Transparence, contrôle et suivi des placements

Graziano Lusenti et Ilir Roko, Lusenti Partners

3 minutes de lecture

Les meilleures pratiques dans la gestion institutionnelle et enseignements pour la gestion privée.

Graziano Lusenti, fondateur et managing partner de Lusenti Partners.

Ce thème est abordé par les auteurs dans le cadre de la conférence mensuelle du Groupement Suisse des Conseils en Gestion Indépendants (GSCGI) ce vendredi. Il a été publié dans WealthGram, tribune mensuelle des membres du GSCGI.

GESTION INSTITUTIONNELLE ET GESTION PRIVéE

Dans cette contribution, nous abordons la thématique de la meilleure pratique («best practice») dans la gestion institutionnelle, ses caractéristiques essentielles en matière de processus, de techniques et de modalités de gestion, ainsi que ses effets en matière de résultats (performances, risques, coûts, gouvernance). La perspective retenue est principalement helvétique et s’appuie sur nos expériences avec de nombreuses caisses de pensions, de taille variée (quelques dizaines de millions à plusieurs milliards de francs).

Les institutionnels sont étroitement surveillés et encadrés,
alors que les particuliers disposent d’une liberté d’action maximale.

Il y a de réelles différences entre gestion privée et institutionnelle. D’abord, les avoirs des institutionnels (caisses de pensions, assureurs, fondations, fonds souverains, etc.) s’élèvent à des dizaines, centaines ou milliers de millions – ce qui produit de notables économies d’échelle. De plus, les institutionnels sont étroitement surveillés et encadrés, alors que les particuliers disposent d’une liberté d’action maximale. Enfin, les objectifs de placements (rendement minimal imposé aux caisses) et l’organisation (conseils de fondations «collectifs» chez les institutionnels) sont le plus souvent bien différents. Il n’en demeure pas moins que le professionnalisme marqué dans la gestion institutionnelle peut représenter une source d’inspiration pour de nombreux particuliers fortunés – et pour leurs gérants.

PROCESSUS ET éTAPES DANS LA GESTION INSTITUTIONNELLE

Dans la gestion institutionnelle, la détermination et la mise en œuvre de processus cohérents et rigoureux jouent un grand rôle. On peut mettre en évidence les étapes ci-après:

  1. Analyse critique des placements: Etat des lieux (mise en évidence d’éventuelles insuffisances ou lacunes) et audit de gestion.
  2. Choix des classes d’actifs, détermination de l’allocation stratégique, réalisation d’une étude ALM («assets & liabilities management»): Le choix de l’allocation stratégique – la décision d’investissement qui contribue le plus à la performance – n’est pas décidé de manière arbitraire, mais après la réalisation d’une étude ALM. Dans cet exercice technique, on prend en compte les besoins de performances (et le profil de risques) à long terme de la caisse, en relation avec ses engagements de prévoyance («liabilities»).
  3. Modalités de mise en œuvre des placements: Choix du style de gestion (actif, indiciel, rendement absolu) et des types de véhicules de placements (mandats, fonds, fonds de fonds, produits structurés), en fonction des différentes classes d’actifs.
  4. Sélection des gérants et des produits d’investissements: Dans la pratique, les décisions prises en la matière importent souvent moins que l’allocation stratégique et les modalités de mise en œuvre.
  5. Suivi des placements et controlling: Ces aspects sont cruciaux pour établir que les résultats des placements correspondent bien aux hypothèse initiales (de l’étude ALM), pour s’assurer que les possibilités offertes par les marchés sont exploitées au mieux et qu’il n’y a pas de déficiences dans la mise en œuvre de la gestion.
  6. Reporting et information du client: Le client institutionnel souhaite à tout moment avoir une vision réaliste et pertinente de l’état et de l’évolution de ses placements. Cela doit lui permettre en particulier de prendre d’éventuelles mesures correctrices: réduction du profil de risques, remplacement de gérants ou de produits (fonds), etc.
GESTION «BENCHMARKEE» VS GESTION ACTIVE?

Durant les 30 dernières années, la diffusion de la gestion indicielle a été massive dans tous les grands marchés institutionnels: elle s’est imposée d’abord dans les actions «blue chips», avant de partir à la conquête de toutes les classes d’actifs (à l’exception de l’alternatif).

