La violence appauvrit

Martin Neff, Raiffeisen

2 minutes de lecture

Aujourd’hui, la violence à la télévision ne correspond plus à un duel au révolver, mais à des débauches de violence sanglantes et orchestrées.

Durant mon enfance et ma jeunesse, je me rendais presque quotidiennement au lac pour nager et surtout pour retrouver ma bande. Il y avait de nombreux groupes à chaque âge. Je ne me souviens pas qu’il n’y ait jamais eu de bagarres ou d’actes de violence. La violence maximale que j’ai rencontrée à l’époque, c’était sur le chemin du lac. Lorsque je ne voulais pas faire de détour important, je devais à chaque fois traverser une zone avec de nombreux logements sociaux et il n’était pas rare que je sois arrêté par une bande de jeunes. Parfois il n’y avait personne et c’était palpitant de traverser cet endroit à vélo, mais malheur à vous s’ils vous attrapaient. On était pour le moins injurié et humilié. Il arrivait aussi qu’un pneu soit dégonflé, mais je n’ai été giflé qu’une seule fois. Mon expérience de jeunesse concernant le thème de la violence dans la société s’arrête là.

Une nuit à Zurich près de la place Bellevue, j’ai été allongé d’un coup au visage par un individu agité venant à ma rencontre en pleine rue alors que je me rendais au tram avec des collègues. J’ai dû me rendre aux urgences et il s’est avéré que le type était muni d’un poing américain. Quel malade, avais-je alors pensé. Le coupable a d’ailleurs réussi à s’échapper grâce au tumulte. Quelques semaines plus tard, j’ai été convoqué par la police zurichoise. Je devais y passer en revue un vaste fichier de criminels. Assis à mes côtés devant un écran, un policier faisait consciencieusement défiler les clichés. J’ai parcouru près de 1000 photos. J’ai voulu savoir si toutes ces personnes s’étaient effectivement déjà fait remarquer pour des voies de fait et on m’a répondu que nous étions encore loin du compte. Mon estimation a finalement révélé que la probabilité de se faire agresser à Zurich était nettement supérieure à 1%. Déjà à l’époque, cela m’avait semblé étonnement élevé.

Mais aujourd’hui, même cela ne semble pas grand-chose. Mon fils aîné a déjà été témoin de violence beaucoup plus souvent, évidemment surtout lors de sorties. Subjectivement, la propension à la violence augmente et on distingue des schémas récurrents, à savoir provocation et réaction en combinaison avec l’alcool, voire d’autres drogues. Pour le dire simplement, cette désinhibition se traduit par un «celui qui ne se laisse pas provoquer risque de s’en prendre une». Dans les faits, cette évolution se traduit aussi dans les chiffres. L’an dernier, 20'902 adolescents ont été déclarés coupables par la justice. Ce chiffre est en hausse de 7,5% par rapport à l’année précédente et impressionne particulièrement quand on le compare aux 97'386 adultes, dont les condamnations sont en recul de 1% par rapport à l’année précédente. Plus d’une condamnation sur cinq concerne aujourd’hui des jeunes âgés de 10 à 18 ans. Il y a certes la forte croissance des délits routiers (+15,4%), mais les infractions au code pénal ont néanmoins progressé de 6,4%. Qu’est-ce qui ne va pas?

Notre téléviseur était verrouillé à l’aide d’un cadenas, les westerns avec John Wayne et Cie. représentaient le maximum de la tension à laquelle j’avais accès à tout juste 14 ans. Mon plus jeune fils, qui avait 12 ans à l’époque des faits, a été pris en flagrant délit par un démystificateur notoire alors qu’il regardait des pornos sur sa terrasse en compagnie d’autres enfants dont son fils. Je préfère ne pas savoir de quoi il s’agissait, mais cela n’était certainement pas de son âge. Aujourd’hui, la violence à la télévision ne correspond plus à un duel au révolver, mais à des débauches de violence sanglantes et orchestrées. Se pourrait-il qu’une partie de la jeunesse soit désorientée? Parce que la violence est aujourd’hui célébrée sur différents canaux avec une intensité qui fait peur? C’est bien possible, mais si de plus en plus de jeunes entrent en conflit avec la loi, cela représente également un fardeau pour l’économie que nous devrions vraiment prendre au sérieux.

Dans tous les cas, la violence coûte de l’argent et si nous ne comptabilisions pas chaque victime de violence comme facteur de croissance puisqu’il faut bien la recoudre, mais que nous la déduisions du produit national brut? Que se passerait-il alors? Nous serions au fond dans une société, où la violence nous appauvrit. Ces propos sont ceux d’un économiste, non d’un politologue, d’un sociologue ou d’un psychologue.

A lire aussi...