«Nous restons positifs à propos des IPO en 2024»

Yves Hulmann

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Jos Dijsselhof, CEO de SIX, ne voit aucune raison pour laquelle la fenêtre des introductions en bourse ne resterait pas ouverte cette année.

©Keystone

 

Avec les introductions en bourse successives de Galderma sur la SIX Swiss Exchange, fin mars, puis celle de Puig à la Bourse de Madrid (Bolsas y Mercados Espanoles, BME), début mai, le groupe SIX a accueilli les deux plus grandes IPO («initial public offering») qui ont eu lieu cette année en Europe, et même dans le monde comme le souligne l’exploitant des bourses suisse et espagnole. Quelles sont les attentes de SIX pour le reste de l’année concernant les introductions en bourse et quels les implications de la numérisation sur l’évolution des activités du groupe? Le point avec Jos Dijsselhof, CEO de SIX depuis 2018.

Avec l’entrée en bourse de Galderma en mars, la bourse suisse a accueilli la plus grande IPO en Europe réalisée depuis le début de cette année. Avez-vous été surpris par l’accélération des événements à la fin du premier trimestre, en net contraste avec la quasi absence de nouvelles cotations en bourse durant le dernier trimestre de 2023?

Si nous revenons à 2023, il ne serait pas correct d’affirmer qu’il n’y a pratiquement pas eu d’activité concernant les entrées en bourse en Suisse. En effet, 8 sociétés chinoises ont réalisé une cotation secondaire en Suisse au moyen de Global Depositary Receipt, à quoi s’est ajoutée une conversion d’une SPAC et une scission d’entreprise («spin-off»). Vers la fin de l’an dernier, on pouvait déjà s’attendre à ce que 2024 soit une meilleure année pour les entrées en bourse en Suisse car il y avait de nombreux préparatifs qui étaient déjà en cours. Le pipeline de candidats à l’entrée en bourse a recommencé à se constituer dès la fin de l’an dernier. Néanmoins, l’IPO de Galderma en mars a été la plus grande introduction en bourse au premier trimestre, non seulement en Europe mais aussi sur le plan mondial. Je voudrais encore mentionner ici que nous avons également eu l’une des plus grandes IPO avec Puig en Espagne. Ainsi, en 2024, les plus grandes IPO mondiales ont eu lieu sur nos plateformes.

«En 2024, les plus grandes IPO mondiales ont eu lieu sur nos plateformes.»

Dans le fond, quelles sont les conditions qui incitent les entreprises qui envisagent une cotation en bourse à franchir le pas, ou à attendre?

Plusieurs critères entrent en ligne de compte. Il y a les niveaux de valorisation sur les marchés, le retour à un environnement de marché stable et si possible une volatilité pas trop élevée. Quand tous ces critères sont réunis, les entreprises bien préparées se décident ensuite parfois très rapidement.

Qu'anticipez-vous pour le deuxième semestre de 2024?

Dans l’ensemble, l’environnement de marché actuel reste favorable pour les entrées en bourse. Maintenant, il y a toujours à la fois des facteurs positifs et négatifs dont il faut tenir compte. Côté négatif, on ne peut ignorer les risques géopolitiques, qu’il s’agisse de la situation en Ukraine, en Israël ou des tensions entre la Chine et Taïwan. Toute nouvelle tension sur le plan géopolitique n’aiderait pas. Côté positif, on peut affirmer en quelque sorte que l’offre d’entreprises intéressées à lever des capitaux reste importante. Nous restons globalement positifs à propos des IPO en 2024. Je ne vois aucune raison pour laquelle la fenêtre des IPO ne resterait pas ouverte cette année.

Qu’en est-il de l’incertitude concernant l’évolution des taux d’intérêt et des décisions de politique monétaire qui seront annoncées par les banques centrales ces prochains mois?

Je pense que s’il y avait une baisse de taux – même une seule baisse d’un quart de point – annoncée par la Fed et la BCE cette année, cela serait quand même positif pour les marchés. Pour les entreprises qui veulent effectuer une entrée en bourse, l’important est surtout de disposer d’une bonne visibilité de l’environnement macroéconomique. Plus les conditions sont claires, mieux c’est pour les entreprises car elles peuvent planifier en conséquence.  

«La Bourse de Madrid a contribué à 18% du chiffre d’affaires de SIX et à 34% de l’EBITDA total en 2023.»

Quel est le profil des sociétés les plus susceptibles d’effectuer une cotation en bourse en Suisse et y a-t-il des secteurs d’activités qui sont davantage favoris que d’autres?

Je ne pense pas que l’on puisse dire que tel ou tel secteur soit davantage propice pour les entrées en bourse actuellement, du moins pas en Suisse. Au contraire, les candidats potentiels à l’IPO reflètent plutôt la structure de l’économie suisse et son développement. A cela s’ajoutent des situations particulières liées au parcours de telle ou telle société.

