Rachats d’actions: quelle importance pour la hausse des actions US?

Marco Bonaviri, Banque REYL

3 minutes de lecture

Sur un an, près de 45% des montants rachetés l’ont été par 20 entreprises. Une telle concentration ne peut bénéficier à l’ensemble du marché.

Les rachats d’actions sont un sujet brûlant cette année aux Etats-Unis et font régulièrement les grands titres, à coup d’histoires arguant que la bourse ne tient que grâce à eux ou qu’ils accroissent les inégalités sociales. Sans entrer dans ce débat stérile, il s’avère que le dogme dominant à Wall Street est que les sociétés américaines rachètent massivement leurs actions, contribuant ainsi à la hausse du marché. Car lorsqu’une entreprise rachète ses propres actions, elle réduit le nombre d’actions en circulation et augmente ainsi le bénéfice par action, offrant une rémunération pour les actionnaires restants et portant, en théorie, à une hausse du cours de bourse. Sachant que trois quarts des entreprises du S&P 500 ont des programmes de rachat d’actions, il n’y a qu’un pas à franchir pour conclure de leur importance. Qu’en est-il vraiment?

Depuis le début de ce cycle boursier, les programmes de rachat d’actions ont été une thématique récurrente aux Etats-Unis, conséquence notamment de la croissance des bénéfices, de l’augmentation du levier financier et, plus récemment, de la réforme fiscale. Il s’avère que depuis plusieurs années maintenant la première source de demande d’actions aux Etats-Unis provient des entreprises elles-mêmes, via les programmes de rachat d’actions, surpassant la demande des ETFs. Selon JP Morgan1, depuis 2008 le montant cumulé des rachats d’actions exécutés aux Etats-Unis est de 4.5 trillions de dollars, soit équivalent à 30% de l’augmentation de la capitalisation boursière sur cette période, donnant ainsi la mesure de l’ampleur des programmes de rachat d’actions. Sur les douze derniers mois, nous estimons la valeur des rachats d’actions effectués à 640 milliards de dollars, une hausse de 30% par rapport aux 12 mois précédents2. Pour l’ensemble de 2018, les rachats pourraient même grimper de plus de 40% par rapport à 2017 et dépasser les 800 milliards de dollars. Et pour 2019 Goldman Sachs estime que les rachats devraient encore progresser de plus de 20% et avoisiner le trillion de dollars3, un record historique. Ces montants sont faramineux, et d’autant plus significatifs que les rachats d’actions devraient constituer cette année et l’an prochain la plus importante utilisation des liquidités (devançant les dépenses d’investissement), ce pour la première fois depuis 2007. Avec un ratio de liquidités sur actifs proche des plus hauts historiques à 12%, les entreprises américaines ont amplement les moyens de déployer d’ambitieux programmes de rachat d’actions.

La réforme fiscale américaine votée par l’administration Trump en décembre 2017, une des plus importante de l’histoire des Etats-Unis, y est pour beaucoup : elle a notamment abaissé l’impôt sur les sociétés de 35% à 21% et a permis aux multinationales de rapatrier les liquidités détenues à l’étranger (estimées à plus de 2.5 trillions de dollars) à un taux d’imposition préférentiel. Après trois trimestres, il semblerait que la moitié des montants effectivement rapatriés ait été utilisée pour augmenter ou lancer des programmes de rachat d’actions, d’où leur augmentation spectaculaire sur 2018 et 2019. Pour preuve, la proportion des rachats exécutés en 2018 financés par de la dette est passée sous les 15% contre plus de 30% en 2017.

«La valeur des actions rachetées sur les douze derniers mois ne représente
que 2,7% de la capitalisation boursière actuelle du S&P 500.»

