Le spectre de 1987

Emmanuel Ferry, Banque Pâris Bertrand Sturdza

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Les nombreuses similitudes avec 1987 doivent amener l’investisseur à penser autrement.

«Celui qui ne connaît pas l'histoire est condamné à la revivre». La phrase de Karl Marx est toujours aussi actuelle, surtout lorsqu’elle s’applique aux marchés boursiers. Lors du lundi noir du 19 octobre 1987, l’indice Dow Jones perdait 22,6%. Le contexte qui prévalait à l’époque a de nombreux points communs avec aujourd’hui, à tel point que le spectre d’un krach à la 1987 commence à refaire surface. La correction de 10% enregistrée début février serait de ce point de vue un avertissement pour un ajustement plus prononcé à venir. Fin janvier 2018, la valorisation des Actions américaines affichait un P/E de 23x, soit exactement le niveau de fin septembre 1987. De même, la volatilité, traduisant le coût implicite du risque, s’était fortement compressée à l’époque, reflétant une complaisance extrême de la part des investisseurs, basé sur un scénario économique très favorable, combinant plein emploi et croissance économique forte. Le taux de chômage actuel est à 4,1% de la population active, et pourrait s’approcher du seuil de 3% à horizon 2019, soit 1,5 point en dessous du taux de chômage non inflationniste. Comme en 1987, les tensions sur le marché du travail commencent à ranimer les anticipations d’inflation. Notons toutefois qu’en 1987, le régime d’inflation était tout autre, 4,5% en octobre 1987 contre 2,1% actuellement.

«Le spectre d’un krach à la 1987
commence à refaire surface.»

Aujourd’hui, il y a peu d’excès dans la sphère économique, contrairement à 1987. Il s’agit d’abord de normaliser le cycle, comme l’atteste le resserrement très graduel de la Fed. Le taux des Fed Funds, actuellement à 1,50%, demeure en territoire accommodant, toujours bien en dessous de la neutralité monétaire. Mais l’enjeu est dans la vitesse de l’ajustement monétaire. Les anticipations des marchés restent pour l’instant solidement ancrées dans le contexte post crise financière, avec un taux anticipé à 2.6% en 2020. Or, un changement de rythme pourrait créer de l’instabilité, avec une économie mondiale qui s’est considérablement ré-endettée. En 1987, la Fed avait relevé ses taux directeurs de 6 à 7,25% en six mois, au moment même où le dollar était engagé dans un cycle de dépréciation piloté par le Trésor américain (-40% entre 1985 et octobre 1987). Cette dévaluation implicite avait déclenché un mouvement de défiance sur la dette publique des Etats-Unis, reflété par une remontée violente des taux d’intérêt à 10 ans de 7% à plus de 10% sur l’année 1987. La volonté de D. Trump de s’engager dans une politique budgétaire expansionniste en situation de plein emploi est déjà considérée comme une erreur de politique économique. Les projections budgétaires indiquent des déficits supérieurs à 6% du PIB à partir de 2019. Le retour des déficits jumeaux (interne et externe) met le dollar sous pression, ce qui confirme la problématique de financement des déséquilibres. Le scénario d’une guerre commerciale aujourd’hui sur l’acier et l’aluminium notamment va accentuer l’affaiblissement du dollar. La Fed n’aura d’autres choix que d’intégrer ces éléments dans sa fonction de réaction. Elle pourrait alors appuyer sur le frein monétaire pour compenser l’accélérateur budgétaire.

 «L’enjeu est dans la vitesse
de l’ajustement monétaire.»

Enfin, l’ingénierie financière avait été un facteur aggravant lors du krach de 1987: importance des opérations à effet de levier (LBO), technique généralisée d’assurance de portefeuilles (mécanismes de stop loss qui avaient amplifié le mouvement à la baisse). Aujourd’hui, les entreprises rachètent massivement leurs actions et les flux sont dominés par la gestion passive et des stratégies pilotées par la volatilité. Le risque de nouveaux épisodes baissiers est donc élevé aujourd’hui, même si on entend déjà la phrase la plus coûteuse de l’histoire financière, «cette fois c’est différent». Cela doit amener les investisseurs à penser autrement, tant en matière de diversification, de gestion active que de gestion du risque.