Reflation économique, inflation et hausse des rendements

Andrea Siviero, Ethenea Independent Investors

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La reflation se définit généralement comme la phase initiale d’une reprise économique après une période de contraction ou de déflation.

Depuis la fin 2020, économistes et financierss n’ont plus que le mot «reflation» à la bouche. Les marchés suivent avec attention les anticipations de hausse de l’inflation et évaluent l’impact de la reprise cyclique sur les rendements des emprunts d’Etat et les mesures des banques centrales. Mais pourquoi est-ce aussi important et quelles pourraient être les répercussions des évolutions macroéconomiques actuelles sur les marchés dans les trimestres à venir?

Ne confondons pas reflation et inflation

Afin de comprendre pourquoi la reflation suscite actuellement autant de débats, nous devons d’abord saisir ce que signifie ce terme, ce qu’est un environnement reflationniste et ce qui le distingue d’un environnement inflationniste.

La reflation se définit généralement comme la phase initiale d’une reprise économique après une période de contraction1 ou de déflation2. Elle englobe également la perspective d’un retour progressif de la production et de l’inflation à leurs tendances à long terme après une récession ou un choc déflationniste (comme celui provoqué par la pandémie par exemple).

Même si un environnement reflationniste s’accompagne d’une hausse de l’inflation, cette évolution est généralement considérée comme positive pour l’économie mondiale puisqu’elle va de pair avec un retour à la normale. Un environnement reflationniste se caractérise par une hausse de la demande globale, une situation proche du plein emploi et un niveau de prix qui se rapproche progressivement de l’objectif de 2% des banques centrales.

A contrario, un environnement inflationniste implique une augmentation progressive du niveau général des prix à un moment où l’économie fonctionne à plein régime. Une reflation est donc considérée comme une évolution positive, contrairement à une inflation standard, car dans ce cas de figure, la hausse des prix tend à dépasser les tendances à long terme et les objectifs des banques centrales.

En 2020, les autorités monétaires et budgétaires du monde entier ont engagé des mesures de soutien sans précédent afin de contrer les forces déflationnistes provoquées par la pandémie et éviter que la récession mondiale ne se transforme en dépression. Conjuguées au développement puis au déploiement progressif de vaccins contre la Covid-19, ces mesures de relance ont jeté les bases d’un environnement reflationniste en 2021.

Perspectives d’inflation et de reflation à moyen terme

En 2020, l’économie mondiale s’est contractée d’environ 3,5%. Compte tenu du soutien politique exceptionnel et du déploiement des vaccins, le FMI table désormais sur une croissance économique mondiale d’environ 5,5% pour l’année 2021. Sauf chocs supplémentaires ou corrections imprévues, l’environnement reflationniste devrait fournir un soutien appuyé à la croissance économique. En 2021 également, cette croissance restera toutefois hétérogène sur le plan régional et tributaire de l’évolution de la pandémie.

Depuis la crise financière mondiale de 2008, les taux d’inflation dans les économies avancées se sont maintenus à de bas niveaux sur une longue période. De nombreux pays ont connu des phases de croissance négative des prix. Quand la pandémie a touché l’économie mondiale, l’inflation n’avait pas encore renoué avec ses niveaux d’avant-crise.

Au premier semestre 2021, la hausse des prix de l’énergie et des matières premières, les contraintes en matière d’offre et un effet de base positif tireront l’inflation vers le haut dans les économies avancées. Nous estimons que l’inflation atteindra son point culminant au deuxième trimestre, mais qu’elle devrait globalement rester modérée à court terme. En cause, un écart de production négatif, des freins structurels (démographie, mondialisation et technologie) et un déséquilibre croissant entre épargne et investissement. Dans la mesure où l’inflation est actuellement inférieure à son niveau cible, les banques centrales des économies développées devraient faire abstraction des poussées inflationnistes provisoires et maintenir leur politique accommodante durant une longue période (low for long).

Quelles répercussions pour les marchés financiers?

Un environnement reflationniste caractérisé par une reprise conjoncturelle cyclique, une politique macroéconomique extrêmement accommodante et une hausse modérée des prix est considéré comme favorable aux marchés actions et aux actifs risqués en général.