En même temps, il y a aussi eu le spin-off annoncé en janvier d’une partie des activités de Holcim, qui préférera coter une partie de ses activités aux Etats-Unis. Ces scissions d’une partie d’une société, tout comme les opérations de «going private», constituent-ils une menace pour le développement futur de la Bourse suisse?

Je ne pense pas que l’on puisse affirmer qu’il s’agisse d’une tendance de fond ou d’un risque considérable pour la place boursière helvétique. Holcim a décidé de scinder ses activités américaines du reste du groupe car l’entreprise est très présente sur ce marché. C’est une décision spécifique à cette entreprise, non pas une tendance générale.  

Concernant les entreprises chinoises cotées en Suisse via des certificats de dépôt global, ou Global Depositary Receipt (GDR) en anglais, quelle l’intérêt pour SIX d’accueillir de telles sociétés qui représentent des volumes de cotation plutôt faibles?

Les 8 sociétés chinoises qui ont choisi une cotation sous forme de GDR en Suisse en 2023 pour un volume de transaction de 2,4 milliards de dollars sont venues s’ajouter aux 9 entreprises chinoises qui ont opté pour une cotation secondaire en 2022 (volume de 3,2 milliards). En comparaison des volumes levés par une entreprise comme Galderma, les volumes échangés sur les GDR n’apparaissent pas spectaculaires mais ils ne sont pas négligeables non plus. En outre, il faut aussi être conscient qu’il ne s’agit pas de petites PME mais de sociétés chinoises disposant déjà d’une certaine taille, similaire à nombre d’entreprises suisses cotées sur le SMI. Les sociétés qui ont opté pour de tels certificats en Suisse ont déjà une certaine taille et si elles choisissent d’avoir une cotation en Europe, c’est souvent parce qu’elles ont l’intention de développer leurs activités sur le Vieux Continent.

Pourquoi ces sociétés chinoises choisissent-elles la Suisse?

Plusieurs aspects parlent en faveur de la Suisse. Il y a eu historiquement de bonnes relations entre les gouvernements suisse et chinois depuis longtemps. Toutes les entreprises chinoises cotées en Suisse via un GDR sont des sociétés qui poursuivent une expansion de leurs activités à l’internationale, notamment en Europe. La position centrale de la Suisse est un atout sur ce plan. Par ailleurs, beaucoup de ces entreprises ont des activités qui ont un lien avec la durabilité. A cet égard aussi, l’image de qualité, d’un environnement propre associée à la Suisse joue certainement un rôle positif. Enfin, l’environnement économique stable et la stabilité du franc sont aussi des aspects positifs pour des sociétés qui optent pour une cotation secondaire à l’étranger.

«Une solution est d’installer, dans certains endroits, un bancomat ou ATM en anglais, commun à toutes les banques, l’approche que l’on appelle ATM Pooling.»

Pour SIX elle-même, quel est l’apport de la cotation des GDR de ces sociétés?

En termes de revenus proprement dits, ce n’est pas encore une grande source de chiffre d’affaires. Néanmoins, il est toujours important de garder une perspective de long terme. Parfois, un segment d’activité débute modestement puis continue à se développer par la suite.

La Bourse de Madrid, rachetée en 2020 et gérée depuis par SIX, a accueilli la plus grande IPO en Europe et dans le monde au deuxième trimestre cette année. Est-il envisageable que SIX procède à une nouvelle acquisition de même type ailleurs en Europe?

Deux conditions doivent être remplies pour effectuer une acquisition. La première est qu’il y ait une société mise en vente – or, il n’arrive pas tous les jours qu’une société de la taille de la Bourse de Madrid soit mise en vente. La deuxième est d’avoir les ressources nécessaires pour gérer l’intégration de la société rachetée. Il est donc peu probable que nous fassions une acquisition d'une entreprise d’une telle dimension tous les deux ans. Cela dit, nous tirons un bilan très positif de l’acquisition de la Bourse de Madrid qui contribue substantiellement à 18% du chiffre d’affaires de SIX Group et à 34% de l’EBITDA total de notre profitabilité pour 2023.

Si l’occasion se présente, nous allons plutôt continuer à considérer des acquisitions de sociétés plus spécialisées à même de compléter notre portefeuille d’activités. Il pourrait s’agir de fournisseur de données dans certains domaines, de prestataires dans l’analyse de la durabilité ou de sociétés pouvant compléter nos activités.

Si l’on revient à des activités liées au marché suisse, beaucoup de communes ou de petites villes s’inquiètent de la diminution du nombre de bancomats disponibles dans certains endroits. SIX a-t-elle un rôle à jouer sur ce plan?

