Les aberrations des marchés

Salima Barragan

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Le regard pragmatique de François-Xavier Chauchat, économiste et membre du comité d’investissement de Dorval AM, sur le monde financier actuel.

 

François-Xavier Chauchat a une approche basée sur le bon sens. «J’essaie de simplifier le monde financier. Mon objectif est d’être rationnel et de rester ancré sur les fondamentaux.» Il résonne en termes de thématiques cycliques et non en rotation sectorielle ou par pays, car, pour cet économiste, les indices qui s’y réfèrent ne sont pas représentatifs.

Ces indices qui sèment la confusion

Les secteurs d’activité des indices financiers ont beaucoup évolués et leur redéfinition s’impose. Par exemple, «c’est une aberration de raisonner avec les indices européens» estime François-Xavier Chauchat. Il considère qu’ils sont pollués par des secteurs administrés fortement représentés, tels que les fournisseurs d’énergies et les télécoms, ainsi que par les financières. D’où leur incapacité à refléter fidèlement la dynamique économique européenne. «Beaucoup d’investisseurs jugent la reprise européenne à la mesure de ces indices qui sous-performent les indices américains.  Cela est injustifié, car en réalité nous sommes partis de l’enfer pour arriver au paradis», déclare-il en se référant à la forte croissance de la zone euro. Depuis dix ans, un écart significatif de 50% entre le BPA de l’Eurostoxx 50 et les excédents bruts d’exploitation des sociétés non-financières de la zone euro a été calculé. La composition du secteur technologique est très différente en Europe. «Il n’y pas de grandes sociétés technologiques comme aux États-Unis, mais des sociétés Business to Business (B2B)». De plus, l’Europe bénéficie de petites et moyennes valeurs plus intégrées au process économique local. «Nos fonds axés sur les petites et moyennes capitalisations européennes ont capturé plus fidèlement la performance économique car elles sont plus représentatives de l’expression du retour de la croissance».

L’aversion au risque est de retour
sur un cycle de marchés déjà très mur.

Les indices financiers ne permettent pas de profiter de certaines zones de croissance. «En achetant l’indice polonais, on ne joue pas la Pologne, car l’indice ne contient aucune société domestique exposée à la croissance polonaise». Situation identique dans un «Mittelstand» en forte croissance mais dominé par des entreprises familiales non-cotées. «Il y a une multitude de segments de valeur que l’on ne peut pas toucher en bourse,» souligne l’économiste. Pour pallier ces incohérences, il construit des indices qui représentent réellement les thématiques cycliques adoptées. «Nous avons constitué un indice de 40 sociétés japonaises qui reflètent le cycle économique domestique avec un minimum de 80% de leur chiffre d’affaire exposé au Japon. Une sélection est effectuée sur la cyclicité,  les valorisations et la liquidité des titres».

Zone de rattrapage économique en Europe

Avec la baisse des marchés, la prime de risque s’est constituée et cette prime semble assez haute dans un marché caractérisé par des taux bas et une croissance robuste. L’aversion au risque est donc de retour sur un cycle de marchés déjà très mur. Du fait de cette maturité du cycle, «la probabilité d’un gros accident de marché d’ici 2 à 3 ans avec une baisse de 20% à 25% des bourses a sensiblement monté; donc la gestion doit être flexible pour naviguer dans cet environnement de normalisation monétaire». Depuis le célèbre discours de Mario Draghi pour sauver l’Europe jusqu’à l’élection de Macron qui correspond à un pic de flux d’investissement, François-Xavier Chauchat y était fortement surpondéré. Mais cette fructueuse période de 5 ans  est désormais révolue et depuis, il a réduit sa surexposition. Les valorisations sont aujourd’hui élevées, bien que justifiées par les facteurs macroéconomiques, et les investisseurs sont pleinement exposés aux marchés actions. Ces éléments laissent donc moins de potentiel pour une hausse supplémentaire. «Aujourd’hui, les niveaux de valorisation ne sont plus une raison valable pour acheter des titres européens  mais il reste des poches opportunes pour  jouer le rattrapage économique».

L’Italie profitant enfin de la reprise, François-Xavier Chauchat investit dans les sociétés financières italiennes, quitte à prendre le pli contraire. Alors que la production industrielle allemande stagne, l’Italie à un potentiel de rattrapage important. Sa reprise économique est soutenable et le pays sort de la trappe à dette dans laquelle il avait été enfermé. Les créances douteuses diminuent et les banques vont continuer à se restructurer. «Les fondamentaux de l’Italie sont dans un retournement spectaculaire et elle n’a pas besoin de réforme structurelle à court terme. Elle devrait pouvoir consolider sa reprise domestique sans augmentation importante de son déficit. Sur le plan politique, la surprise électorale des partis 5 étoiles et de la Ligue qui ont édulcoré leur message anti-européen, laissent à penser qu’une sortie de l’Europe n’aurait aujourd’hui plus de sens», analyse François-Xavier Chauchat.  Selon lui, l’unique risque serait le déclassement de la note de crédit italienne de la part des agences de notation. «Notons que malgré ses bons fondamentaux,  une baisse du rating semble déjà intégrée dans le spread actuel entre l’Italie et les autres pays de la zone euro.»

«D’ici quelques temps, cette «trumponomic» sera entièrement intégrée
par les marchés et nous reviendrons sur les fondamentaux».
Le dollar, victime des pays émergents ?

«La vision classique de la dépendance des pays émergents au dollar est exagéré» estime François-Xavier Chauchat qui a observé que le dollar pouvait baisser malgré une augmentation des taux américains. D’où une inversion de causalité où la mauvaise santé des pays émergents serait responsable de la pression haussière sur le dollar, et réciproquement.

La crise asiatique de 1996 à 2002 avait hissé le dollar – devenu devises de refuge – à 130. Durant la période du boom chinois et des matières premières, les pays émergents avaient moins besoin du dollar, d’où un cycle baissier. Ce n’est que lors du ralentissement chinois et de la baisse des matières premières que le dollar a repris son statut de valeur refuge, jusqu’en 2016/2017, qui a vu une stabilisation des pays émergents négative pour le dollar. Les politiques de Donald Trump ont récemment fait remonter le billet vert, mais «d’ici quelques temps, cette «trumponomic» sera entièrement intégrée par les marchés et nous reviendrons sur les fondamentaux».