Théories économiques sur l'impact du COVID-19 sur l'hôtellerie et le tourisme

Giuliano Bianchi & Luciano Lopez, EHL Ecole hôtelière de Lausanne

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En adéquation avec la théorie économique, on peut observer une diminution de la demande pour les hôtels 4 ou 5 étoiles.

© Keystone

Fièvre, toux sèche et fatigue sont les symptômes du COVID-19 selon l’OMS. Ce sont également les symptômes que connaît l’économie mondiale aujourd’hui. Ce qu’il manque serait une note disant: «Attention au retour de la loi de Say».

L’impact négatif du COVID-19 sur la demande et l’offre globale

La crise du COVID-19, comme celle de 2008, a entraîné une baisse importante de la demande. Si l’on devait résumer la théorie de Keynes, on pourrait dire qu’il soutient que c’est la demande qui génère l’offre, du moins à court terme. Mais ce qui importe encore plus, c’est que ce choc est connu et traitable, par exemple par les politiques dites fiscales et monétaires.

Mais cette crise a aussi impacté l’offre. Le coût marginal augmente, donc l’offre se contracte: la loi de Say. Ignorée depuis longtemps par l’analyse macroéconomique à court terme, où généralement l’offre suit simplement la demande.

Maintenant, pour rendre les choses plus compliquées, la crise du COVID affecte à la fois la demande et l’offre. Théoriquement, une baisse de la demande entraîne une baisse des prix, mais une baisse de l’offre entraîne une hausse des prix. Ainsi, nous ne savons pas s’il y aura une inflation, une déflation ou si les prix resteront stables. Ce que nous savons en revanche, c’est que le produit intérieur brut (PIB) a chuté, entraînant une baisse équivalente du revenu national.

La pénalité est double pour les fournisseurs suisses puisque pour les résidents suisses, les vacances à l’étranger sont moins chères que prévu.
Focus sur l’industrie de l’hospitalité et du tourisme

Que doivent attendre les acteurs économiques de l’industrie de l’accueil pour les mois et années à venir en ce qui concerne la demande? Malheureusement, nous ne pouvons pas fournir une réponse universelle, mais nous pouvons fournir quelques indices. L’élasticité-revenu est l’impact sur la quantité demandée d’un changement de revenu. En gros, soit les consommateurs demandent moins si leur revenu baisse (biens/services normaux), soit ils demandent plus malgré une diminution de leur revenu (biens/services inférieurs). La question est de déterminer si les biens et services du secteur de l’hôtellerie et du tourisme sont normaux ou inférieurs.

Il existe différents types de biens et de services. Les hôtels sont généralement classés par des étoiles. Sans surprise, le prix moyen d’une chambre dans un hôtel 4 ou 5 étoiles est plus élevé que dans un hôtel 1 ou 2 étoiles. En adéquation avec la théorie économique, on peut observer une diminution de la demande pour les hôtels 4 ou 5 étoiles mais une augmentation pour les hôtels 1, 2 ou 3 étoiles ainsi que pour les camping.

Le rôle des taux de change

Qu’en est-il du tourisme international? En Suisse, environ la moitié des nuitées dans les hébergements suisses en 2019 ont été le fait de touristes étrangers. Vont-ils continuer à voyager? De nombreux pays mènent des campagnes pour favoriser le tourisme national, ainsi, la réponse à la question précédente dépendra principalement du comportement des consommateurs. La crise a également eu un impact sur les taux de change. Par exemple, le taux EUR/CHF était d’environ 1,1 à la fin de 2019. Puis il a commencé à baisser jusqu’à la mi-mai, et a réaugmenté depuis. Cela signifie que les vacances en Suisse sont plus chères que prévu pour les touristes étrangers. La pénalité est double pour les fournisseurs suisses puisque pour les résidents suisses, les vacances à l’étranger sont moins chères que prévu.

La consommation de biens ou services qui n’a pas été effectuée au cours des 6 derniers mois peut ne pas être abandonnée mais simplement déplacée.
Le coût de l’hygiène et de la distanciation sociale

Cette situation difficile est d’autant plus grave que ce secteur repose sur les relations humaines et l’interaction sociale. La particularité supplémentaire de cette industrie est l’inexistence ou la faiblesse de l’effet de déplacement. En bref, la consommation de biens ou services qui n’a pas été effectuée au cours des 6 derniers mois peut ne pas être abandonnée mais simplement déplacée. Cela peut être le cas pour les voitures, les logements, etc. Toutefois, si un consommateur avait l’habitude d’aller au restaurant une fois par mois, il est peu probable qu’il y aille deux fois par mois les 6 mois restants de l’année.

Ces préoccupations concernent principalement la demande. Cependant, la crise du COVID-19 est aussi une crise de l’offre. On demande aux hôtels, restaurants, spas, etc. de mettre en place des ajustements sanitaires qui augmentent la fonction de coût du fournisseur. Certains hébergements disposant de beaucoup d’espace extérieur, comme un camping, peuvent connaître l’une des meilleures saisons estivales de leur histoire. À l’inverse, certains hôtels haut de gamme, dont la qualité du service est le principal argument de vente, pourraient connaître des difficultés.

Une nouvelle ère de consommation?

La plupart des impacts non économiques du COVID-19 disparaîtront avec le temps (port de masque, distanciation sociale, etc.). En revanche, il est beaucoup trop tôt pour en dire autant des impacts économiques. Allons-nous échanger les mêmes biens et services qu’avant le COVID-19? Si le COVID-19 n’avait duré que quelques semaines, nous prendrions le risque de répondre «oui». Cependant, comme les consommateurs ont eu plus que le temps de réfléchir à leurs habitudes de consommation, nous préférons répondre à cette question par ce que nous, les économistes, aimons le plus dire: «Nous ne savons pas».

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