Une nouvelle crise

Jean-Sylvain Perrig, Premyss

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Le déclenchement en Ukraine des opérations militaires russes inquiète légitimement les investisseurs et ainsi de nombreux futurs retraités, car c’est leur épargne de prévoyance qui pourrait souffrir des turbulences issues de la dégradation de la situation géopolitique.

Ainsi après la crise du Covid, nous voici entrés dans une autre, celle d’une guerre sur sol européen. Si la pandémie ne pouvait pas être anticipée, la détérioration des relations entre l’Occident d’une part et les dictatures russe et chinoise d’autre part, ne date pas d’hier.

Un peu d’histoire

Revenons quelques dizaines d’années en arrière: une fois le rideau de fer disparu, il apparaissait que les démocraties capitalistes avaient gagné. L’optimisme régnait, la Chine entrait à l’OMC en 2001, et nous espérions tous qu’avec le développement économique de l’empire du milieu, le pays deviendrait plus ouvert et plus tolérant. Les jeux olympiques d’été de 2008 marquèrent l’apogée de cette période d’euphorie capitaliste et de la globalisation.

Cependant la même année, éclatait la bulle financière immobilière. Partie des USA, elle allait ravager l’ensemble de la planète et plonger l’économie mondiale dans la récession. Ce fut une prise de conscience dans de nombreux esprits. A l’est et en Asie, cela démontrait les excès du capitalisme, et l’ouest réalisait, que seule une petite partie de la société profitait de la création de richesses d’un monde hyper globalisé. Le Bitcoin est né de cette défiance envers un monde globalisé où quand les banques faillissent, l’économie s’arrête.

C’est depuis lors que la coopération internationale s’est enrouée, que des divisions se sont manifestées au sein même des sociétés occidentales. Entre 2008 et 2020, ce ne sont pas de nouveaux traités commerciaux que l’on signe, mais plutôt de nouvelles entraves au commerce que l’on met en place. Car la classe moyenne occidentale se sent déclassée, menacée dans ses valeurs par l’islamisme et demande à être protégée. Dans ce contexte, les relations entre Chinois et occidentaux, mais aussi entre Russes et occidentaux se dégradent. Le parti communiste chinois, inquiet pour sa position dominante, mène une politique intérieure et étrangère de plus en plus agressive; et les Russes, après avoir tenté des rapprochements à l’ouest dans les années 1990, se sentent floués par l’OTAN et veulent regagner l’influence qu’ils avaient avant la chute de l’Union Soviétique.

A la timidité de la politique étrangère américaine depuis la fin de la présidence Bush et à la naïveté européenne, s’opposent deux dictatures dont les ambitions montent chaque jour un peu plus, cependant, celles-ci ne sont pas de nature économique, il s’agit de gagner du pouvoir et de l’influence.

Une nouvelle ère

L’entrée des troupes russes en territoire ukrainien marque le début d’une nouvelle ère, qui en fait ressemble plus à un retour dans le passé. Celui de la fin de la deuxième guerre mondiale, lorsque le monde s’est retrouvé coupé en deux. C’est ce qui se passe aujourd’hui, car la Chine penche du côté Russe, rappelons qu’il s’agira bientôt, pour le président Xi, de récupérer Taiwan.

La crise ukrainienne semble avoir réveillé les européens. Il n’a fallu que quelques heures au gouvernement allemand, composé principalement de sociaux-démocrates et d’écologistes, pour débloquer 100 milliards pour leur armée. Cela était impensable une semaine auparavant. Et ceci n’est probablement qu’un début, l’Europe va devoir prendre en charge sa sécurité, même dans le cas, peu probable, d’une résolution rapide du conflit ukrainien. Les Américains ne sont pas assez fiables pour leur déléguer la défense européenne. C’est un changement de paradigme. Les dépenses militaires vont faire un bond marqué dans les budgets des pays européens.

La guerre a aussi mis en évidence la dépendance de l’Europe au gaz russe. Il y a donc urgence à trouver de nouvelles sources d’énergie d’une part, comme l’énergie atomique, et d’accélérer la transition énergétique, il va falloir investir massivement dans ce secteur.

Et puisque le monde va moins bien, que les partenaires commerciaux ne sont pas fiables, il faut organiser l’économie des circuits courts, indépendante des exportations des grandes dictatures peu fiables de la planète. Incidemment, c’est aussi une bonne chose pour la planète, et au vu des enjeux, il faudra aller plus vite que prévu initialement.

