Qui est irréfléchi?

Martin Neff, Raiffeisen

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Les investissements dans l’immobilier résidentiel sont extrêmement attrayants et pas seulement aujourd’hui.

Je n’en ai pas cru mes yeux lorsque j’ai lu une nouvelle dans Finews.ch, il y a à peine trois semaines, selon laquelle UBS se préoccupait des «investisseurs immobiliers irréfléchis». Apparemment mon homologue chez UBS a estimé que les investisseurs institutionnels construisaient actuellement des logements sans la moindre réflexion. Il est difficile d’être plus clair quand on estime que la stupidité est à l’œuvre. Cela me paraît suffisant pour approfondir la question.

La nouvelle dans Finews.ch ne se rapporte pas au marché de la propriété du logement, mais à celui des immeubles de rapport. Je le précise car la BNS et la surveillance des marchés financiers ont déjà commencé à tirer la sonnette d’alarme sur le marché immobilier dès 2010. A l’époque, c’est avant tout le marché de la propriété du logement à usage propre qui les inquiétait. UBS s’est ultérieurement associée à ces craintes, son Swiss Real Estate Bubble Index se positionnant dans la zone dite à risque, quelle que puisse en être la signification concrète. A ce jour, la bulle du logement en propriété n’a toutefois pas éclaté et les raisons en sont multiples, comme j’ai déjà pu l’expliquer à de nombreuses occasions. Le boom du logement en propriété n’avait (et n’a toujours) pas de base spéculative. Seuls des utilisateurs et non des acquéreurs spéculant à la hausse ont acheté (et achètent encore). L’octroi de crédit était beaucoup moins laxiste qu’à la fin des années 1980 et la différence entre la charge d’intérêts théorique (à savoir la charge à laquelle les banques s’attendent [doivent s’attendre]) et la charge d’intérêts effective, autrement dit la charge d’intérêts réelle, des acquéreurs de logements en propriété n’a encore jamais été aussi élevée qu’aujourd’hui. Pour finir, il ne s’agissait pas du cycle du porc classique, mais d’un ralentissement sensible de l’activité de construction dans le segment du logement en propriété.

Les mises en garde font les gros titres 

Ce n’est pas pour autant qu’il y a par exemple eu une fin d’alerte discrète. Les alertes se sont en revanche bruyamment reportées sur le marché des immeubles de rapport. Ceux qui recherchent les gros titres trouvent évidemment une oreille plus attentive dans les médias, lorsqu’ils mettent en garde contre la fin du monde plutôt que de s’exprimer normalement. C’est ainsi que l’on retrouve toujours les mêmes acteurs en mode alerte que ces sept dernières années. Depuis que le décompte des logements vacants à l’été a révélé une valeur de 1,6%, les nouvelles négatives concernant le marché des logements locatifs se multiplient. C’est totalement exagéré, car un certain taux de vacances est requis sur un marché du logement qui fonctionne, puisque les logements ne sont pas fabriqués «just in time» et ne sont pas disponibles du jour au lendemain à l’endroit où se manifeste la demande. Le taux de logements vacants de 1,6% (il devrait être légèrement supérieur à 2% pour les logements locatifs) n’est donc pas aussi inquiétant que le pensent certains observateurs du marché. Quand on pense que les taux de défaillance des loyers de 5% ne sont pas rares dans les portefeuilles des investisseurs professionnels, ce taux de 1,6% prend une toute autre dimension. Mais les médias occultent la question, il faut dire qu’elle n’a rien de spectaculaire.

L’immobilier constitue la meilleure alternative
aux emprunts à revenu fixe. 

Je puis assurer aux investisseurs professionnels que leur démarche n’a rien de stupide. L’investissement dans des logements locatifs est certes beaucoup moins lucratif que par le passé, mais seuls les petits investisseurs, souvent privés, sont tout au plus susceptibles de prendre des risques, car ils effectuent des investissements individuels et ne sont pas en mesure de se diversifier faute de portefeuille existant. Celui qui se positionne maintenant sur le marché en tant que «néophyte» et a le malheur d’investir au mauvais endroit et/ou dans le mauvais objet risque en effet de se brûler les doigts. Car le taux de 1,6% représente bien sûr une valeur moyenne nationale, qui est parfois beaucoup plus élevée. Le bilan n’est bien sûr pas du tout le même lorsque le taux de vacances ressort à 10% ou plus. Mais même cela n’est pas dramatique pour les investisseurs institutionnels. Dans le contexte d’un portefeuille, même un investissement aussi mauvais est supportable. Qui plus est, la question des investissements alternatifs se pose également, la politique des taux d’intérêt peu orthodoxe des banques centrales ayant écarté la catégorie de placement la plus importante. Les emprunts en francs ne génèrent pour ainsi dire plus aucun rendement et l’immobilier est ce qui s’en rapproche le plus en termes de profil de risque-rendement. Il constitue par conséquent la meilleure alternative aux emprunts à revenu fixe. Qui a envie que sa caisse de pension investisse à 100% en actions, hedge funds ou matières premières?

Vide de sens mais pas stupide 

Nous ne le répéterons jamais assez. Les investissements dans l’immobilier résidentiel sont extrêmement attrayants et pas seulement aujourd’hui. On peut comprendre que les professionnels de longue date jugent les rendements de l’immobilier résidentiel médiocres, car les rendements bruts de 6% ou plus appartiennent depuis longtemps au passé. Mais c’est également le cas des emprunts de la Confédération (à 10 ans) de 5% ou plus. En termes nets, l’attrait des investissements immobiliers est même imbattable aujourd’hui. L’écart, autrement dit la différence entre le rendement net (p. ex. le rendement brut moins les frais de gestion, d’exploitation et d’entretien et les provisions) d’un investissement dans un immeuble locatif est aujourd’hui de plus 2,8%. A la fin des années 1980, il était de moins 2,4%. L’avance en termes de rendement des titres à revenu fixe a non seulement été vidée de sa substance, mais littéralement pulvérisée. Vide de sens n’est donc pas stupide.

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