Thanks for the Dance – Multi Asset Navigator d’Unigestion

Guilhem Savry, Unigestion

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Hausse des taux: la trajectoire importe plus que le niveau.

Suite à la hausse significative des taux obligataires dans le monde, l’indice Barclays Global Aggregate a enregistré une performance négative en février (-1,6%), plaçant la plupart des allocations équilibrées d’obligations et d’actions en territoire négatif pour 2021. Cette situation inhabituelle signale-t-elle un changement de ton pour le «dancefloor» des marchés financiers? Nous pensons que les investisseurs sous-estiment le risque de surprises d’inflation, tant en termes d’amplitude que de durée. Compte tenu de la plus grande sensibilité de l’économie et des actifs financiers au risque de duration, une nouvelle hausse des taux d’intérêt impliquerait une rotation importante à travers les actifs, les secteurs et les facteurs. Alors que le marché chante encore «Let’s Dance», nous préférons ajuster dynamiquement notre rythme à temps pour «Thanks for the Dance».

 

 

Et Maintenant?

Taux réels en hausse: «Catch Me If You Can»

Les taux américains ont augmenté de 34 points de base (pb) en février, après une hausse de 7 pb en décembre et de 15 pb en janvier. Depuis leur plus bas niveau en juillet 2020, les taux à 10 ans sont passés de 0,53% à 1,41%, soit une augmentation de près de 90 pb sur la période. Cette hausse a été globale et a affecté toutes les courbes de taux. Elle a même poussé les banques centrales à intervenir: soit verbalement, comme la BCE, soit en achetant des obligations, comme la RBA.

Cette hausse des taux peut être décomposée en deux étapes via une analyse de la «prime d’inflation» et de la «prime de croissance». La première phase s’est déroulée entre juillet et décembre 2020 et correspond à une normalisation des anticipations d’inflation suite à la réduction du scénario de risque extrême de «double dip». Ainsi, seule la prime d’inflation a augmenté, tandis que la prime de croissance, représentée par le taux réel à 10 ans, est restée stable et négative.

La deuxième phase a débuté en janvier 2021, suite au coup de pouce fiscal donné par le nouveau plan budgétaire américain et à la hausse mondiale des prix des matières premières. Dans cette deuxième phase, la prime d’inflation est restée modérée tandis que la prime de croissance s’est ajustée de manière significative. Ainsi, en février, le breakeven d’inflation des emprunts américains à 10 ans indexés sur l’inflation est resté relativement stable, de 2,11% à 2,15%, tandis que le taux réel à 10 ans a augmenté de 34 pb, de -1,04% à -0,7%. Cette tendance s’est poursuivie la semaine dernière. Si cette hausse des taux réels doit être considérée comme un signe positif, reflétant un retour à la normale pour les États-Unis et l’économie mondiale, elle constitue un risque pour la stabilité des marchés financiers à court terme si sa trajectoire est trop rapide et désordonnée.

Comment cette augmentation des taux américains à 10 ans se compare-t-elle historiquement ? Si l’on considère la performance de l’indice Barclays US Treasuries, qui est le plus représentatif de l’exposition aux obligations des fonds de pension américains, depuis 1973, la hausse des taux observée en février sur la partie longue de la courbe représente une performance mensuelle négative de -1,8%, supérieure à 1 sigma. Une telle performance représente moins de 6% des rendements mensuels depuis 1973. Cumulée sur trois mois, la baisse de l’indice a atteint -3%, ce qui est comparable à la forte baisse observée au T4 2016 (-3,8%), au «Taper Tantrum» de 2013 (-2,9%) ou au violent ajustement du T2 2009 (-3%). Il s’agit donc d’un événement rare qui doit être pris en compte pour évaluer sa durabilité et son impact potentiel.

