Le climat exige du concret

Ophélie Mortier, DPAM

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Le changement climatique étant inévitable, il faut une réponse forte, des mesures audacieuses et des actions concrètes.

Les «principes pour l’investissement responsable» (PRI) restent un catalyseur essentiel pour les investissements durables. Avec 500 signataires qui totalisent plus de 1300 milliards de dollars d’encours sous gestion dans le monde entier, cette organisation concluait qu’il devenait plus nécessaire que jamais de passer de l’engagement à l’action lors de son dernier rassemblement annuel «PRI in person».

En tant que signataires des PRI depuis 2011, nous adoptons une position proactive alignée sur les prévisions de la «Inevitable Policy Response» (IPR), groupement chargé d’établir des scénarios réalistes des réponses au défi climatique, notamment sur le plan réglementaire. L’IPR mise en place par les PRI en 2018 cherche à préparer les investisseurs institutionnels aux risques et aux opportunités associés au changement climatique. En bref, elle souligne les effets potentiels d’une transition tardive et précipitée vers des pratiques durables. Le consensus scientifique nous dit que retarder l’action ne fera qu’exacerber le besoin de mesures plus drastiques. Les réponses réglementaires vont probablement s’accélérer, car les gouvernements à tous les niveaux seront contraints d’agir de manière plus décisive qu’auparavant pour assurer une transition réussie.

Politiques et écoblanchiment

Les pressions croissantes autour des politiques climatiques expliquent en partie le retour de bâton ESG constaté aux États-Unis. Alors que les effets dévastateurs du changement climatique deviennent de plus en plus évidents au fil du temps, un vent anti-ESG a commencé à souffler aux Etats-Unis, le plus grand marché au monde sur le plan de l’investissement. En effet, certains des plus grands acteurs et des décideurs politiques américains parmi les plus influents ont déclaré qu’ils n’étaient pas prêts à franchir la prochaine étape du «net-zéro».

Alors que l’Europe encourage et réglemente les investissements durables, des mesures concrètes et des propositions spécifiques contre la durabilité ont été introduites dans les législatures américaines. Les résultats des prochaines élections seront probablement déterminants pour l’avenir de l’ESG aux États-Unis. D’ici là, fort heureusement, l’argent continue d’affluer vers les investissements ESG au plan mondial.

L’environnement géopolitique actuel complique encore la situation, car les événements récents affectent les chaînes d’approvisionnement et les restrictions commerciales ont un impact très marqué sur les actions dans un monde multipolaire.

Cependant, au sein de l’investissement ESG, il est essentiel de faire la distinction entre ce qui ressort du simple écoblanchiment et ce qui témoigne d’un véritable engagement. La demande en faveur de pratiques et de réglementations solides et disciplinées en matière d’ESG reste forte, en particulier en Europe, où les investisseurs recherchent des approches prudentes et dignes de confiance, qui ne fassent pas de promesses excessives.

L’IA, une arme à double tranchant

Au nombre des évolutions récentes, il convient de prendre en compte l’IA générative qui s’est avérée le plus grand «disrupteur» de 2023. Les risques qui lui sont associés requièrent toute notre attention. En premier lieu, l’IA pose des défis éthiques très importants. Si, à long terme, elle aboutit sans aucun doute à une augmentation exponentielle des gains de productivité dans une multitude de secteurs, à court terme, son impact est beaucoup plus préoccupant. Les recherches Google sur le thème «Mon emploi est-il menacé?» ont doublé au cours des premiers mois de l’année. Une éducation et une formation adéquates seront essentielles pour éviter d’exacerber les fractures sociales dans le monde.

L’IA aggrave également les problèmes liés à l’utilisation illicite des données personnelles, à la reproduction non autorisée de contenus et à la protection de l’anonymat. En ce qui concerne la cybersécurité, l’IA permet de créer des «deepfakes», ce qui rend les fraudes plus convaincantes et donc plus risquées. Heureusement, l’IA nous aide également à mettre au point des méthodes plus avancées pour les repérer.

L’impact environnemental de l’IA est une autre préoccupation urgente. Les principaux acteurs de l’IA ont été réticents à publier des données, mais on sait que la consommation d’énergie et d’eau nécessaires à l’IA sur le plan de la production de matériel informatique et sur celui de la création de modèles puis de leur entraînement, de leurs mises à jour et de leur utilisation réelle est substantielle.

Cependant, même si elle comporte de nombreux risques, il ne faut pas oublier que l’IA s’accompagne également d’opportunités significatives. La «loi sur l’intelligence artificielle» de l’UE témoigne de la nécessité d’un cadre réglementaire qui équilibre ces risques et ces opportunités, y compris l’impact de l’IA sur l’environnement. Alors que les États-Unis, le Royaume-Uni, la Chine, le Canada et l’Inde s’emploient également à mettre à jour leurs cadres réglementaires, l’évolution et l’adoption de l’IA générative sont si rapides que même les régulateurs les plus proactifs sont en retard.

ESG et droits de la personne

L’environnement géopolitique actuel complique encore la situation, car les événements récents affectent les chaînes d’approvisionnement et les restrictions commerciales ont un impact très marqué sur les actions dans un monde multipolaire.

La dimension des droits de l’homme devient également très importante, en particulier en Asie, où la réglementation en matière de «due diligence» occupe une place grandissante dans les programmes ESG. Ces pays cherchent à maintenir leurs relations commerciales tout en mettant en place un programme ESG réalisable. Cet élément devient de plus en plus important à mesure que les considérations émergentes du «scope 3» s’appliquent aux services externalisés. En bref, cela signifie que les entreprises doivent assumer la responsabilité de l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement, y compris celle de leurs prestataires de services externes, afin de s’assurer qu’ils respectent les questions relatives aux droits de l’homme. En réponse, certaines sociétés d’investissement ont commencé à se désinvestir des entreprises impliquées dans des problèmes sociaux, comme le montrent la loi sur la prévention du travail forcé des Ouïghours et la directive sur le devoir de vigilance (corporate sustainability due diligence directive ou CS3D).

En conclusion, si les objectifs élaborés par des scientifiques dans le cadre des PRI sont peut-être difficiles à intégrer dans les stratégies financières, ils constituent néanmoins des repères essentiels pour inciter les Etats et les communautés à renforcer leurs stratégies économiques pour faire face aux menaces climatiques. Bien que nous visions désormais une hausse des températures de 2 °C (au lieu de 1,5 °C), ce n’est pas le moment de nous décourager et de baisser les bras. Au contraire, aujourd’hui plus que jamais, il est urgent de fixer des objectifs ambitieux et d’innover. Confrontés à un changement inévitable, il est clair qu’il nous faut une réponse forte, des mesures audacieuses et des actions concrètes.

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