Le jeu dangereux du mercantilisme américain

Didier Saint-Georges, Carmignac

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La politique commerciale des USA intervient à un moment inopportun. Elle menace une économie qui donne déjà des signes de ralentissement.

Alors que les Américains commémorent la Déclaration d’indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne, le moment semble bien choisi pour examiner l’impact du mercantilisme de Donald Trump sur les perspectives d’investissement aux États-Unis.

La politique commerciale adoptée par les États-Unis vis-à-vis de la Chine, et également de l’Europe et, plus récemment, de l’Inde, intervient à un moment inopportun pour le cycle économique américain. Elle menace à court terme une économie qui donne déjà des signes de ralentissement. De fait, l’économie mondiale a connu une nette décélération ces douze derniers mois et bien que la dynamique des États-Unis reste supérieure à bon nombre de leurs partenaires commerciaux, elle commence inévitablement à être affectée par le renversement de tendance à travers le monde. Dans ces conditions, la montée des tensions et des incertitudes a un effet particulièrement dissuasif sur les investissements. Dans un contexte de ralentissement économique, les entreprises ont tout lieu de s’interroger sur la prise de décisions d’investissements lorsqu’elles ignorent quel sera l’impact des négociations menées par le gouvernement sur la demande finale de leurs produits et sur la compétitivité de leurs prix, sans parler des conséquences pour leurs chaînes d’approvisionnement qu’elles se sont évertuées à mondialiser ces dix dernières années afin d’optimiser leur efficience.

Le mercantilisme est un système constitué de gagnants et de perdants
qui s’affrontent pour obtenir la plus grosse part du gâteau.
Question complexe à court terme

Le phénomène auquel nous assistons est une rébellion croissante de l’administration américaine contre le libre-échange. À première vue, l'argument est parfaitement cohérent: le libre-échange, ou libéralisme économique, se targue d’être le système le mieux à même de promouvoir une croissance optimale pour l’ensemble des partenaires commerciaux. Mais lorsque ce système est biaisé par certains pays, il devient alors un jeu de dupes pour ceux qui respectent les règles. Alors que l'administration américaine accuse l’ensemble des grandes nations hormis les États-Unis de tricher, il est permis de penser en tout état de cause que le libre-échange en bonne et due forme a déjà disparu. À sa place s’est substituée une lutte entre pays mercantilistes à laquelle l’administration Trump ne demande qu’à se mêler.  

À l’origine, l’Angleterre, la France et la Hollande ont «inventé» le mercantilisme. Le principe de base reposait alors, et repose toujours, sur l’idée voulant que la croissance économique, le commerce international et la création de richesse d’une manière générale est un jeu à somme nulle. Autrement dit, contrairement au libéralisme économique, que ses partisans à commencer par Adam Smith et Ricardo ont théorisé par la suite, le mercantilisme est un système constitué de gagnants et de perdants qui s’affrontent pour obtenir la plus grosse part du gâteau. Il va sans dire que dans un tel système, les acteurs qui ont les meilleures cartes en main sont résolus à profiter au maximum de leur avantage. Au XVIIe siècle, les puissances coloniales européennes n’hésitaient pas à exercer une pression virile sur leurs lointaines colonies pour s’enrichir. Plus précisément, leur idée était de bâtir un secteur manufacturier robuste via l’intervention massive de l’État, tout en protégeant dans le même temps les champions nationaux contre la concurrence étrangère et en les aidant à exporter leurs produits en contraignant les colonies à les acheter. Grâce à ce système, les pays européens mercantilistes sont devenus des géants commerciaux et ont pu accumuler de vastes quantités d’or, qui constituait alors sans conteste le seul critère de richesse et de réussite.

L’appréciation du dollar sera le prix à payer
pour l’enrichissement du pays.
Système remis en question par deux conséquences les plus directes

Les gagnants ont fini par s’enrichir en appauvrissant leurs partenaires économiques, mettant ces derniers dans l’impossibilité de continuer à acheter leurs produits ; et la lutte pour la plus grosse part du gâteau a déclenché des guerres récurrentes et coûteuses entre pays concurrents.

En outre, les incidences d’un mercantilisme triomphant seraient plus problématiques aujourd’hui. L’éventuelle victoire de Washington dans sa croisade profitera à la croissance américaine, entraînant une augmentation des investissements étrangers aux États-Unis (attirés par des rendements après impôts supérieurs) et permettant à la balance commerciale américaine de redevenir positive. Or, ces réussites provoqueront logiquement un accroissement de la demande de dollars et, partant, une hausse du cours du billet vert qui plombera à son tour les exportations. Autrement dit, l’appréciation du dollar sera le prix à payer pour l’enrichissement du pays tout comme la France et l’Angleterre ont accumulé des réserves d’or il y a trois cents ans. Et pour compliquer encore les choses, la question suivante qu’il convient de se poser est naturellement de savoir si la politique monétaire aujourd’hui, un concept qui n’était même pas à l’état naissant à l’époque du mercantilisme dans sa version originale, peut être influencée de telle sorte à empêcher l’appréciation du dollar. La pression qu’exerce actuellement Donald Trump sur le président de la Fed Jerome Powell peut se comprendre dans ce contexte.

Le fait est que l’économie américaine reste bien orientée, ce qui place le pays en position de force. Pour autant, les États-Unis auraient sans doute intérêt à ne pas mener une politique commerciale trop agressive.

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