Nous ne partageons néanmoins pas l’engouement actuel pour les rachats d’actions. Premièrement, sur les douze derniers mois, près de 45% des montants rachetés l’ont été par 20 entreprises, avec en trio de tête Apple, Oracle et JP Morgan. Une telle concentration ne peut bénéficier à l’ensemble du marché. Deuxièmement, bien que le niveau des rachats soit au plus haut historique, il ne faut pas oublier que la valeur du marché l’est également et la capitalisation boursière de l’indice S&P 500 a dépassé pour la première fois les 25 trillions de dollars juste avant la correction d’octobre. La valeur des actions rachetées sur les douze derniers mois, aussi exorbitant que le montant paraisse, ne représente ainsi que 2.7% de la capitalisation boursière actuelle du S&P 500, loin derrière les pics atteints en 2007 et 2013 au-delà des 5%. Enfin, une stratégie privilégiant les titres avec un rendement de rachat (montant racheté sur 12 mois roulants/capitalisation boursière; buyback yield) élevé présente des risques importants. Ces sociétés ont souvent profité des taux bas d’après crise afin de financer leurs programmes de rachat d’actions ambitieux et sont donc aujourd’hui plus fortement endettées que la moyenne comme le montre le ratio d’endettement (dette nette/ebitda) de l’indice S&P 500 Buyback4. Dans le contexte actuel de taux qui montent, ces sociétés commencent à être pénalisées par les investisseurs.

A priori, si les rachats d’actions soutiennent de manière importante la hausse des bourses, les actions ayant un rendement de rachat élevé surperforment le marché. Nos tests démontrent effectivement qu’une stratégie de sélection des 100 titres du S&P 500 ayant le rendement de rachat le plus élevé5 a été largement payante depuis le début du marché haussier en mars 2009. La surperformance annuelle de cette stratégie en version équipondérée a été de 11% et celle de la version pondérée par la capitalisation boursière de 4%. Néanmoins l’écart de suivi (tracking error ) de ces portefeuilles avec l’indice S&P 500 est élevé6 et la performance relative résulte en grande partie des déviations sectorielles7. Pour mieux juger de la pertinence intrinsèque des rachats d’actions en tant que facteur de risque, nous divisons l’univers en quintiles sur la base du rendement de rachat et neutralisons les secteurs. Avec cette approche, nous ne pouvons conclure à une valeur ajoutée des rachats d’actions. En effet, dans les 4 versions testées8, une seule a présenté un profil de surperformance convainquant. Des programmes de rachats d’actions d’envergure ne suffisent tout simplement plus aux entreprises pour battre le marché.

Les rachats d’actions sont un facteur technique, certes positif, mais qui n’est présentement qu’un petit rouage du mécanisme de la hausse des actions. Bien que leur valeur en 2018 et 2019 atteigne des sommets historiques et fasse l’affaire des médias, les rachats sont concentrés sur quelques entreprises mastodontes et restent modestes ramenés à l’échelle du marché des actions américaines. Quant à la valeur ajoutée d’une stratégie de sélection d’actions basée sur les rachats d’actions, elle découle très probablement plus de l’exposition sectorielle que de la valeur intrinsèque de ce facteur de risque. Finalement, la poursuite de la hausse du marché repose selon nous avant tout sur la croissance des ventes et des bénéfices, et donc sur la robustesse du cycle économique au moment où les marges sont déjà très élevées. 

 

1 Source: JP Morgan, US Equity Strategy, 18 octobre 2018
2 Sources: Reyl & Cie, Bloomberg
3 Source : Goldman Sachs, Portfolio Strategy Research,  4 octobre 2018 
4 100 titres du S&P 500 présentant le rendement de rachat le plus élevé, retardé d’un trimestre, rebalancé trimestriellement, équipondéré
5 100 titres du S&P 500 présentant le rendement de rachat le plus élevé, rebalancé mensuellement, équipondéré
6 2.9% pour le portefeuille pondéré par la capitalisation boursière et 4.2% pour le portefeuille équipondéré
7 Au 26.10.2018 les 5 plus fortes déviations sectorielles sont la consommation discrétionnaire (+9.5%), les  financières (+9.2%), les industrielles (+6.2%), les services de communications (-6.8%), la technologie (-5.7%)
8 Rebalancement mensuel et semi-annuel, équipondéré et pondéré par la capitalisation boursière

A lire aussi...