Les atouts de la dette privée

Yves Hulmann

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Selon Adam Wheeler, expert chez Barings, les volumes de cette classe d’actifs devraient doubler d’ici à 2025.

L’univers des titres de dettes est souvent réparti en fonction de deux critères. D’une part, ils sont classés sur la base des notations attribuées par les agences qui répartissent les emprunts en fonction de leur niveau de risque. D’autre part, ils sont répartis en fonction de la manière avec laquelle ces titres sont échangés, à savoir, d’un côté, les instruments cotés en bourse et, de l’autre, ceux qui sont détenus en mains privées. En termes de liquidités, les investisseurs doivent toutefois être conscients que la dette privée est une classe d’actifs qui ne peut pas être négociée à tout instant sur les marchés boursiers et qu’elle est aussi, au départ, plus difficile d’accès pour qui souhaite diversifier ses placements de cette façon, met en perspective Adam Wheeler, co-directeur de la finance privée globale chez Barings, qui s’exprimait lors d’une présentation en ligne fin septembre.

Faible volatilité

En termes d’allocation d’actifs, les prêts privés («direct lending») comportent plusieurs atouts spécifiques. Il s’agit d’une classe d’actifs qui offre des rendements élevés tout en ayant une faible volatilité attestée. Elle offre aussi une prime d’illiquidité attrayante – de l’ordre de 250 à 300 points de base pour les Etats-Unis et de 275 à 325 points s’agissant de l’Europe – par rapport au marché des émissions d’obligations de grandes entreprises, tout en présentant un profil de risque relativement faible. Par ailleurs, l’évolution de la régulation, qui exerce une pression croissante sur les banques, ainsi que les montants record d’argent pouvant être investi par les sociétés de capital-investissement («private equity») créent aussi de nouvelles opportunités de financement dans ce domaine.

De 800 milliards en 2020 à 1500 milliards attendus en 2025

Partant de volumes nettement inférieurs au capital-investissement, la dette privée est appelée à connaître une forte progression au cours des prochaines années. Les montants investis dans la dette privée devraient passer d’environ 800 milliards de dollars en 2020 à quelque 1500 milliards en 2025, selon des estimations de Preqin, filiale d’Amundi. En comparaison, les volumes investis dans le private equity devraient, eux aussi, plus que doubler, passant de quelque 4400 milliards de dollars estimés pour l’année 2020 à 9100 milliards en 2025.

Les questions en lien avec la durabilité jouent un rôle grandissant aussi dans le domaine de la dette privée.

En termes de taille, Barings observe que les prêts privés sont particulièrement intéressants pour les entreprises de dimension moyenne qui n’ont pas la taille suffisante pour emprunter via les marchés obligataires classiques ou de grands emprunts syndiqués. Rien qu’aux Etats-Unis, Barings chiffre à plus de 200'000 entreprises qui font partie du segment intermédiaire, ou «middle market», alors que ce nombre est estimé à quelque 145'000 sociétés en Europe.

Privilégier les entreprises qui génèrent des revenus prévisibles

Au sein de cet univers d’investissement très vaste, l’acteur mondial de la banque d’investissement se concentre sur les entreprises affichant un résultat opérationnel avant intérêts et amortissements (EBITDA) compris entre 5 et 75 millions de dollars provenant de divers secteurs dans les économies développées. Quant au profil des entreprises sélectionnées, Adam Wheeler évite les entreprises cycliques, leur préférant celles qui génèrent des revenus prévisibles. Sur le marché européen, les montants se situent dans une fourchette allant de 30 à 300 millions d’euros.

Qu’en est-il en Suisse? Il y a eu quelques transactions de dette privée effectuées sur le marché helvétique, notamment dans le secteur des sciences de la vie avec une entreprise active dans l’ophtalmologie et une autre dans la radiologie. Toutefois, «le flux de transactions est limité en Suisse et il faut tenir compte de concurrence due à la présence des deux grandes banques ainsi que des établissements cantonaux», relève de son côté Alice Foucault, directrice exécutive pour la dette privée chez Barings.

Un accès plus restreint que pour les sociétés cotées

Reste que pour la plupart des investisseurs, il n’est possible d’avoir accès aux prêts privés que par le biais des prêteurs directs, à l’exemple de Barings. De fait, ce sont essentiellement les investisseurs institutionnels qui placent de l’argent dans la dette privée: dans l’ordre, il s’agit d’abord de caisses de pension issues du secteur privé (21%) et celles du secteur public (14%, suivies ensuite par les fondations (13%), des compagnies d’assurance (10%), des fonds de dotation («endowment») (7%) ou encore des family offices (5%), le reste se répartissant entre les gérants d’actifs, de portefeuille ou des banques.

Est-il envisageable que la clientèle de détail y ait aussi directement accès à l’avenir? Adam Wheeler observe que ce n’est pas le cas, probablement pour des questions de liquidités. «La plupart des clients de détail souhaitent en général pouvoir avoir accès à leur argent quand ils le souhaitent», observe-t-il. Une situation renforcée par les autorités de régulation: «Dans plusieurs pays, les instances de régulation ont mis des barrières visant à empêcher que la clientèle privée puisse investir dans cette catégorie d’actifs», constate de son côté Alice Foucault, spécialiste de la dette privée chez Barings.

Alignement d’intérêt avec les critères ESG

Les questions en lien avec la durabilité jouent un rôle grandissant aussi dans le domaine de la dette privée. A ce sujet, Alice Foucault rappelle que Barings avait souscrit dès 2015 aux principes de l’investissement responsable tels qu’ils sont définis par les Nations Unies (UNPRI). En termes de méthode d’analyse, la spécialiste souligne que la prise en compte des critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance (ESG) ne remplace pas l’approche d’investissement utilisée mais permet plutôt de la compléter. «En intégrant les critères ESG, nous ajoutons une couche supplémentaire dans notre philosophie d’investissement», résume-t-elle.