répondre aux attentes des industries. Par exemple, la dernière version publiée des standards de la SBTi (version non définitive) sur les objectifs à court terme fondés sur la science pour le secteur financier ne mentionne plus le fait que les institutions financières doivent s'attendre à ce que leurs clients actifs dans le secteur des énergies fossiles «définissent des engagements clairs garantissant l'absence de nouvelles expansions et la réduction/l'arrêt progressif de la production sur des trajectoires approuvées de 1,5 °C avec un dépassement faible ou nul», alors que cette condition était explicite dans la version précédente de la norme. En réponse à ces préoccupations, la SBTi a déclaré que «l'affirmation selon laquelle un changement a été apporté en raison du lobbying des banques ne correspond tout simplement pas à la réalité». 

Il y a certainement plusieurs éléments qui pourraient expliquer la difficulté du secteur bancaire à se mettre d'accord sur des lignes directrices harmonisées et l'un d'entre eux pourrait être lié au manque de soutien international. En effet, bien que le secteur bancaire soit en grande partie responsable du financement de la transition vers une économie «zéro émission nette», les parties prenantes, comme les gouvernements ou les instances de régulation, devraient fournir des orientations claires. La conclusion de la COP28 en est un bon exemple: le consensus mondial officiel a plaidé en faveur d'une approche de réduction progressive des énergies fossiles (par opposition à un arrêt progressif de l’usage de ces énergies), ce qui signifie que les pays sont libres de suivre leur propre voie vers la neutralité carbone, et qu'il est peu probable que les entreprises pétrolières et gazières arrêtent leurs plans d’expansion à court terme. Ainsi, en s'alignant sur des initiatives plus flexibles, les banques suivent le consensus de la conférence des Nations Unies sur le climat et sont susceptibles de concevoir des plans de transition «zéro émission nette» comportant plusieurs limites. Pour une approche plus stricte, un changement de ton lors des futures réunions de la Conférence des Parties (COP) et un soutien supplémentaire de toutes les parties prenantes seraient nécessaires.

Un audit indépendant du plan/des objectifs de transition est tout aussi important et devrait être encouragé. Comme nous l'avons déjà constaté sur le marché, l'absence d'exigences strictes et de revues indépendantes peut conduire à des négligences en matière d’engagement et à un manque d’ambition. Cela est clairement illustré dans le récent rapport d'étape de la NZBA qui indique, par exemple, que «pour diverses raisons, certains membres ont basé des objectifs sur des scénarios ciblant des températures plus élevées (que 1,5°c), qui ne sont pas cohérents avec l'engagement de la NZBA».

2024 pourrait être l’année charnière durant laquelle des lignes directrices plus harmonisées pour le secteur bancaire émergeraient. Afin de franchir ce cap, les organisations annonçant des évolutions clés de leurs lignes directrices cette année se doivent de dialoguer et de collaborer:

  1. la SBTi publiera probablement une version finale de ses normes en matière d'objectifs à court terme et «zéro émission nette», en vertu de laquelle les institutions financières et les banques engagées dans la SBTi devraient soumettre leurs objectifs quelques mois après la publication de ces normes,
  2. la NZBA devrait revoir ses critères et renforcer la redevabilité de ses membres,
  3. de nouvelles initiatives, telles que la méthodologie ACT Finance, développée par l'Agence française de l'environnement (ADEME), devraient voir le jour 
  4. les banques centrales et les autorités bancaires (en particulier en Europe) devraient renforcer l'examen des risques de transition associés aux banques et proposer de nouvelles lignes directrices sur les normes minimales et les méthodologies de référence pour l'identification, la mesure, la gestion et la surveillance, par les institutions financières, des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), ce qui pourrait renforcer la fixation d'objectifs ambitieux.

Pour les investisseurs durables, ces lignes directrices constituent des outils essentiels pour évaluer l'ambition et la crédibilité des plans de transition au sein du secteur bancaire, identifier les axes d'amélioration et dialoguer avec les institutions financières, en encourageant la mise en œuvre des meilleures pratiques de marché. 

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