L'ESG, antidote au populisme?

Nicolas Forest, Candriam

2 minutes de lecture

Est-ce que les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance peuvent s’appliquer à tous les pays?

Dernièrement, je suis tombé sur le témoignage poignant de l'actrice iranienne Golshifteh Farahani. Comment ne pas se sentir impuissant devant tant de souffrance et d'injustice?

La République islamique d'Iran est un régime autoritaire et théocratique qui perdure depuis près de 43 ans. Avec une population de 86 millions d'habitants et un âge médian de 32 ans, l'Iran est un pays vaste et jeune, historiquement doté de systèmes d'éducation et d'infrastructures solides. Malheureusement, ces atouts se sont érodés avec le temps, tout comme les droits et libertés du peuple iranien.

Selon le modèle de durabilité souveraine de Candriam– qui évalue l'aptitude d'un pays à l'investissement en analysant ses performances selon les quatre piliers fondamentaux du capital durable: naturel, humain, économique et social –, l'Iran se classe 118e sur 123.

Les droits et libertés de l'homme sont régulièrement violés par les forces de l'Etat. La gouvernance est catastrophique et la corruption systémique. Pauvreté, inégalités et répression sont généralisées. La dette publique a explosé ces dernières années. Les défis environnementaux sont multiples: pollution atmosphérique extrême et perte de biodiversité. Et bien qu'il soit un grand producteur de combustibles fossiles, l'Iran montre peu d'intérêt pour l'innovation et les énergies renouvelables.

Ces facteurs suffisent largement à rendre le pays non- investissable à nos yeux.

Bien sûr, face à la mort, au viol et à la torture quotidiens, la décision d'un investisseur lointain de ne pas soutenir ce régime avec l’argent qu’on lui confie est une bien maigre consolation. Si aucun investisseur responsable ne saurait, seul, mettre fin à un régime oppressif, il doit apporter sa modeste contribution en ne finançant ni ne soutenant des régimes autoritaires et liberticides.

Après une période où les gouvernements populistes ont progressé partout dans le monde, 2022 semble avoir marqué un tournant. Selon l'Institut Tony Blair, le nombre de populistes au pouvoir a atteint son point le plus bas en 20 ans, grâce notamment à l'Amérique du Sud où de nombreux dirigeants de centre-gauche ont été élus.

Ces évolutions suggèrent-elles l’émergence d’un changement structurel? Trois grands facteurs de portée mondiale pourraient soutenir un tel mouvement.

Tout d'abord, la guerre en Ukraine. Avant la guerre, nombreux étaient ceux qui considéraient la Russie comme un bon investissement compte tenu des solides fondamentaux macroéconomiques du pays.

Les signaux d'alarme et les problèmes de gouvernance, que de nombreux investisseurs ont ignorés se sont avérés exacts. Preuve que l'analyse financière pure qui exclut les facteurs ESG ne permet pas d'évaluer correctement le risque. Tous les investisseurs devraient tirer les leçons de l'Ukraine.

Deuxième facteur : la crise de la Covid. La pandémie a illustré les vertus de la bonne gouvernance, de la collaboration et de la transparence. La gestion «Zéro Covid» et la volte-face subséquente du parti communiste chinois n'ont fait qu'illustrer à quel point le respect des droits de l'homme et des libertés civiles était pour le régime une notion d’importance secondaire – avec pour conséquence tragique de nombreux morts à venir que les chiffres officiels ne montreront pas.

Les démocraties qui ont organisé la vaccination de leur population, tout en s'efforçant de rester transparentes quant aux décès et attentives aux dangers de longues périodes de restriction des libertés civiles, ont remporté le débat sur la bonne approche. Aucun système n'a été exempt de défauts et d'erreurs pendant la Covid, mais les démocraties libérales sont sorties renforcées face à des régimes populistes et plus autoritaires.

Troisièmement, le réchauffement de la planète et ses conséquences. Selon un rapport fédéral, les catastrophes météorologiques aux Etats-Unis ont causé le chiffre record de 165 milliards de dollars de dommages en 2022. Tous les gouvernements seront confrontés aux défis climatiques, avec des conséquences colossales sur la soutenabilité de la dette de certains pays. Ceux qui ignorent le climat deviendront ininvestissables.

Pendant longtemps, un discours contestant l'existence de valeurs universelles a fait le lit des régimes autoritaires, revendiquant l'efficacité économique face à des démocraties léthargiques et arrogantes. Ces valeurs, souvent critiquées comme une expression particulière de la volonté occidentale de dominer le monde, restent aujourd'hui attaquées. Mais ils doivent continuer à être défendus.

Un gouvernement qui fait la guerre, menace l'intégrité physique et mentale de ses citoyens et ne se soucie pas du réchauffement climatique est-il crédible pour rembourser sa dette ? Tout porte à croire qu'il ne l’est pas aujourd’hui et ne le sera pas demain. Face à cette évidence, on peut espérer qu’un plus grand nombre d’investisseurs se mettent à penser de la sorte. Auquel cas les démocraties libérales soutenues par des valeurs universelles sortiraient renforcées.

A lire aussi...