Les indices d’actions phares ont décollé de leurs points bas atteints en mars 2020, gagnant près de 75% pour s’établir à de nouveaux sommets inédits en mars de cette année. Le rebond des actions a été soutenu par la vague de liquidités initiée par les banques centrales et l’amélioration des perspectives conjoncturelles. L’élection de Joe Biden, la perspective de mesures de relance budgétaire supplémentaires aux Etats-Unis et la mise au point de vaccins contre la Covid-19 ont alimenté la dynamique reflationniste, déclenchant des paris sur la reflation.

Ces reflation trades ont tendance à favoriser les actifs corrélés à une accélération de la croissance économique. Par ailleurs, ils soutiennent généralement une rotation au profit des actifs qui ont le plus souffert pendant la phase de récession. Les actions et les matières premières ont tendance à surperformer les autres marchés, tout comme les actions des pays émergents par rapport à leurs homologues des pays développés, ou encore les petites capitalisations et les secteurs cycliques face aux grandes capitalisations et aux valeurs de croissance. En période de reflation, les perspectives de croissance et les anticipations de hausse de l’inflation se traduisent par une hausse des rendements des emprunts d’Etat et la surperformance des obligations à haut rendement par rapport aux titres investment grade. En règle générale, les cycles de reprise et de reflation vont également de pair avec la dépréciation des devises refuges (dollar américain, yen japonais, franc suisse) dans la mesure où les flux d’investissement sont orientés vers des régions présentant de meilleures perspectives de croissance et des taux d’intérêt supérieurs.

Il ne faut pas perdre de vue les risques potentiels à l'horizon

Au fil du temps, un scénario reflationniste comporte aussi des risques pour les marchés financiers.

Conjuguée à la reprise économique progressive et à l’amélioration des données conjoncturelles aux Etats-Unis, l’adoption du programme d’aide américain à hauteur de 1900 milliards USD a entraîné une augmentation des anticipations d’inflation et la hausse brutale des rendements souverains. Le rendement des bons du Trésor à 10 ans a ainsi bondi à 1,7% à la fin du premier trimestre 2021 (contre 0,9% fin 2020) avant de redescendre légèrement (1,6%). Les rendements des emprunts d’Etat européens ont suivi une évolution similaire, se rapprochant de leurs niveaux d’avant la pandémie.

Depuis la mi-février, les valorisations boursières excessives combinées au frémissement de l’inflation et à la hausse brutale des rendements obligataires ont déclenché des turbulences le temps pour les marchés actions de «digérer» la hausse des taux d’intérêt. Aux Etats-Unis, la résurgence de l’inflation a fait craindre aux investisseurs que la Fed ne durcisse sa politique plus tôt que prévu.
La hausse des rendements constitue actuellement l’un des principaux risques pour les marchés financiers. Une augmentation durable et significative des taux longs américains pourrait compromettre la reprise cyclique amorcée, mettre un coup d’arrêt à la tendance haussière des marchés et réduire à néant les reflation trades. En outre, le risque posé par la hausse des rendements américains pourrait également soutenir le dollar américain et rediriger les flux d’investissement vers les Etats-Unis au détriment des pays émergents. Même si l’environnement reflationniste reste intact, le potentiel de gains supplémentaires sur les actifs risqués a diminué.

La réaction des grandes banques centrales

Nous avons constaté des différences dans la façon dont les grandes banques centrales ont réagi au durcissement des conditions financières. A l’origine de cet écart, une situation et des caractéristiques structurelles propres aux Etats-Unis et à la zone euro.

Aux Etats-Unis, le soutien budgétaire sans précédent, le rythme effréné de la campagne de vaccination et le redémarrage progressif de l’économie ont amélioré les prévisions de croissance et expliquent pourquoi la reprise conjoncturelle résiste mieux à la hausse des rendements à long terme.

