Le dollar américain n’est toujours pas prêt à remonter

Peter Kinsella, Union Bancaire Privée (UBP)

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La Fed est encore loin de remplir son double mandat visant à promouvoir le plein emploi et la stabilité des prix. Une hausse des taux n'est donc pas prévue.

Le contexte macroéconomique

La reprise économique en cours aux Etats-Unis dépasse les attentes, comme en témoigne le taux de chômage de 6,3%, bien en dessous de ce que la Réserve fédérale (Fed) avait prévu l’été dernier. Pourtant, la Fed est encore loin de remplir son double mandat visant à promouvoir le plein emploi et la stabilité des prix, ce qui signifie qu’elle n’augmentera pas les taux d’intérêt de si tôt, et qu’elle ne réduira pas non plus ses mesures de relance monétaire.

Cela explique le récent mouvement de hausse des rendements obligataires à long terme, accompagné de la vigueur des marchés actions et de la faiblesse du dollar américain. La pentification de la courbe de taux américaine est particulièrement prononcée ces derniers temps, les rendements obligataires américains à 10 ans s’étant récemment affichés à environ 1,50%, contre 0,9% en décembre 2020. Ceci reflète la montée des anticipations d’inflation, la reprise économique plus rapide que prévu comme évoqué plus haut, et le plan de relance budgétaire récemment annoncé aux Etats-Unis.

Conséquences pour les marchés des changes

Jusqu’à présent, cependant, les effets sur les devises ont été très modérés. L’USD ne s’est pas apprécié de manière significative, et les devises à «bêta élevé», c’est-à-dire celles qui ont tendance à refléter les mouvements du cycle économique, ont relativement bien conservé leur valeur. C’est le niveau plutôt que le rythme du changement qui est le plus important pour ces devises sensibles au cycle économique, à la fois sur les marchés développés et les marchés émergents.

Il est vain de continuer à parler d’une réduction de l’assouplissement quantitatif
et de l’appréciation du dollar américain.

L’amélioration des données économiques en dehors des Etats-Unis, couplée aux faibles rendements des obligations gouvernementales de court terme, tend à pousser les investisseurs vers des devises à rendement supérieur, ce qui affaiblit davantage le dollar américain. Nous nous attendons à ce que ce paradigme se poursuive dans les mois à venir. Les devises à bêta élevé telles que l’AUD et le CAD, et dans une moindre mesure la GBP et l’EUR, ainsi que certaines devises des marchés émergents, devraient en bénéficier, malgré l’accentuation de la pente de la courbe de taux américaine.

Quelle est la prochaine étape pour l’USD?

Certains analystes estiment que la reprise économique américaine pourrait conduire à une réduction du programme d’assouplissement quantitatif (QE) de la Fed, suivie d’une poursuite de la pentification de la courbe de taux américaine et d’un renforcement de l’USD. Mais nous avons de forts doutes sur ce scénario. En 2013, lorsque la Fed a tenté de relever les taux d’intérêt, les écarts de rendement à 10 ans entre les Etats-Unis et l’Union européenne (UE) se sont creusés en faveur de l’USD, mais le taux de change EUR/USD n’a pratiquement pas bougé. Des rendements américains plus élevés impliquent l’un des deux scénarios possibles suivants: soit le marché anticipe des opportunités de rendement du capital supérieur aux Etats-Unis, stimulant ainsi le dollar, soit il s’attend à ce qu’un grand acheteur obligataire, à savoir la Fed, se retire. Cela impliquerait une prime de risque plus élevée (un rendement supérieur), mais ce n’est guère positif pour l’USD – d’autant plus que les Etats-Unis affichent un déficit courant très important. Autrement dit, les Etats-Unis doivent, dans l’ensemble, importer des capitaux. S’ils arrêtent d’acheter, qui interviendra pour racheter la dette américaine à leur place?

Le résultat de tout cela est qu’il est vain de continuer à parler d’une réduction de l’assouplissement quantitatif et de l’appréciation du dollar américain. Ce n’est pas un argument solide en faveur d’un rebond de l’USD et d’une baisse significative du taux de change EUR/USD.

La relance budgétaire d’USD 1’900 milliards récemment annoncée n’est pas non plus une évolution constructive pour l’USD, car elle conduit simplement à la poursuite de la détérioration de la balance commerciale américaine, alors que les consommateurs américains achètent davantage d’importations. L’USD aura du mal à s’apprécier, même modestement, si les Etats-Unis atteignent un déficit courant de 5% du PIB et un ‘double déficit’ de 20% du PIB, surtout que les émissions de dettes courantes sont financées par la Fed, et non par des investisseurs extérieurs comme auparavant.

Les devises des pays du G10 à bêta élevé devraient bien
se comporter au cours des quatre à six prochains mois.

La dernière relance budgétaire américaine consiste en un soutien du revenu financé par la dette, qui correspond essentiellement à une politique nationale de type «acheter maintenant, payer plus tard». Une dette plus élevée aura pour effet de limiter la capacité de la Fed à augmenter ses taux. Il est donc, en fin de compte, peu probable que l’USD s’apprécie.

D’un autre côté, ce qui pourrait faire grimper le dollar américain, c’est un vaste programme d’infrastructure, si on en vient là. Et ce, en raison de l’augmentation de la croissance de la productivité qui en découlerait, même si cela dépend en grande partie de la façon dont il est financé et mis en œuvre, et aussi dans quel délai. En outre, si les rendements des bons du Trésor américain à 10 ans dépassaient 1,5%, les actions en souffriraient et les investisseurs réduiraient les risques de leurs portefeuilles, diminuant ainsi l’exposition aux devises à bêta élevé au profit de l’USD, ce qui aurait pour conséquence d’augmenter sa valeur. Cependant, cet effet pourrait être de courte durée, car la Fed interviendrait probablement pour calmer le jeu.

Conclusion

Au final, les devises des pays du G10 à bêta élevé devraient bien se comporter au cours des quatre à six prochains mois, reflétant l’amélioration de l’activité économique ainsi qu’un environnement USD globalement faible. En particulier, la paire AUD/USD continuera d’augmenter, peut-être jusqu’à des niveaux d’environ 0,84. La paire USD/CAD continuera, elle, de baisser, peut-être à hauteur d’environ 1,22, et la paire GBP/USD pourra continuer à croître, peut-être jusqu’à environ 1,45.

Par contre, le taux de change EUR/USD sera à la traîne parmi les devises à bêta élevé, vu le rythme plus faible de la vaccination dans l’UE et la lente reprise économique associée. Néanmoins, une augmentation à des niveaux d’environ 1,25 est envisageable.