Les start-up suisses ne manquent pas de soutien mais les possibilités d’exit sont limitées

Yves Hulmann

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Différents experts du capital-risque, de la fintech et de la gestion de fortune ont échangé leurs vues lors de la troisième édition du Geneva WealthTech Forum.

Dans quelles sortes d’entreprises travailleront les enfants qui grandissent en Suisse dans une vingtaine d’années? C’est à cette question qu’a tenté de répondre Ralph Mogicato, vice-président de SICTIC (Swiss ICT Investor Club), en introduction d’une présentation effectuée dans le cadre de la troisième édition du Geneva WealthTech qui s’est tenue mardi à Genève. Dans des multinationales? Ce n’est pas sûr qu’il y en ait encore autant à l’avenir, anticipe-t-il. Dans des banques? C’est peu probable, du fait qu’elles réduisent leurs effectifs, considère le vice-président de l’association qui met en lien start-up en phase d’amorçage ou initiale avec des investisseurs ou business angels. Selon l’expert, il y a certainement davantage de chances que beaucoup d’emplois seront créés dans les start-up ou les sociétés qui en résulteront.

Et quelles sont justement les chances de la Suisse de parvenir à développer un écosystème favorable à l’éclosion de jeunes pousses dans différents domaines, y compris dans les services financiers? Pour Ralph Mogicato, les soutiens financiers à la création d’entreprises, qu’ils proviennent de prêts, du fonds suisse pour l’innovation ou encore des différents clubs de business angel, ne manquent pas en Suisse. «Les soutiens disponibles en phase initiale, ou early stage, sont excellents», juge-t-il. En revanche, les possibilités d’exit, que soit pour revendre une start-up ou lorsqu’il s’agit d’effectuer une entrée en bourse, demeurent limitées, constate-t-il.

Le climat d’investissement reste favorable en Suisse

De l’avis de Ralph Mogicato, la tendance au recul des volumes investis en Europe a épargné la Suisse jusqu’à présent. «2022 ne sera pas une bonne année en Europe», observe-t-il, citant l’exemple de Klarna dont la valorisation a chuté de plus de 80% cette année. Rien de tel jusqu’ici en Suisse: «2022 sera même la meilleure année jamais observée », considère-t-il avec un record de 3,4 milliards de francs investis attendus.

La Suisse est loin d’être une «scale-up nation»

Tout va donc pour le mieux dans le monde des start-up et du capital-risque en Suisse? Lors d’une table-ronde consacrée au capital-risque dans le domaine de la gestion de fortune, Frederic Wohlwend, managing partner chez Forestay Capital, a nuancé ces propos, estimant qu’il faut différencier entre les aspects liés au financement des start-up et celles qui concernent la phase d’expansion ultérieure de leurs activités (scale-up). Un pays qui est souvent utilisé pour effectuer des comparaisons avec la Suisse dans le domaine des start-up est Israël, dont la taille de la population est relativement proche. «Israël est passé d’une start-up nation à une scale-up nation», observe-t-il. «La Suisse est loin d’être arrivée à ce stade», estime-t-il. «La Suisse ne manque pas de capital. Le vrai défi est de maîtriser la phase de scale-up», conclut-il.

être conscient des spécificités des marchés privés

Combien d’argent les investisseurs helvétiques devraient-ils consacrer au capital-risque au sein de leur allocation d’actifs? A ce sujet, Mike Baur, co-fondateur et directeur de Swiss Ventures Group, n’a pas manqué de faire remarquer qu’alors que le fonds de dotation de l’Université de Yale investit environ 21% de l’ensemble de ses actifs dans le capital-risque, cette part peine toujours à dépasser les zéro et quelque pourcent chez la plupart des investisseurs institutionnels suisses.

Frank Levy, fondateur et directeur d’Invest Direct, une société qui permet d’investir directement dans le capital-risque, a estimé néanmoins que les marchés privés ne doivent pas forcément devenir «mainstream2. «Les investisseurs doivent être conscients qu’il s’agit de placements moins liquides que ceux effectués sur les marchés cotés et ils doivent être capables de supporter des pertes complètes avec certains investissements», a-t-il rappelé. C’est pourquoi, il ne considère pas qu’il soit forcément souhaitable que n’importe quels investisseurs placent une partie de leur argent dans le capital-risque.

Le conseil en investissement au centre de la chaîne de valeur

Lors d’une présentation séparée, les intervenants ont débattu de la question de savoir si l’avenir de la gestion de fortune se passerait entièrement en ligne. Pour Martin Stadler, ancien directeur d’Altoo, une plateforme de gestion de fortune basée à Zoug, il existe trois flux de revenus en lien avec la gestion de fortune. Les deux premiers, soit ceux qui résultent de l’exploitation des services liés aux infrastructures (custody, trading, services des paiements, etc.) ou des frais générés par la commercialisation de produits (fonds, produits structurés, etc.), tendent à décliner. Seul le domaine du conseil – qu’il s’agisse des propositions d’investissement, de la planification financière ou des successions – peut encore générer des revenus en hausse. «Savoir monétiser son expertise sera un facteur clé à l’avenir», estime Martin Stadler.

Des interactions toujours plus limitées avec les prestataires de services financiers

Qui acceptera toutefois de payer pour le conseil à l’avenir? Et les clients souhaiteront-ils encore avoir des interactions avec des conseillers en placement? Personnalité très suivie sur ces questions, Schuyler Weiss, le directeur d’Alpian, doute du fait que beaucoup de gens seront encore prêts à l’avenir à payer des frais supplémentaires simplement pour pouvoir parler avec des conseillers en placement. «Souvent, il n’y aura plus que des interactions limitées avec d’autres personnes, voire plus aucune», anticipe le fondateur de la première banque privée numérique de Suisse. Plutôt que d’avoir des flux d’investissement et qui dépendront de la performance passée, les investisseurs sélectionneront leurs placements en fonction de modèles prédictifs indépendants au sujet des futurs rendements de ceux-ci, ajoute-t-il. En revanche, la qualité du service à la clientèle demeurera un facteur de différenciation essentiel, souligne Schuyler Weiss.