Si l’on considère le nombre total de bancomats disponibles en Suisse, soit plus de 6000 distributeurs d’argent à travers l’ensemble du pays, on peut observer qu’il y a souvent des endroits où l’on trouve encore 5 ou 6 bancomats de banques différentes situés à des distances très proches. Un ou deux bancomats dans ces endroits suffiraient certainement aussi. Donc, je m’attends à ce que le nombre de distributeurs continue de diminuer en Suisse. Maintenant, à la question de savoir quel peut être le rôle de SIX dans ce domaine, je pense qu’une solution est d’installer, dans certains endroits, un bancomat ou ATM comme on les appelle en anglais, commun à toutes les banques, l’approche que l’on appelle «ATM Pooling» dans notre jargon. Dans cette optique, SIX offrirait des solutions de type ATM as a Service (ATMaaS) et Cash as a Service (CashaaS), ce qui permettrait d’assurer une infrastructure suffisante sur l’ensemble du territoire. Pratiquement, il s’agirait de la même machine mais chaque client retrouverait les services proposés par sa banque sur le distributeur d’argent, quel que soit son établissement bancaire habituel.

Dans l’ensemble, je m’attends à ce que les paiements sans cash continuent de gagner en importance, que ce soit par cartes ou via smartphones. Il est certes nécessaire de continuer à offrir la possibilité à pouvoir retirer du cash dans certains endroits mais il vaut mieux que les établissements regroupent leurs forces pour offrir un service de base. Si l’on regarde le système de facturation appelé eBill opéré par SIX, nous avions déjà 3 millions d’utilisateurs actifs à travers le pays en mars. La numérisation du trafic des paiements se poursuit et je ne pense pas que l’on va revenir en arrière.

Organiser des transactions directement sur la blockchain rend les choses plus efficientes.

Au sujet de la numérisation, SIX participe, aux côtés de la BNS et de six banques commerciales, au projet pilote de monnaie numérique de banque centrale pour établissements financiers (MNBC dite de gros), ou wholesale Central Bank Digital Currency (wCBDC) en anglais, qui a débuté en décembre 2023. L’expérience est réalisée via plateforme SIX Digital Exchange (SDX), l’infrastructure de marché financier destinée aux actifs numériques, entièrement réglementée et basée sur la technologie des registres distribués, ou Distributed Ledger Technology (DLT) en anglais. Quels sont les enseignements que vous tirez de cette expérience et quelle pourrait être la suite de ce projet?

Il faut rappeler que c’est la BNS qui joue le rôle de leader dans ce projet appelé Helvetia Phase III. En ce qui nous concerne, l’idée est de pouvoir tester comment se passe la création de monnaie numérique via notre plateforme. Il faut dans ce domaine distinguer entre la monnaie créée par les banques centrales et la monnaie créée par les banques commerciales. Dans ce cadre, les banques participantes pourront, entre autres, émettre des obligations numériques en francs suisses, qui seront réglées en MNBC de gros selon le principe de la livraison contre paiement. Le projet s'étendra également au règlement de pensions de titres, initiées sur la plateforme de négociation appelée CO:RE de SIX Repo et administrées par l’agent tripartite de SIX SIS. Ces transactions, qui sont réalisées dans des environnements de test, seront garanties par des obligations numériques qui sont éligibles pour les pensions de titres de la BNS et réglées sur SIX Digital Exchange (SDX) en MNBC de gros.

Quels bénéfices pourraient être retiré par les utilisateurs de ce système par rapport à la voie classique?

Il y a tout d’abord l’aspect des coûts. Il est possible d’émettre des titres relativement facilement, à faibles coûts et rapidement. Ensuite, il y a la possibilité d’ajouter des fonctions supplémentaires dans le cadre des «smart contracts», ou contrats intelligents, qui facilitent l’automatisation du système. Le fait d’organiser des transactions directement en recourant à la technologie des chaînes de blocs (blockchain) rend les choses à la fois plus efficientes, plus transparentes et plus rapide. Enfin, les émetteurs et utilisateurs ne doivent pas faire nécessairement le choix d’une technologie contre l’autre. Ils peuvent continuer à utiliser aussi bien la plateforme SDX que celle de SIX.

Cette offre a-t-elle eu du succès jusqu’ici?

Oui, nous avons même été surpris de l’intérêt des participants au marché pour cette technologie. A peine avions nous rendu la plateforme ouverte aux participants que des émetteurs ont déjà manifesté leur intérêt.

N’y a-t-il pas un risque de cannibaliser votre offre de service habituelle en proposant de nouvelles possibilités d’émettre des titres numériques via SDX?

C’est une question que nous nous posons chaque fois que nous proposons de nouvelles offres à coûts plus avantageux que la précédente. Notre approche est la suivante: nous préférons nous cannibaliser nous-même plutôt que d’attendre que des concurrents le fassent à notre place. 

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