Taïwan, la voie étroite

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Taïwan se retrouve sous les feux de la rampe économico-diplomatique mondiale. Une situation plutôt inconfortable.

Elle a vaincu avec maestria la pandémie de la COVID-19. Elle est au cœur des chaînes de valeurs parmi les plus tendues au monde, grâce à sa maîtrise de la production de microprocesseurs. La belle île de Taïwan (ancienne Formose), au gouvernement démocratique et à la société prospère, émerge de la crise récente en modèle d’une «autre Chine», vers laquelle se tournent nombre d’investisseurs. Mais avec la montée des tensions commerciales entre la Chine continentale et les Etats-Unis, son avenir n’est-il pas fragilisé?

La reprise économique de 2020 signe à Taiwan une croissance en «V», supérieure à celle de la Chine, pour la première fois depuis plus de 30 ans. L’indice TAIEX de la Bourse de Taipei – fortement pondéré par les valeurs des semi-conducteurs – en hausse de plus de 45% sur un an, progresse déjà de près de 8% cette année (en dollars). Les grands producteurs de l’Île profitent pleinement du rebond manufacturier global et de la conversion accélérée du secteur automobile à l’électrique. La société TSMC1 à elle seule, a progressé de plus de 150% depuis un an et se retrouve pressée de toutes parts d’accélérer sa production.

Taipei se voit pressé d’accentuer ses efforts en faveur de ses alliés.

Taïwan se retrouve ainsi au centre d’une compétition industrielle avivée par la conjoncture récente et les tensions commerciales grandissantes entre la Chine et ses principaux partenaires commerciaux, à commencer par les Etats-Unis, qui menacent l’équilibre toujours fragile de sa position. Car derrière le paravent de l’isolement et de l’abandon, Taïwan a forgé au fil des années une intense coopération et même un co-développement avec le Continent, qui est de loin son principal partenaire commercial. Egalement tête de pont pour les industries américaines et européennes en Chine et fournisseur de leurs microprocesseurs, Taipei se voit pressé d’accentuer ses efforts en faveur de ses alliés.

Le 5 février, Taïwan et Washington ont tenu leur premier «dialogue économique» confirmant ainsi l’importance que l’Île revêt aux yeux des Etats-Unis de Joe Biden, par la poursuite du réchauffement des relations entre les deux pays et ce, sur tous les plans. 

Cependant, ce soutien plus ouvertement assumé – débuté sous l’Administration précédente –rassure autant qu’il peut inquiéter, s’il devait se traduire pour les industriels locaux par des choix irréversibles entre l’un ou l’autre camp. Car la Chine connaît également des tensions sur ses chaînes de production et a encore besoin des technologies taiwanaises. Mais pour combien de temps? Une partition des deux blocs risque surtout d’encourager les deux grands à accélérer le développement de leurs technologies, voire de leurs propres standards, ce qui aboutirait à terme pour l’un comme pour l’autre, à se passer de Taïwan.

Taïwan, la «scale-up nation», se tourne entre autres vers Israël, la «start-up nation».

Ainsi le défi qui se présente est autant politique qu’économique et technologique. Surnommée la «scale-up nation», Taïwan entend prendre les devants. Bloquée dans sa diplomatie d’alliances – le Guyana vient de céder aux injonctions de Pékin et renoncer à ses accords avec Taïwan – il se tourne entre autres vers Israël, la «start-up nation», à l’affût de nouveaux talents et partenariats de développement dans le domaine notamment de l’intelligence artificielle.

Depuis 1971 et son éviction de l’ONU au profit de la République Populaire, quasi universellement reconnue comme seul représentant de toute la Chine, Taïwan cultive l’art de s’ignorer et de se défier sans vraiment se menacer. Il en est de même pour le reste du monde – à l’exception de quelques rares pays qui reconnaissent encore officiellement l’Île – qui s’accommodent de cette «drôle» de relation. C’est ainsi que les deux pays pratiquent au plus haut degré, l’art multiséculaire du Cloisonné.

La mise au pas de Hong Kong, une revendication d’indépendance croissante à Taïwan, la pression américaine, pourraient-elles briser ce fragile équilibre? Pour Taipei, la voie est certainement étroite et ses dirigeants doivent souvent se rappeler combien pour vivre heureux, il vaut mieux vivre caché.

1 TSMC: Taiwan semiconductor manufacting co

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