Le luxe est-il abordable?

Stéphanie Rheinboldt, Atlantic Financial Group

3 minutes de lecture

Très dépendant de la Chine, le secteur devrait rester volatil, le temps que l’incertitude quant aux mesures qui seront adoptées soit levée.

La crise du COVID-19 a fortement perturbé le secteur du luxe qui affichait une baisse historique de ses revenus de l’ordre de 23% en 2020. Avec la réouverture de l’économie, ce sont notamment les consommateurs chinois qui ont sorti en premier le secteur de l’ornière par des achats massifs d’articles de luxe. 

Graphique de la semaine: des effets similaires au programme anti-corruption?

Source: Bloomberg, Atlantic Financial Group

 

Le programme de «prospérité commune» rappelle les mesures anti-corruption.

Xi Jinping a communiqué, début août, sur un programme destiné à mieux répartir les richesses du pays. Plutôt que d'être égalitaire, le terme fait référence à l'aisance partagée par tous, tant sur le plan matériel que culturel.

Cette dernière annonce ne pouvait plus mal tomber, alors que les cas de COVID-19 augmentent à nouveau en Chine et que les ventes de détail ralentissent. Les mesures gouvernementales pourraient-elles entamer un nouveau cycle de sous-performance pour le secteur du luxe, dont la Chine représente maintenant près de 40% des ventes? Le secteur européen du luxe était en baisse de 12% la deuxième semaine d’août et sous-performait le MSCI Europe de 10%.

Fin 2013, Xi Jinping, introduit des mesures concrètes pour lutter contre la corruption suite à l’exposition médiatique de fonctionnaires portant des articles de marques de luxe européennes de manière ostentatoire.

Après ces annonces, le secteur du luxe est resté en berne jusqu’à fin 2016. Cependant, l’amplitude de la correction est restée faible, inférieure à -17% entre le plus haut de fin 2013 et le plus bas de juin 2016.

Le secteur a montré maintes fois sa résilience, que ce soit pendant la crise du COVID-19 ou la crise financière de 2008 et l’éclatement de la bulle internet en 2001. 

Lors des deux dernières crises, les revenus ont à peine flanché et les bilans sont restés intacts. Avec la crise du COVID, la mise à l’arrêt de l’économie, la fermeture des magasins, les ventes se sont reportées via des sites en ligne. Le secteur du luxe, comme beaucoup d’autres secteurs, a bénéficié de l’essor d’internet. Cette accélération digitale lui a permis d’approcher de nouveaux consommateurs plus jeunes, sensibles à l’image qu’ils projettent.

Après le confinement, les Chinois se sont rués sur les produits de luxe dans le but de se faire plaisir. On a assisté à des comportements similaires en Europe et aux Etats-Unis, où les consommateurs avaient des moyens financiers plus élevés grâce aux économies accumulées pendant la pandémie.

Quels sont ses moteurs ou relais de croissance?

Le volume des ventes de produits de luxe est hautement corrélé à la croissance du PIB. La réouverture de l’économie et la reprise des voyages devraient contribuer très positivement à la croissance du secteur.

Le secteur du luxe bénéficie également de l’émergence d’une classe moyenne fortunée en Asie, désireuse d’afficher sa réussite sociale.

Avant les déclarations de Xi Jinping, les analystes s’attendaient à ce que le consommateur chinois représente 50% des achats de produits de luxe d’ici 2025, et 70% d’ici 2050.

Si le gouvernement chinois décide de taxer plus fortement les ménages aisés, la consommation de produits de luxe pourrait ralentir. Cependant celle-ci pourrait être compensée par une croissance plus forte de la classe moyenne ayant un niveau de vie suffisant pour acheter des articles de marques.

La digitalisation de l’économie, accélérée avec la crise du COVID-19, sera aussi source de croissance pour le secteur du luxe. Les grandes maisons de couture, dans l’incapacité de faire leurs défilés de mode, se sont tournées vers le «metaverse», une future itération de l'internet, composée d'espaces virtuels partagés et en 3D. Ainsi la marque de luxe italienne Valentino a présenté sa collection printemps-été 2020 dans le jeu de Nintendo «Animal Crossing: New Horizons». Les personnages du jeu sont devenus des mannequins portant des modèles inspirés des défilés de mode et choisis sur mesure dans l'espace virtuel. Les jeunes générations, millénials et génération Z, sont déjà souvent présentes dans le metaverse et sensibles au marketing digital. Elles semblent également plus attirées par les produits de luxe, pour l’expérience qu’ils procurent. De plus, la «premiumisation» des produits et leur prix élevé, loin de les rebuter, les rassurent sur la qualité de ces produits.

Sa dépendance à la Chine peut-elle le faire vaciller?

La politique de «prospérité commune» a jeté un trouble sur une industrie en pleine expansion, qui escomptait déjà une croissance forte tirée par le marché chinois.

Comme pour les autres secteurs affectés par l’autoritarisme de Xi Jinping et ses choix politiques, le luxe risque de subir le même sort que les plateformes en ligne, les jeux video ou les compagnies de cours de soutien scolaire.

Ces déclarations vont certainement encourager les compagnies européennes à revoir leur stratégie marketing et leur positionnement vis-à-vis de la Chine. La recherche de nouveaux débouchés pourrait se faire plus pressante, tandis que la consolidation des parts de marché vis-à-vis de nouveaux entrants reste primordiale.

Il est difficile de calculer dès à présent l’impact des mesures fiscales qui seront appliquées en Chine. Les effets d’annonce pourraient faire baisser davantage les multiples de valorisation encore très généreux malgré la correction de la semaine passée.

Les multiples du secteur du luxe se sont fortement contractés en août…

Source: Bloomberg, Goldman Sachs Global Investment Research, Atlantic Financial Group, Aug to date represents August 1st-19th

 

Le secteur devrait rester volatil encore plusieurs semaines voire plusieurs mois, le temps que l’incertitude quant aux mesures concrètes qui seront adoptées soit levée. Comme on l’a vu lors du programme anti-corruption, les revenus du secteur pourraient stagner quelque temps. Si la «prospérité commune» permet à un plus grand nombre l’accès aux produits de luxe sans toutefois peser sur la consommation des plus riches, alors le secteur du luxe pourrait encore une fois sortir son épingle du jeu...

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