Le risque climatique des emprunts d’État

Nico Frey, J. Safra Sarasin

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Les investisseurs prévoyants seraient bien avisés de tenir compte du risque climatique des obligations souveraines.

© Keystone

Les études internationales montrent aujourd’hui assez clairement dans quelle mesure chaque pays contribue au changement climatique et à quel point il en subira les conséquences. Ces informations constituent la base de la politique mondiale de protection du climat ainsi qu’une bonne représentation des risques associés aux emprunts d’État. Les investisseurs prévoyants seraient donc bien avisés de tenir compte du risque climatique des obligations souveraines dans les réflexions qui président à leurs choix de placement.

Les risques climatiques, nouveau facteur dominant

Partout dans le monde, les emprunts d’État représentent une large part des obligations à taux fixe et sont parfois considérés comme des valeurs refuge. Cette sécurité dépend toutefois en réalité de la capacité du pays emprunteur à se refinancer. Les agences de notation internationales telles que S&P, Fitch ou Moody‘s évaluent la solvabilité à l’aide de notes de crédit. Ces dernières ignorent toutefois bien souvent certaines données importantes. Il convient en particulier d’incorporer à l’analyse les pratiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) des états afin de mieux évaluer la qualité de leurs obligations. Pionnière des placements durables, la Banque J. Safra Sarasin fut l’une des toutes premières à attribuer aux pays émetteurs des notes ESG qu’elle intègre à son processus d’investissement et améliore en permanence.

Les risques climatiques des emprunts d’État
se répartissent globalement en deux catégories.

Notre analyse ESG des pays examine et évalue un large éventail de données et d’indices de nature environnementale, sociale, économique et politique, de la pénurie d’eau à l’exploitation des terres en passant par le niveau d’instruction de la population ou le taux de chômage, jusqu’à la corruption et au respect des droits fondamentaux. Si plusieurs informations relatives au changement climatique sont déjà intégrées depuis longtemps à ces notes, elles tendent à en constituer de plus en plus un facteur dominant, pour des raisons nombreuses et variées telles que la perception accrue du changement climatique par la société, la manifestation des premières conséquences tangibles du réchauffement, les changements déjà en cours, la multiplication des déclarations politiques dans ce sens et les nouvelles réglementations.

Risques physiques et risques de transition

Les risques climatiques des emprunts d’État se répartissent globalement en deux catégories. Tout d’abord, dans quelle mesure un pays est-il touché par les conséquences du changement climatique et comment peut-il réagir? Il s’agit également de la vulnérabilité, qui s’apprécie à l’aune des risques dits «physiques» et de la résilience.

La deuxième catégorie de risques climatiques concerne la capacité d’un pays à assurer la transition vers une situation économique supportable sur le plan climatique. En effet, tôt ou tard, la pression de la société et de la communauté internationale (par exemple les partenaires commerciaux ou la demande mondiale) deviendra tellement forte, au regard des effets physiques du changement climatique, qu’il ne sera plus possible de se soustraire à une telle transition. Elle viendra donc qu’on le veuille ou non, avec son cortège de coûts et de conséquences. Celui qui commencera plus tôt et plus systématiquement sera davantage en mesure de profiter du potentiel économique associé, tout en réduisant les risques qu’un revirement incontrôlé n’entraîne des suites douloureuses et ne coûte encore plus cher.

Les économies les plus riches, mais aussi les plus adaptables
et diversifiées, seront fondamentalement avantagées.
La nature riposte

Le changement climatique a de vastes répercussions sur différents écosystèmes de notre planète. Outre une hausse des températures moyennes, le réchauffement s’accompagne également d’une plus grande fluctuation de ces dernières, de phénomènes climatiques extrêmes, de sécheresses et d’une élévation du niveau de la mer, entre autres très nombreux exemples, qui représentent le risque physique. Il importe ici de comprendre que ces manifestations seront différentes d’une région du monde à l’autre. Certaines zones sont plus gravement menacées que d’autres par certaines conséquences. Par exemple, on sait aujourd’hui que la hausse des températures sera notamment deux fois plus marquée en Suisse que la moyenne mondiale attendue.

Risques climatiques mondiaux

Source: J. Safra Sarasin d’après German Watch, 2020

Outre les risques physiques se pose également la question de la résilience: quelle est la capacité des pays à absorber les effets du changement climatique? En l’occurrence, les économies les plus riches, mais aussi les plus adaptables et diversifiées, seront fondamentalement avantagées.

Une anticipation maîtrisée au lieu d’un basculement brutal

Parallèlement à la vulnérabilité, les risques de transition ne doivent pas être pris à la légère. Ils peuvent être plus marqués dans certains pays bien qu’il soit possible d’agir plus activement dessus. Il convient avant tout de se demander à quel point un pays et son économie dépendent d’industries très influentes sur le climat, au premier rang desquelles les énergies fossiles.

Risques de transition énergétique

Source: J. Safra Sarasin d’après SEI, IISD, ODI, Climate Analytics, CICERO et UNEP, 2019; EIA, CIA, World Nuclear Association; 2019

Le recul de la demande mondiale de charbon, de pétrole et de gaz naturel – considérés ici comme des actifs «échoués» (stranded assets en anglais) – diminuera davantage à l’avenir et entrainera une baisse des recettes associées. Or, celles-ci jouent souvent un rôle majeur dans le budget national, ou représentent au moins une part importante de l’économie. Il suffit de regarder la carte du monde pour voir qu’ici aussi les risques sont inégalement répartis. Outre la dépendance dans les industries polluantes elle-même, les plans et les efforts des pays concernés pour la diminuer et pour aborder la transition de manière suffisamment précoce et déterminée seront également décisifs. Une politique climatique proactive et un programme ambitieux de réduction des émissions ont ici une fonction clairement positive.

Le changement climatique constitue un des principaux défis – voire le tout premier – que devra relever l’humanité au cours des années à venir. Comme il aura inévitablement aussi des conséquences sur le rendement des emprunts d’État, les risques climatiques doivent également entrer complètement en ligne de compte dans les réflexions des investisseurs.