La gestion active est bien plus que le simple
«stock-picking» ou la «gestion de conviction».

Traditionnellement, la thématique de la gestion active s’inscrit dans le cadre de l’opposition binaire des styles de gestion, gestion active contre gestion indicielle - aujourd’hui toutefois largement dépassée. Dans la gestion institutionnelle, il est le plus souvent acquis en principe que la gestion active n’a plus guère d’avenir dans les grands marchés très liquides, mais que certaines «niches» peuvent encore lui réserver des succès réels: actions «small caps», marchés illiquides et peu transparents (dette privée, etc.)

Mais la gestion active est bien plus que le simple «stock-picking» ou la «gestion de conviction». Elle peut inclure également des formules plus sophistiquées; elle doit être appréhendée surtout en relation avec l’extraordinaire développement des gestions quantitatives - dont la gestion indicielle n’est finalement que l’avatar le plus mécanique et le plus simple. Ainsi, la gestion «par facteurs» ou par «indicateurs financiers» (volatilité, retour à la moyenne, etc.) relève bien de la gestion quantitative - mais plus guère de la gestion active «traditionnelle». 

Nous ne sommes qu’au début d’une ère où les machines, guidées par l’intelligence artificielle et le «big data», domineront les marchés et la gestion. Dans ce nouveau monde, les impulsions conceptuelles apportées aux modèles, la manière dont les séries seront traitées, la sélection des paramètres-clés ou encore les préférences pour les «thèmes» d’investissements constitueront autant de facteurs qui relèveront largement de la gestion active au sens large. Or, ces développements qui s’imposent progressivement dans la gestion institutionnelle concerneront tôt ou tard la gestion privée aussi.

COORDINATION ET SUIVI DES PLACEMENTS, CONTROLLING, REPORTING ET INFORMATION DU CLIENT

Ces différentes activités prennent un relief particulier dans la gestion institutionnelle: ils portent sur des dimensions essentielles de la gestion et impliquent que les gérants et les clients ont à disposition tout une série d’indicateurs spécifiques, relatifs à la performance, aux risques, à la liquidité et aux coûts.

Un controlling (quantitatif et qualitatif) et un reporting compacts, précis et spécifiques,
ont pour effet que le client est informé de manière complète et pertinente.

La coordination et le suivi des placements requièrent des interactions fréquentes entre les différents intervenants – gérants de fonds, banque dépositaire, traders – pour s’assurer qu’elle est réalisée selon les standards les plus exigeants. Un controlling (quantitatif et qualitatif) et un reporting compacts, précis et spécifiques, ont pour effet que le client est informé de manière complète et pertinente.

TRANSPARENCE ET GOUVERNANCE: CONFLITS D’INTéRêTS, COûTS, SéLECTION DES GéRANTS 

L’importance d’une solide gouvernance et d’un niveau de transparence prononcé ne sauraient être assez mis en exergue: en effet, ils imposent à tous les participants dans la gestion à opérer de manière efficace. A cet égard, on rappellera que les grands institutionnels ne gèrent pas leurs avoirs propres, mais opèrent à titre «fiduciaire» pour le compte de tiers, qui sont effectivement les «propriétaires».

En matière de placements, les risques de conflits d’intérêts sont particulièrement prononcés: sélections de gérants ou de fonds biaisées, commissions ou rétrocessions occultées aux clients finaux, etc. Il est donc essentiel que ces derniers aient connaissance de la totalité des coûts occasionnés par la gestion (coûts directs du mandat, coûts indirects dans les fonds). Ainsi, les caisses de pensions suisses doivent désormais présenter de manière détaillée dans leurs comptes annuels les coûts directs et indirects de leur investissements – sous la forme d’un taux de frais, TER, «total expense ratio» - ainsi que le degré de transparence de leurs fonds. De plus, toute personne (interne à l’institution ou externe) impliquée dans la gestion des avoirs de la caisse doit communiquer les avantages matériels dont elle bénéficierait, ainsi que les activités de «front running» ou «parallel running» qu’elle réaliserait en relation avec les placements de la caisse. Autant de mesures qui imposent une saine gouvernance et débouchent sur un niveau élevé de transparence et de contrôle en matière de coûts.