La Fed considère la pentification de la courbe de taux comme une évolution positive. En conséquence, elle a récemment relevé à 6,5% ses prévisions de croissance pour l’économie américaine en 2021. La Fed applique une certaine marge de tolérance en matière de hausse des taux d’intérêt et n’est pour l’instant pas intervenue pour les faire baisser. Une augmentation modérée des taux à long terme ne devrait pas nuire à la reprise cyclique et à la pentification de la courbe qui en découle. Au contraire, elle pourrait favoriser l’intermédiation financière et contribuer à la stabilité financière. Toutefois, la Fed a clairement indiqué qu’elle interviendrait pour freiner toute hausse notable et injustifiée des rendements souverains afin d’éviter la répétition du grand désordre que nous avons connu en mars 2020.
En l’absence de pressions inflationnistes durables et compte tenu du fait que l’économie est encore loin du plein emploi, la Fed s’est depuis prononcée contre un durcissement prématuré de sa politique monétaire et réaffirmé qu’elle maintiendrait pour l’instant une position accommodante.

La situation est toute autre dans la zone euro. Bien que les rendements des emprunts d’Etat aient également augmenté en 2021 face aux perspectives de reprise cyclique, la situation macroéconomique y est beaucoup plus fragile et le cadre institutionnel plus complexe.

La reprise en Europe est freinée par des taux de contamination plus élevés, les mesures de reconfinement et la progression beaucoup plus lente de la campagne de vaccination. Le programme de relance budgétaire de la zone euro est bien moins généreux que celui adopté par le Congrès américain, sa mise en œuvre et son impact économique mettront donc plus de temps à se matérialiser. Enfin, les divergences régionales et le risque que l’écart de taux ne se creuse entre le centre de l’UE et sa périphérie sont particulièrement préoccupants.
En conséquence, il n’est pas surprenant que la BCE ait réagi avec fermeté pour prévenir une nouvelle hausse des coûts de financement pour les emprunts d’Etat susceptible d’entraîner un durcissement des conditions financières. Elle s’est en outre récemment engagée à accélérer le rythme de son programme d’achat pour circonscrire la hausse des taux. Selon nous, la BCE devrait durablement maintenir le cap de sa politique monétaire ultra-accommodante.

A quoi pouvons-nous donc nous attendre prochainement?

L’environnement reflationniste devrait permettre aux taux à long terme de quitter les bas niveaux de l’année dernière. Ce durcissement progressif des conditions financières pourrait se traduire par de nouveaux accès de volatilité et des vagues de turbulences sur les marchés.

Toutefois, nous estimons que les reflation trades accompagnant la reprise cyclique ont encore de beaux jours devant eux. Pourquoi? Tout d’abord, la hausse des rendements à long terme reflète une nette amélioration des perspectives de croissance mondiales. Ensuite, le soutien politique sans précédent rend cette reprise moins sensible à l’évolution des taux d’intérêt que ce n’était le cas les cycles précédents. Autre point à considérer : l’inflation devrait rester durablement modérée et les banques centrales maintiendront une politique monétaire ultra-accommodante pendant une longue période. Enfin, les taux d’intérêt sont toujours historiquement bas. Les entreprises se sont refinancées à des conditions très favorables et le rebond économique amplifiera leurs bénéfices.

Selon nous, le scénario de croissance sera différent aux Etats-Unis et en Europe. Par ailleurs, la Fed et la BCE suivent des approches différentes qui ont malgré tout contribué au même résultat, à savoir l’accroissement du différentiel de rendement entre les bons du Trésor américain et les emprunts d’Etat européens depuis le début de l’année. Bien que le dollar américain ait perdu près de 11% de sa valeur en 2020, ces évolutions ont freiné la chute (largement attendue) du billet vert. Les trajectoires de croissance divergentes des Etats-Unis et de l’Europe ainsi que l’élargissement du différentiel de rendement pourraient ralentir cette tendance, voire soutenir le dollar américain. Ceci mettrait en péril certains des reflation trades les plus prisés (p. ex. les prix des matières premières et le cycle conjoncturel des marchés émergents). Il semble donc certain que nous entendrons parler de reflation, d’inflation et de leur impact sur les marchés encore un certain temps.

 

1 Une phase de contraction est une période durant laquelle le PIB réel diminue consécutivement sur deux trimestres ou plus. Elle peut également être associée à une baisse du taux d'inflation et à une hausse du taux de chômage.
2 Une phase déflationniste se caractérise par une baisse généralisée des prix des biens et services.

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