Secteur bancaire: «On est très loin d’un monopole en Suisse»

Yves Hulmann

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Lors du 7e Private Banking Day, Philipp Rickenbacher, président de l’ABG, a souligné la grande diversité du secteur de la gestion de fortune en Suisse.

C’est dans un auditoire situé sur le campus de Novartis à Bâle que s’est déroulé jeudi le septième Private Banking Day, une manifestation organisée conjointement par l’Association de Banques Privées Suisses (ABPS) et l’Association de Banques Suisses de Gestion (ABG). L’occasion pour Philipp Rickenbacher, président de l’ABG et CEO de Julius Baer, de souligner les «considérables opportunités» qui existent actuellement dans le secteur de la gestion de fortune, un domaine d’activité où l’intelligence artificielle générative ne remplacera pas l’humain, est-il convaincu.

Quels sont les arguments qu’il citerait pour convaincre de jeunes diplômés de travailler à l’avenir dans la gestion de fortune? Philipp Rickenbacher mentionne trois aspects en particulier. «Premièrement, il est toujours passionnant de travailler dans un domaine où l’on est leader. Dans la gestion de fortune, la Suisse demeure leader mondial s’agissant des activités transfrontalières», a souligné le président de l’ABG lors d’un entretien accordé à Allnews.ch en marge de la conférence. Deuxième point évoqué: «Nous vivons un moment clé dans une industrie qui devra organiser le transfert à la prochaine génération d’actifs estimés à quelque 300 trillions de dollars au cours des prochaines années. C’est un moment charnière», juge-t-il. Troisième point: «Nous nous trouvons à un point d’inflexion au niveau technologique. C’est un moment idéal pour affirmer ses aptitudes et ses capacités pour l’avenir. La gestion de fortune deviendra aussi un domaine toujours davantage pluridisciplinaire», anticipe le président de l’ABG qui espère que ces différents arguments convainquent la relève de s’intéresser à ce secteur d’activité.

Sanctions contre la Russie: une meilleure coordination à l’international nécessaire

Dans l’immédiat, le Private Banking Day, consacré au thème de l’avenir de la neutralité suisse dans un monde polarisé, a aussi permis aux différents intervenants de débattre de la façon avec laquelle la Suisse peut continuer de rester neutre dans le contexte du conflit en Ukraine et de l’application des sanctions à l’encontre de la Russie. A ce sujet, Philipp Rickenbacher a estimé que la Suisse devait s’engager activement pour que les sanctions soient mieux coordonnées au niveau international, du moins entre Etats qui partagent les mêmes valeurs, et de veiller à ce qu’elles soient développées sur la base de l’Etat de droit. Il faut que les mesures liées aux sanctions soient «au moins coordonnées et harmonisées», a-t-il plaidé dans un discours d’introduction jeudi.

Craint-il que la Suisse en fasse davantage que les autres pays dans l’application de ces sanctions? «Seule une coordination efficace fait qu’elles pourront produire leurs effets», a-t-il poursuivi. En outre, il est indispensable que la sécurité juridique soit garantie pour tous les participants qui mettront en œuvre des sanctions, juge-t-il.

Il y a toujours plus de 100 banques de gestion de fortune en Suisse

Autre thème incontournable de l’édition 2023 de cette journée : quelles seront les conséquences de la reprise de Credit Suisse par UBS pour le secteur de la gestion de fortune et l’avenir de la place financière suisse face à une «nouvelle» UBS encore plus grande? A ce sujet, Philipp Rickenbacher ne craint pas que le nouveau numéro un bancaire helvétique ait une position trop dominante sur le marché suisse. «Nous sommes très très loin d’avoir un monopole dans le secteur bancaire», a-t-il estimé en marge de la conférence. «La gestion de fortune est un métier multi-local. Il n’est ni complètement local, ni complètement global, car il faut tenir compte des spécificités des réglementations nationales», explique-t-il. Selon le président de l’ABG, on a toujours opéré dans un système très compétitif en Suisse et cela le restera. «En Suisse, il y a toujours plus de 100 banques actives dans la gestion de fortune. Cette diversité caractérise le secteur de la gestion de fortune en Suisse», souligne-t-il. L’occasion aussi pour Philipp Rickenbacher de revenir sur l’essor des acteurs de ce secteur au cours des deux dernières décennies. «En dix ou quinze ans, plusieurs gérants de fortune en Suisse ont doublé leurs actifs sous gestion. J’ai largement confiance en la capacité de notre secteur à pouvoir continuer de ses développer au cours des prochaines années», a-t-il mis en perspective.