Un nouveau régime d’investissement

Nous entrons donc dans une nouvelle phase de la «démondialisation», celle du capitalisme vert, technologique, et des circuits courts. Il faut le construire. Indépendamment des considérations, toujours aléatoires et de court terme, ces changements vont entraîner des investissements à une échelle similaire à ce qui s’est produit après la 2ème guerre mondiale lorsqu’il s’agissait alors de reconstruire l’Europe. A la différence des trente dernières années, ce sont les Etats qui seront les principaux sponsors de ces changements.

Sur les marchés, la Russie et l’Ukraine sont de petites entités macroéconomiques. C’est pourquoi, l’impact du conflit sur l’économie mondiale sera à peine perceptible, même si une envolée des prix de l’énergie, due aux incertitudes sur l’offre, aura un effet ralentisseur sur la consommation. La probabilité est faible, mais non nulle, que le conflit s’étende aux autres pays de l’ancien bloc de l’Est. Cela signifierait que des puissances nucléaires se retrouveraient face à face. Une 3ème guerre mondiale nous ramènerait à l’âge de la pierre. Dans cette éventualité, le système bancaire s’effondrerait, et seul l’or détenu dans l’abri atomique pourrait encore être d’une quelconque utilité. Il faudrait encore prévoir une scie à métaux pour pouvoir découper les lingots en petits morceaux, afin de les échanger contre de la nourriture.

Il paraît donc inutile de prévoir le pire. Dans le cadre de la prévoyance, ce qui se passe à court terme n’a pas beaucoup d’importance. La volatilité est inhérente aux marchés financiers, c’est pourquoi il est important de se concentrer sur le long terme.

Se protéger de la perte de pouvoir d’achat

Les actions représentent la classe d’actif la plus volatile, mais aussi la plus rémunératrice sur le long terme, à savoir dix ans et plus. Aujourd’hui les valorisations sont basses en Europe et sur les marchés émergents. Seuls les USA sont plus chers que la moyenne des trente dernières années, alors que les taux demeurent proches de zéro. Comme pour les obligations, l’immobilier est également cher.

Il est fort probable que la décennie 2020 soit marquée par une croissance économique plus volatile, et que celle-ci soit accompagnée d’une inflation plus élevée que ce que nous avons connu par le passé. Cela ressemble à ce que l’on a connu après la deuxième guerre mondiale, car même si nous n’avons pas, aujourd’hui, de destructions, il y a un monde à construire.

De plus, les dirigeants des démocraties ne peuvent pas s’alénier leur population, il est fort probable qu’ils n’hésitent pas à creuser les déficits dans le but de soutenir la classe moyenne, si les prix de l’énergie s’envolent ou si la récession frappe. Quant aux banques centrales, elles n’ont pas le choix, le niveau d’endettement des gouvernements ne permet pas de normaliser les taux d’intérêts. Nous avons donc un «mix» politique budgétaire et monétaire très favorable pour les actifs risqués.

Pour protéger sa prévoyance contre une perte de valeur de son pouvoir d’achat due à l’inflation, il est essentiel de demeurer investi en permanence. Comme lorsqu’on est propriétaire d’une maison, on ne la vend pas parce que son prix baisse.

Lorsque l’on choisit un plan d’investissement pour sa prévoyance, il faut se projeter à l’échéance de ce plan, dans dix ans ou vingt ans ou même plus. Dans cette perspective, il est inutile de se demander si les marchés vont corriger ou non, mais de choisir une solution avec laquelle on est en paix, qui permette de faire croître la valeur réelle de son argent, avec des variations de fortune d’une année à une autre, que l’on peut supporter. La diversification permet de réduire l’écart entre les baisses et les hausses de la valeur de ses avoirs. Il n’y a alors pas besoin de suivre l’évolution de ses investissements au jour le jour, car 99.99% de l’information au sujet de ceux-ci ne sert à rien. Malgré ce que certains essaient de faire croire, personne ne peut anticiper l’évolution des marchés sur les prochains mois.

Un autre élément important à prendre en considération, ce sont les frais. Plus une stratégie est coûteuse, et plus elle va réduire le résultat final à l’heure de la retraite. Toutes choses étant égales par ailleurs, sur plus de 30 ans, les frais peuvent «manger» jusqu’à 50% de capital, et donc de la rente future. Il faut donc soigneusement sélectionner, pour le profil de risque qui convient, une stratégie de qualité à un coût raisonnable.

En conclusion, les temps qui s’annoncent ne ressembleront en rien aux vingt dernières années, cependant le meilleur moyen de protéger son capital est de demeurer investi.

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