Que chante le marché? «Keep on Dancing»

L’ajustement de la prime de croissance des taux a eu un effet modéré sur les actifs financiers dans leur ensemble, du moins en surface. La plupart des indices boursiers ont enregistré une performance positive en février et sont largement en hausse depuis juillet, malgré la remontée des taux obligataires. La principale raison de l’absence de choc de corrélation durable est que la hausse de l’inflation est perçue comme temporaire par les marchés. Ainsi, la courbe des breakevens de l’inflation américaine s’est inversée, reflétant que la hausse des prix des matières premières, ainsi que l’activité accrue liée à la réouverture des économies dans les prochains mois, n’auront un impact que sur quelques mois, et non sur des années. Le breakeven d’inflation à deux ans est donc de 2,6%, alors que le fameux breakeven d’inflation à cinq ans dans cinq ans est de 2,3%. Cette perception d’un choc limité dans le temps est également visible sur la courbe des contrats pétroliers à terme, qui est en «backwardation». En outre, contrairement aux hausses de taux observées au cours des périodes mentionnées ci-dessus, la volatilité implicite des taux américains est restée modérée. L’indice MOVE reste bien inférieur aux niveaux observés en 2009/2013 et 2016 (75 contre 110).

Que communique la Fed? «Relax»

L’absence d’inquiétude des marchés face au risque obligataire est soutenue par une forte confiance dans la capacité des banques centrales à contenir des hausses de taux excessives. L’exemple du Japon, qui a une longue histoire de contrôle de sa courbe de taux, est souvent utilisé pour projeter un scénario optimiste de hausse contrôlée et progressive des taux à long terme. Les outils dont dispose la Fed, tels que 1) les «guidances» sur les futures hausses de taux et 2) la mise en œuvre de «inflation targeting», qui permet à la Fed de tolérer un dépassement provisoire de l’inflation, constituent également un élément stabilisateur pour les acteurs du marché. Enfin, les récents commentaires du président de la Fed (mai 2020) à ce sujet sont rassurants: «Le sentiment est que si les taux devaient beaucoup monter, pour quelque raison que ce soit, et que nous voulions garder une politique monétaire accommodante, nous pourrions envisager de l’utiliser. Pas sur l’ensemble de la courbe, mais sur une partie de la courbe. Et ce n’est pas une décision que nous avons prise, c’est une sorte d’étape préliminaire que nous évaluons». Cela suggère que le risque d’une inflation non contrôlée et d’un changement potentiel de la position de la Fed reste limité. Ainsi, la probabilité d’une hausse des taux de la Fed en 2022 est presque nulle, comme le reflète le taux forward OIS à un an, à 0,15%. Cependant, l’histoire montre que la Fed peut rapidement inverser le biais de sa politique monétaire malgré les lignes directrices et ses «dots», comme ce fut le cas en 2018 (de Hawk à Dove) ou plus tard en 1994 et 2004.

Quelles sont nos convictions? «Can’t Stop»

Une analyse historique des primes de croissance et d’inflation contenues dans les taux souligne à quel point la persistance de taux réels négatifs est une anomalie historique. Depuis 1998, date des premiers swaps d’inflation américains, le taux réel à 10 ans aux États-Unis s’est établi en moyenne à 1,4% et n’a été négatif durablement qu’à deux reprises : entre 2012 et 2013, et depuis mars 2020 (soit 10% des observations). Depuis 2010 et la généralisation du QE, le taux réel moyen est plus bas mais toujours positif à 0,28%, et sa fréquence historique plus élevée mais toujours fiable à 25%. Malgré la récente augmentation, le taux réel américain à 10 ans est maintenant à -0,75%.