Sigmar Gabriel: la majorité du monde n’est pas disposée à soutenir l’Occident

Consacré au thème de la neutralité dans un monde polarisé, le septième Private Banking Day qui s’est tenu jeudi à Bâle a donné la parole à un expert de premier plan des questions de géopolitique européenne et mondiale en la personne de Sigmar Gabriel. Dans une longue analyse, l’ancien vice-chancelier et ministre des affaires étrangères allemand, a tenu à rappeler que les équilibres mondiaux ont connu des points de rupture au cours des derniers siècles. Ainsi, alors que Venise dominait les échanges commerciaux entre l’Europe et le Moyen-Orient jusqu’au XVe siècle, la ville marchande s’est faite supplantée par le Portugal et l’Espagne en l’espace de quelques décennies lorsque les voies maritimes se sont réorientés vers l’Atlantique.

Faut-il en déduire que le même sort pourrait être réservé à l’Europe et à l’alliance transatlantique? Ce n’est pas le propos de l’ancien ministre des affaires étrangères allemand. Il a néanmoins tenu à souligner, concernant la situation en Ukraine que la majorité du monde n’est pas prête à soutenir l’Occident dans ses efforts visant à repousser la Russie. Il a aussi estimé qu’il faudra encore attendre longtemps avant que l’Europe ne devienne vraiment une puissance sur le plan militaire. Et quel est son avis sur la position de la Suisse en tant qu’Etat neutre? Sigmar Gabriel a admis que cette question n’est pas simple à résoudre mais que la Suisse ne peut pas simplement rester à l’écart des développements en cours en lien avec ce conflit.

Hans-Ueli Vogt: on a plus que jamais besoin d’Etats neutres

Dans une table-ronde séparée, plusieurs experts ont échangé leurs vues sur cette question. Pour Hans-Ueli Vogt, membre du comité de l’initiative sur la neutralité et ancien Conseiller national UDC, c’est justement la complexité actuelle de la situation en lien avec le conflit en Ukraine qui démontre la nécessité qu’il y ait encore des Etats neutres. Selon lui, ce sont précisément les Etats neutres qui ont la capacité de pouvoir négocier entre les différents blocs qui s’opposent. Que se passerait-il si la Chine devait envahir Taïwan? A ce sujet, Elisabeth Schneider-Schneiter, présidente de la chambre de commerce des deux Bâle et Conseillère nationale du Centre, estime que la Suisse devrait dans un tel cas affronter une crise d’une ampleur encore beaucoup plus grande, qui remettrait aussi en question ses relations économiques avec la Chine.

Au sujet des accords commerciaux entre la Suisse et d’autres pays, Monika Rühl, présidente de la direction d’Economiesuisse observe qu’il est devenu de plus en plus difficile pour la Suisse de conclure des accords de libre-échange avec de nouveaux pays. Dans ce contexte, elle préconise que la Suisse clarifie au plus vite ses relations avec l’UE, son principal partenaire économique.

Karin Keller-Sutter: le succès de la place financière suisse n’est pas un acquis
S’exprimant vers la fin de l’événement, la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter a dressé un bilan positif de la reprise de Credit Suisse par UBS, estimant que la deuxième banque du pays n’aurait pas survécu un jour de plus si la Confédération et la BNS n’étaient pas intervenus à la mi-mars. Si elle considère que la compétitivité de la place financière suisse reste excellente, cette situation ne doit jamais être considérée comme un acquis, son succès n’étant «pas tombé du ciel», a-t-elle tenu à rappeler.

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