Naviguer dans un marché en transition

Laurent Denize, ODDO BHF AM

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Après de nombreux faux départs, la rotation est en marche.

Après une saison de résultats record pour le deuxième trimestre 2021 – la meilleure en 10 ans – que pouvons-nous attendre des perspectives bénéficiaires des entreprises dans un environnement qui devient un peu moins favorable? Au-delà des paramètres connus (pic de croissance atteint dans plusieurs régions du globe, goulots d’étranglement, faillites de foncières en Chine), la flambée récente des prix de l’énergie peut faire douter de la capacité des sociétés à maintenir des niveaux de marges aussi élevés.

Quel est le consensus?

En 2021, cinq secteurs ont contribué à environ 75% de la croissance globale des BPA (bénéfice par action): l'énergie, les banques, les sociétés minières, l'automobile et les biens de consommation. La communauté des analystes a réduit les estimations de croissance du BPA pour 2022 de +17% au début de l'année à +7/8% aujourd’hui pour les sociétés européennes, actant d’effets de base négatifs mais aussi reflétant une grande prudence par rapport à la hausse récente des intrants.

Quels sont les principaux facteurs influençant les résultats?

Pour ce qui est de la croissance, le principal risque de baisse se situe en Chine, en raison d'une double évolution favorisant la régulation (une réallocation du capital induite par l'Etat) et la redistribution (la «prospérité commune»). La Chine dispose de nombreux leviers pour éviter les conséquences néfastes d’une faillite d'Evergrande. Mais un nouveau «modèle de croissance», moins dépendant de l'endettement des entreprises et de l'immobilier donnera, a minima à court terme, moins d'élan à la croissance mondiale.

Certains goulets d'étranglement sont plus durables que prévu initialement.

Ensuite, l’inflation reste une des plus grandes sources d’inquiétude sur les marchés. Certains goulets d'étranglement sont plus durables que prévu initialement. La pénurie s'étend désormais à l'approvisionnement en énergie dans plusieurs zones (Europe, Chine). Le cas extrême est celui du Royaume-Uni où l'on assiste à un achat panique d'essence (entraînant la fermeture de stations-service) qui ne fait qu'aggraver les pénuries. La crise énergétique crée des risques baissiers sur l'activité, des risques haussiers sur l'inflation, ainsi que des risques politiques (politisation du risque inflationniste). Pour autant, nous ne partageons pas le scénario de stagflation de certains commentateurs. Nous tablons pour notre part sur un affaiblissement de la croissance, certes, mais à partir de niveaux extrêmement élevés. Clairement, les banquiers centraux sont plus nerveux qu’en début d’année et le risque «d’erreur monétaire» s’accentue.

L'euro, auparavant vent contraire pour les entreprises européennes, devient porteur dans un contexte où 50% environ des revenus des entreprises cotées européennes proviennent de l'étranger. La baisse récente de l’euro est donc à saluer et aura à terme un impact positif sur les sociétés les plus exportatrices. 

Par ailleurs, les entreprises capables de répercuter la hausse du prix des intrants et notamment des matières premières sur les prix de vente vont continuer de voir progresser leurs séquences bénéficiaires. Les révisions de la marge d’EBIT (Résultats Avant Intérêts et Taxes) à 12 mois des analystes ont d’ailleurs basculé en faveur des entreprises à fort pouvoir de fixation des prix. Enfin, il convient de noter que ces actions ont surperformé les autres d'environ 20% en moyenne sur 1 an, et que leurs PER relatifs à 2 ans offrent une décote de 7% par rapport à la moyenne à 10 ans.

Il y a désormais un risque d’une détérioration du momentum pour plusieurs raisons.

Enfin, après des bénéfices et marges record, il y a désormais un risque d’une détérioration du momentum pour plusieurs raisons. L’indice sur lequel nous avons le plus de données est incontestablement le S&P. Certains secteurs appellent à la prudence, notamment le secteur du matériel informatique en raison d’une baisse des intentions de dépenses des DSI en matériel informatique et une hausse des niveaux de stocks. 

Deuxièmement, la croissance annualisée des salaires sur les 3 derniers mois a bondi de 35% pour le fret aérien et la logistique, de 5% pour les restaurants. Même si la dispersion est extrême puisque la hausse des salaires reste en moyenne contenue à moins de 4% pour les entreprises du S&P, la tendance est clairement à la hausse. Troisièmement, la réforme fiscale pourrait entrainer une révision à la baisse d'environ 5% des prévisions de bénéfices par action du S&P 500 pour 2022. C’est moins que prévu, compte tenu du retard pris dans la mise en œuvre. Pour autant les premiers résultats confirment la capacité des sociétés à monter leurs prix à un niveau supérieur à la hausse des coûts, préservant ainsi leurs marges. Jusqu’à quand c’est La question. La prudence est de mise donc, les valorisations élevées autorisant peu de mauvaises surprises. 

Quel positionnement adopter dans ce contexte?

La normalisation de la pandémie et des goulots d’étranglement vont peu à peu limiter la capacité des sociétés à utiliser l’argument «pénurie» pour monter les prix. Le vrai test est devant nous, avec d’un côté des acteurs qui créent une valeur ajoutée reconnue par les clients, et de l’autre les sociétés qui subissent la hausse du coût des matières premières sans flexibilité sur les prix de vente.

En Europe, la croissance du PIB nominal, pondérée par les pays avec lesquels les entreprises européennes commercent, pourrait être de +8% en 2022. L’effet de levier opérationnel semble donc sous-estimé.

Le contexte est donc favorable aux banques, au secteur pharmaceutique, à l’automobile et pour ceux dont les critères ESG sont moins prépondérants, le secteur de l’énergie. Les secteurs régulés type utilities ainsi que le luxe et la technologie respectivement trop exposés à la Chine et à la hausse des taux sont logiquement à éviter.

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