Les tambours de la cyberguerre entre les Etats-Unis et la Chine

Stephen S. Roach, Université de Yale

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La campagne bipartite d’hostilité à la Chine, conduite depuis Washington, semble déterminée à pousser les Chinois dans leurs retranchements.

Le directeur du FBI, Christopher Wray, intensifie depuis peu la campagne anti-Chine des États-Unis. Lors de son témoignage devant le Congrès le 31 janvier, il a tiré la sonnette d’alarme autour de l’amplification des activités chinoises de piratage, et mis en garde sur le fait que les infrastructures américaines – télécommunications, énergie, transports et eau – soient extrêmement vulnérables au groupe de pirates informatiques Volt Typhoon, soutenu par l’État chinois. Une couverture du New York Times est venue accentuer ce sentiment d’urgence.

Quelques jours seulement après le témoignage de Wray, un rapport conjoint du FBI, de l’Agence de cybersécurité et de sécurité des infrastructures (CISA) et de l’Agence de sécurité nationale (NSA) a fourni une documentation détaillée sur la menace que représente Volt Typhoon. D’autres premières pages dans le Times ont suivi. Puis est survenue la panne d’un important réseau de téléphonie mobile le 22 février. Soudainement, les craintes cybernétiques ont pris une dimension particulière.

Dans toute cette agitation, un aspect crucial de la mise en garde formulée par Wray a été largement ignoré. La Chine, avertit le directeur du FBI, serait en train de se «prépositionner» pour un conflit futur. Cette démarche serait différente de celle d’un Vladimir Poutine qui avait amassé des troupes à la frontière ukrainienne fin 2021 et début 2022. Selon Wray, il faudrait s’attendre à ce que Volt Typhoon s’attaque aux infrastructures américaines essentielles, «Si et dès l’instant où la Chine décide que le moment est venu de frapper».

Ainsi, le FBI, conjointement avec la CISA et la NSA, fonde sa mise en garde très publique uniquement sur une conjecture quant aux intentions futures de la Chine, pas sur la moindre information concrète autour de l’imminence d’une cyberattaque. Loin de moi l’idée de douter de la véracité des preuves de la communauté du renseignement américain concernant Volt Typhoon ; j’entends simplement souligner qu’il s’agit de preuves circonstancielles qui ne révèlent absolument rien sur la probabilité d’une action. Pour ceux qui ont encore en mémoire les avertissements graves mais erronés autour des prétendues armes de destruction massive de Saddam Hussein, sur lesquels les États-Unis se sont basés pour justifier l’invasion de l’Irak en 2003, il s’agit là d’une préoccupation non négligeable.

L’obsession du directeur du FBI pour les menaces cybernétiques chinoises présente un précédent historique malheureux, qui remonte à la première guerre froide.

Auteur moi-même d’un récent livre sur le risque de voir de faux discours déclencher un conflit accidentel entre les États-Unis et la Chine, l’accent exagéré placé sur des preuves circonstancielles m’inquiète profondément, tout comme l’hypocrisie des allégations autour d’un prépositionnement cybernétique chinois. Rappelons par exemple que les États-Unis ont déployé dès 2010 le virus informatique Stuxnet contre les centrifugeuses nucléaires iraniennes.

Dans un récent ouvrage remarquable, intitulé The Politics of Language, David Beaver et Jason Stanley décrivent les allégations de ce type comme des «présuppositions résonnantes», comme des projections non étayées d’informations indirectes (circonstancielles) rassemblées pour justifier une décision politiquement avantageuse. L’agenda politique actuel des États-Unis vis-à-vis de la Chine constitue un parfait exemple de cette tendance.

Les mises en garde présuppositionnelles et l’alarmisme de Wray vis-à-vis de la Chine ne datent pas d’hier. À l’été 2020, alors que s’intensifiait la campagne électorale présidentielle, Wray s’était joint à trois autres hauts dirigeants de l’administration Trump (le secrétaire d’État Mike Pompeo, le procureur général William Barr, et le conseiller à la sécurité nationale Robert O’Brien) dans une succession de diatribes anti-Chine soigneusement orchestrées. Hier acteur principal dans le théâtre politique de Trump, Wray conserve depuis des positions sinophobes systématiquement agressives.

L’obsession du directeur du FBI pour les menaces cybernétiques chinoises présente un précédent historique malheureux, qui remonte à la première guerre froide. La «chasse aux rouges» qui ciblait à l’époque les présumés sympathisants de l’URSS et du communisme est aujourd'hui menée contre la Chine.

La campagne bipartite d’hostilité à la Chine, conduite depuis Washington, semble déterminée à pousser les Chinois dans leurs retranchements. On l’observe de plus en plus clairement depuis trois ans, l’administration Biden continuant de mener les guerres commerciale et technologique déclarées par Trump. L’ancienne speaker de la Chambre des représentants Nancy Pelosi a accentué la pression en se rendant à Taïwan en 2022, jetant du sel sur l’une des blessures ouvertes les plus sensibles de la Chine.

De même, sous la conduite du parlementaire américain Mike Gallagher – un républicain du Wisconsin proche de la retraite – un nouveau comité bipartite de la Chambre relatif à la Chine a usé d’audiences soigneusement orchestrées, de lettres de menace aux entreprises américaines et de mises en scène dans les médias pour mener une croisade contre la Chine. Il n’est pas surprenant que le comité ait accueilli Wray chaleureusement lors de son audition du 31 janvier.

D’innombrables autres politiciens américains ont suivi le mouvement. Il n’existe probablement plus un seul parlementaire américain – démocrate ou républicain – qui soit prêt à prendre position en faveur d’une amélioration des relations des États-Unis avec la Chine. Celui qui serait tenté de le faire sera accusé d’accommodement munichois. Bien que le président Joe Biden se soit approché d’un réchauffement des relations lors du sommet de Woodside avec le président chinois Xi Jinping en novembre dernier, son administration reste ferme dans l’application de restrictions croissantes quant à l’accès de la Chine aux technologies de pointe.

Il est vrai que la Chine n’a pas facilité les choses. L’incident du ballon de surveillance au début de l’année dernière – sans parler du partenariat «sans limite» avec une Russie à l’initiative d’une guerre d’agression barbare et illégale – nourrit la politique anti-Chine des États-Unis. Les mises en garde de Wray en matière cybernétique viennent amplifier ces menaces présumées. Seulement voilà, cette campagne de pression pourrait en fin de compte se retourner contre l’Amérique. Les actions de plus en plus agressives des États-Unis attisent précisément le genre d’intentions chinoises hostiles que les politiciens américains paranoïaques redoutent le plus. C’est vrai pour Taïwan, et c’est aussi le cas désormais en matière de cybersécurité. Il est nécessaire que les États-Unis fassent preuve de la plus grande prudence dans leurs demandes.

Tout cela indique un nouveau chapitre dans le conflit entre les États-Unis et la Chine – les guerres commerciale et technologique, auxquelles vient dorénavant s’ajouter une guerre cybernétique. En dépit des démentis de Biden et de Xi, ce conflit revêt toutes les apparences de la guerre froide. La première guerre froide avait dangereusement failli se transformer en guerre chaude, notamment durant la crise de Berlin et la crise des missiles de Cuba. Les risques de cyberguerre pourraient-ils à nouveau nous conduire jusqu’au bord d’une guerre ouverte? Avons-nous la capacité de confiance nécessaire pour atténuer ces risques? Le discours de peur formulé par Wray apporte plusieurs réponses inquiétantes à ces questions. Un grave danger se profile à l’horizon, au rythme croissant des tambours de la cyberguerre entre les États-Unis et la Chine.

 

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