Un autre élément nous conduit à prévoir une hausse des primes de croissance et d’inflation : la reprise mondiale. Le GDP Nowcast de la Fed d’Atlanta prévoit une augmentation de 10% du PIB américain au premier trimestre 2021, tandis que le GDP Nowcast de la Fed de New York s’attend à une croissance de 8,2% pour cette période. Les éléments les plus avancés de notre Nowcasters américain confirment ce prochain bond de la croissance américaine. Un tel contexte économique ne se prête guère à des taux réels négatifs aux États-Unis. Enfin, comment le marché réagira-t-il lorsque l’inflation américaine dépassera 3% au troisième trimestre, comme le prévoient nos modèles basés sur l’inflation de nos Nowcasters et les variations mensuelles historiques des composantes de l’inflation? Ce risque d’une inflation élevée et durable est confirmé par la composante «prix payés» des indices ISM, l’évolution du taux d’épargne des ménages américains et l’évolution des prix de production.

Contrairement au cas du Japon et de la BoJ, qui n’ont jamais été confrontés à un véritable choc de croissance, la croissance réelle des États-Unis atteindra des niveaux records au cours des prochains trimestres. Nous pensons donc qu’il est possible de voir les taux nominaux américains atteindre 2% d’ici juin. La relation entre les taux nominaux et la croissance réelle est en effet historiquement très forte. Depuis 1963, la croissance réelle américaine a été de 10% et les taux nominaux ont atteint en moyenne 6,3%. Ces éléments tombent à 5,9% pour l’activité et à 3,2% pour les taux sur la période 2000-2020. Qu’en est-il de l’avenir? Pour la période 2021-2023, le consensus prévoit une croissance américaine de 3,5% en moyenne et une inflation de 2,1%, soit une croissance réelle de 5,6% avec un pic de 7,1% en 2021. Dans ce contexte, est-il raisonnable de penser que les taux nominaux resteront inférieurs à 2% comme la courbe forward l’implique actuellement? La Fed gardera-t-elle sa crédibilité intacte si elle doit encore doubler son bilan pour implémenter le «target yield control» et maintenir les taux longs à de bas niveaux?

Implications pour l’allocation: «Wake Me Up Before You Go-go»

Depuis le QE, la sensibilité des marchés financiers à l’économie a atteint des niveaux records. Jamais auparavant la dette publique n’a été aussi élevée. La duration des indices obligataires est passée de 5,5 à 8,1 depuis 2000, dégradant fortement le rapport risque/rendement des obligations d’État. Nos calculs montrent que pour un indice d’obligations souveraines, une augmentation des taux d’environ 25 points de base annulerait complètement le carry sur un an. Ce «coussin» était de 118 pb en 2000.

Les actions sont également touchées par ce phénomène. La hausse des indices boursiers observée au cours des dix dernières années, notamment aux États-Unis, s’est concentrée sur quelques secteurs dont la duration implicite est supérieure à la moyenne en raison de leur profil de croissance et des implications d’un modèle de type «dividend discount factor». Le dernier rapport de la BRI confirme ce point, en montrant que les indices boursiers sont plus sensibles aux nouvelles monétaires, en particulier en période de taux d’intérêt bas. Cette plus grande sensibilité à la duration des actifs rend les allocations équilibrées plus risquées pour les trimestres à venir.

Par conséquent, tout mouvement à la hausse des taux nominaux à long terme aura un impact plus important qu’auparavant. Nous voyons cette hausse comme un facteur déterminant d’une rotation durable à travers les actifs, les facteurs et les secteurs. Nous croyons que plus la hausse sera rapide, plus cette rotation sera désordonnée et tendue. En termes d’allocation d’actifs, notre cadre «Macro, sentiment du marché, valorisation» privilégie les actifs cycliques tels que les matières premières industrielles et énergétiques et les actions développées au détriment des actifs «income» tels que les obligations ou les actifs défensifs. Surtout, nous pensons qu’une hausse des taux d’intérêt réduira les bénéfices du «bêta party» en faveur de l’alpha et de la relative value. Dans ce contexte, nous préférons les FX longs comme NOKSEK ou CADCHF ainsi que les indices d’actions cycliques comme le Topix ou Russell 2000 aux indices de croissance séculaire comme le Nasdaq ou le Hang Seng.

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