Le boom des placements durables se poursuivra en 2018

Yves Hulmann

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La demande est soutenue par les institutionnels et la réglementation. La multiplication des définitions complique toutefois la tâche aux investisseurs.

Un segment de niche mais qui poursuit irrésistiblement son ascension. Entre 2007 et 2017, l’offre de fonds ouverts au public consacrés aux investissements durables a crû en moyenne de 15% par an, selon une étude publiée par l’institut IFZ. Une croissance deux fois plus rapide que celle de l’ensemble des fonds proposés en Suisse, en hausse de 6,2% durant le même intervalle. Certes, les 315 fonds (avec un volume de 103 milliards de francs) qui tiennent compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leur processus d’investissement ne représentaient à la mi-2017 que 3,7% des fonds distribués en Suisse. Cette part est toutefois nettement supérieure à celle de 2,5% (avec 131 fonds) observée en 2007.

Soutien des nouvelles générations

Pour Philipp Krüger, professeur associé à l’Université de Genève et membre du Geneva Finance Research Institute, il y a de plus en plus d’investisseurs traditionnels qui s’intéressent aux placements durables, ce qui parle en faveur d’une poursuite du mouvement. «Si ces investisseurs traditionnels continuent à diriger leurs allocations vers le durable, des taux de croissance peuvent continuer à rester élevées dans le futur», anticipe-t-il. S’y ajoute aussi un phénomène de génération: «La Génération Y s’intéresse plus aux placements durables que celle des «Baby Boomers» ou de la «Silent Generation».

La demande est soutenue par les institutionnels

Même optimisme du côté de Candriam qui compte parmi les poids lourds des placements durables en Europe. La société gère quelque 30 milliards d’euros d’investissements de type ISR tenant compte des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), comparé à des actifs sous gestion totalisant 112 milliards. Pour Wim Van Hyfte, directeur global des investissements et de la recherche ISR chez Candriam Investors Group, il n’y a pas de doute, la progression des volumes investis dans les placements durables va se poursuivre. «Le mouvement va même s’accélérer», est-il convaincu. Il cite plusieurs facteurs qui soutiennent cette tendance: «Les fonds de pension sont plus enclins à investir dans les placements durables. La réglementation incite à tenir compte de ces critères. La dimension morale augmente la sensibilité pour ces placements. Enfin, le profil risque/rendement des placements durables correspond aussi bien aux attentes de nombreux investisseurs, en particulier institutionnels».

«On peut tabler sur une poursuite de la croissance
à deux chiffres de l'investissement durable en Suisse.»

Jean-Philippe Desmartin, directeur de l'investissement responsable chez Edmond de Rothschild Asset Management est tout aussi positif: «En regardant l'évolution de marchés plus matures comme la France ou les Pays-Bas on peut tabler sur une poursuite de la croissance à deux chiffres de l'investissement durable en Suisse».

Trop de définitions?

La multiplication des définitions en matière de placements durables ne complique-t-elle pas inutilement la tâche aux investisseurs qui s’y intéressent? Pour Wim Van Hyfte, cette situation résulte de nuances culturelles et régionales dont il faut tenir compte. Selon lui, il est certes nécessaire d’effectuer un travail sur la taxonomie. «La mise en place de définitions est un aspect important», juge-t-il. Toutefois, «il est encore trop tôt pour standardiser une approche qui est relativement récente et qui comporte de multiples aspects», poursuit-il. Pour l’expert, c’est surtout la transparence qui est importante. «Il faut être transparent à propos des processus, concernant les objectifs qui doivent être réalisés et sur la manière d’y parvenir», souligne-t-il.

Du côté académique, Philipp Krüger juge normal qu’il existe de multiples définitions dans ce domaine, encore récent. «Etant donné que le thème du développement durable est très divers, l’offre de produits sera également très diverse. D’ailleurs, je pense que cette diversité n’est pas unique à la finance durable. Pensez seulement au rapport publié récemment par l’Index Industry Association qui montre qu’il existe plus de 3 millions indices boursiers…», compare-t-il.

Il existe assez de benchmarks, il suffit de les utiliser

A propos des indices de référence pouvant servir de comparaison pour évaluer la performance des fonds durables, Wim Van Hyfte émet certaines réserves: «Le benchmarking renforce une mentalité de short-termism», à savoir une évaluation des placements axée sur le court terme, observe-t-il. Or, «la durabilité est justement une approche d’investissement orientée sur le long terme», argumente-t-il. Vincent Compiègne, analyste senior ISR chez Candriam, renchérit: «Un benchmark n’intègre pas les aspects de long terme. De plus, les indices de références et les décisions de gestion sont souvent très influencés par certaines évolutions de court terme, comme les variations des prix du pétrole par exemple, qui ne renseignent pas sur la qualité des actifs sélectionnés sur la durée».

Ne faudrait-il pas s’accorder sur des indices de référence spécifiques? Pour Jean-Philippe Desmartin, la question de benchmarks spécifiques dans l'investissement durable n'est tout simplement «pas un sujet». «Les benchmark mainstream sont déjà là. Il suffit de les utiliser pour comparer une performance financière des placements durables, qui est en ligne avec les autres types de placement. Sur la partie ESG, aux gérants d'être transparents», relève-t-il.

«Les obligations vertes,
c’est tout sauf du green washing.»

Aux yeux de Philipp Krüger, il existe de toute manière déjà une multitude de benchmarks ESG. De plus, il y a des institutions, comme par exemple SwissRe, qui en ont récemment adopté pour certaines classes d’actifs. «Je pense que les outils existent déjà, ce qui manque peut-être c’est la volonté d’adopter ces benchmarks de plus systématiquement», fait-il remarquer.

Essor spectaculaire des obligations vertes

Parmi les thèmes qui ont le vent en poupe actuellement, les volumes investis dans les obligations vertes vont continuer de croître, anticipent les experts de Candriam: «Les investisseurs peuvent désormais investir dans une classe d’actifs obligataires dédiée entièrement aux placements durables. De leur côté, les émetteurs peuvent aussi proposer des produits et projets reposants exclusivement sur ces critères», ajoute Vincent Compiègne, analyste senior ISR chez Candriam. Durant l’année en cours, les volumes d’émission des «green bonds» devraient atteindre au moins entre 150 et 160 milliards d’euros, comparé à 122 milliards en 2017. Des émissions sont attendues dans les secteurs habituels tels que les banques et il y a beaucoup d’espoir et d’attentes pour soutenir la croissance de ces produits dans des branches comme l’automobile ou l’industrie. Il faut toutefois avoir une véritable stratégie pour émettre des obligations vertes. «Les obligations vertes, c’est tout sauf du green washing. Il faut qu’il y ait un véritable alignement de la stratégie globale de l’émetteur avec ces critères», souligne-t-il. Ou se situe la limite? Une entreprise pétrolière pourrait-elle aussi émettre des obligations vertes pour financer certains projets? Selon l’expert, c’est possible, «mais à condition que la stratégie d’ensemble de l’entreprise s’oriente vers la durabilité, par exemple si elle prend des engagements pour réduire les émissions de carbone et modifier son mix énergétique», nuance-t-il.

Aux yeux de Jean-Philippe Desmartin, il reste encore beaucoup de place pour le développement des obligations vertes qui constituent encore un petit marché. Il met en revanche en garde contre la concentration très forte des green bonds sur trois secteurs: à savoir, les services aux collectivités («utilities»), les sociétés financières et l’immobilier.

 

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