La crise turque sera au premier plan de l'ordre du jour des dirigeants du FMI, de la Banque mondiale et de la BERD.
Ces derniers temps, la lire turque est une monnaie pour le moins malmenée. En une semaine seulement, elle a perdu près de 25% de sa valeur. De plus, au cours de l'année écoulée, la lire a été la monnaie la moins performante sur les marchés mondiaux, perdant finalement plus de la moitié de sa valeur au cours des 12 derniers mois. Pour comprendre comment on en est arrivé là, il est essentiel de comprendre quels sont les facteurs à long terme en jeu, au-delà des événements récents.
Malgré l'influence géopolitique stratégique de la Turquie, étant donné sa situation entre l'Europe et le Moyen-Orient, ainsi que sa population de 80 millions d'habitants, c'est aussi une nation qui souffre d'un certain nombre de défis systémiques. Les marchés craignent que le boom de construction des dernières années ne s'arrête et que les niveaux élevés d'endettement du secteur privé, ainsi qu'un taux d'inflation rampant de plus de 15% l'année dernière, n'exercent des pressions sur l'économie turque. Les tensions politiques autour du président Erdogan, qui a agressivement consolidé son leadership après l'échec du coup d'Etat de 2016 en décrétant l'état d'urgence dans le pays, n'ont fait qu'augmenter. La fin de l'état d'urgence le 18 juillet dernier n'a pas fondamentalement amélioré la confiance des investisseurs. L'instabilité au sein du gouvernement est rarement la recette d'une forte croissance économique.
La précipitation de l'effondrement de la lire ces derniers jours est le résultat de l'annonce, via la Maison Blanche, que les Etats-Unis doubleraient leurs tarifs sur l'acier et l'aluminium turcs, pour finalement atteindre respectivement 50% et 20%. Comme Erdogan, le président américain Donald Trump est un personnage controversé dans son propre pays et à l'étranger. La chute de la lire constitue sans doute la réaction la plus immédiate et la plus forte à la politique controversée du président Trump, qui consiste à globalement augmenter les tarifs douaniers. Et cette guerre des tarifs douaniers a montré, ces derniers jours, à quel point des économies comme celle de la Turquie sont vulnérables.
Nous assistons à un changement de tendance mondiale qui s'éloigne de la mondialisation et d'une économie de marché ouverte à l'échelle mondiale. Depuis la Seconde Guerre mondiale, le monde occidental a fortement évolué vers un consensus sur l'ordre international libéral, avec le libre-échange comme point central. La chute de l'URSS au début des années 1990 n'a fait qu'accélérer la diffusion de ce modèle économique triomphant. Depuis les années 1990, nous avons eu le luxe de vivre dans une relative stabilité politique, où notre principale préoccupation était l'Etat, l'économie et les marchés financiers. Plus récemment, cependant, nous sommes confrontés à des menaces nouvelles et matérielles pour l'ordre mondial établi. Le Brexit, l'expansion agressive de la sphère d'influence de la Chine, les ambitions militaires ravivées de la Russie et les politiques étrangères et commerciales agressives de Donald Trump sont autant de signes évidents d'une nouvelle menace pour la stabilité mondiale. Cette crise économique qui se développe en Turquie est plus qu'une simple crise financière. Indépendamment des défis économiques évidents de la Turquie, le bras de fer politique avec les Etats-Unis à de nombreux niveaux, y compris la libération du pasteur Andrew Brunson et l'achat d'un système de défense antimissile à la Russie, exacerbe cette crise. Le président Erdogan devra peut-être se résoudre à envisager des options qu'il n'aime pas, comme permettre à la Banque centrale turque de relever les taux d'intérêt, d'adopter des mesures d'austérité ou de diminuer sa démagogie. Quoi qu'il choisisse, malheureusement à ce stade tardif, une récession de l'économie turque semble inévitable.
Au-delà de la Turquie, il pourrait y avoir des implications mondiales plus larges. On pourrait craindre un effet d'entraînement de la crise monétaire turque sur d'autres marchés émergents. Les dirigeants des banques centrales de pays comme l'Inde, l'Afrique du Sud ou le Brésil suivent de très près l'évolution de la situation en Turquie tout en gardant à l'esprit leurs propres vulnérabilités. De même, la crise turque sera au premier plan de l'ordre du jour des dirigeants du FMI, de la Banque mondiale et de la BERD.