La révolution bancaire est plus facile à dire qu’à faire

Cyril Gomez

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Les banques historiques sont conscientes de la nécessité d’adopter l’ADN des fintech, mais la peur de l’échec ralentit leur transformation.

Si tous les participants de l’industrie bancaire, y compris les clients, s’accordent pour dire que l’infrastructure informatique prend une place désormais prépondérante dans la gestion globale d’une banque, trop peu d’institutions s’engagent à faire le pas décisif. Dans leur dernière analyse du secteur et de la montée en puissance des sociétés fintech, intitulée «Un Appel aux Armes», les experts technologiques de la banque d’investissement américaine Morgan Stanley préviennent tous les acteurs que la valeur temps des grandes marques bancaires traditionnelles s’érode jour après jour.

«Avec 58 milliards de dollars de financement déployés à destination des fintech au premier semestre 2018, nous pensons que la pression s’accentue sur les banques pour qu’elles innovent et suscitent rapidement une disruption de leurs propres modèles d’affaires, avant que quelqu’un d’autre ne vienne manger leur repas», estiment les contributeurs d’une étude publiée mardi par Morgan Stanley Research.

«Nos entretiens avec les professionnels de l’informatique nous laissent
entendre que le problème n’est pas lié au mainframe en soi.»

Mais quelles seraient les priorités stratégiques pour le management d’une institution bancaire? Morgan Stanley en identifie quatre. Changer radicalement l’infrastructure dorsale ou physique du système bancaire de base (‘core banking system’ ou CBS). Étendre les capacités de l’architecture, notamment à travers les fusions et acquisitions (M&A). Se focaliser sur l’expérience client, puis, enfin, accueillir le changement, sans anxiété, en développant un ADN fintech.

Bien que la logique sous-jacente à ces hypothèses semble indéniable, leur application est plus facile à dire qu’à faire. Comment, en effet, changer de CBS quand son maintien au sein d’une unité centrale classique (le mainframe) permet de réaliser des économies opérationnelles en termes de coûts informatiques? «Nos entretiens avec les professionnels de l’informatique nous laissent entendre que le problème n’est pas lié au mainframe en soi», relativisent les experts de Morgan Stanley. 

La marge de manœuvre d’une banque quant à sa capacité de migrer vers une infrastructure plus agile dépend aussi de la quantité d’applications actuellement codées sur le langage de programmation historique qu’est le langage COBOL, créé en 1959… Elle dépend également du nombre de couches logiques de l’architecture que la banque a déjà intégrées dans son infrastructure. 

Pour de nombreuses banques, ces couches lui permettent déjà de mieux gérer les données, notamment grâce aux interfaces de programmation applicative (API). Aussi, d’une banque à l’autre, le degré de résilience et de stabilité opérationnelles varie de façon significative. Ainsi, un remplacement du CBS peut ne pas nécessairement convenir à toutes les banques. 

Toutefois, l’on sait, sur la base d’une enquête menée par le consultant Deloitte mandatée par Temenos, leader suisse de solutions technologiques pour l’industrie des services financiers, que les banques spécialisées et de moyennes taille (Tier 2) peuvent réaliser une baisse de 8% du ratio coût/revenu après substitution intégrale du CBS.

Seulement 49% des banques dans le monde
disposent d’une vue unique du client, capables de visualiser en un seul endroit
toutes les données relatives à leurs habitudes de consommation.

Quant aux M&A, il n’est pas rare de constater dans la pratique que celles-ci donnent lieu à des mosaïques de systèmes hétérogènes difficiles à gérer. Mais Morgan Stanley estime que cette option semble inévitable. Pour les banques n’ayant pas les ressources suffisantes pour investir dans de nouvelles infrastructures informatiques ou qui craignent que leurs clients ne suivent pas le rythme de leur transformation, la fusion avec une autre entité complémentaire paraît une option viable sur le long terme.

Une autre option consisterait à faire reposer le CBS sur l’infrastructure d’une tierce partie, comme, par exemple, un fournisseur de logiciel. Ce dernier aura alors la mission critique d’assurer que ses solutions – qu’elles soient basées ou non sur le cloud – soient taillées sur mesure en fonction des besoins des clients de la banque. S’agissant de l’expérience client, Morgan Stanley s’étonne que seulement 49% des banques dans le monde disposent d’une vue unique du client, capables de visualiser en un seul endroit et sous un format unique toutes les données relatives à leurs habitudes de consommation.

Tout le contraire de ce qui s’observe dans le secteur des technologies de l’information, où le groupe de commerce en ligne Amazon.com, le réseau social Facebook ou encore le moteur de recherche Google se donnent pour objectif d’offrir à leurs usagers ce dont ceux-ci ont besoin avant même qu’ils ne le demandent. Morgan Stanley recense pas moins de cinq applications grâce auxquelles l’expérience client peut être améliorée de façon significative, toutes plus ou moins liées à la santé et à la planification financières.

«Plusieurs des sociétés fintech avec qui nous avons discuté n’ont pas peur de l’échec.
Cela peut même les aider, du moment qu’elles échouent rapidement.»

Telles que les applications liées aux prêts hypothécaires, consistant à fournir les données critiques aux jeunes acheteurs à crédit de biens immobiliers peu familiers des processus d’emprunt – là aussi, avant même que ces derniers ne manifestent de tels besoins. De même en ce qui concerne les produits d’épargne, où il s’agirait de mieux informer les utilisateurs sur les implications économiques que leurs modes de consommation respectifs impliquent pour leur pouvoir d’achat dans le temps.

Il s’agirait également de compléter les services bancaires traditionnels par des services de référencement. Par exemple, ayant pris connaissance des factures énergétiques des ménages, une banque pourrait proposer à ces derniers des contrats reflétant de manière plus optimale leurs besoins spécifiques. Lorsque le client est une entreprise dont les activités s’étendent au-delà du territoire nationale, les banques pourraient également suivre leurs flux de trésorerie et ainsi proposer les meilleurs services de couverture contre le risque de change.

Enfin, une banque ne doit pas hésiter à intégrer dans ses gènes l’ADN des fintech. Ne pas avoir peur d’échouer en lançant de nouvelles applications sur le marché. «Plusieurs des sociétés fintech avec qui nous avons discuté n’ont pas peur de l’échec», insiste Morgan Stanley. «Cela peut même les aider, du moment qu’elles échouent rapidement, dès lors que leur chute peut donner lieu à de meilleurs résultats et accélérer le changement.»

Mais, là encore, plus facile à dire qu’à faire. Les grandes banques systémiques comptant des millions de clients à travers le monde, particulièrement dépendants de leur réputation, ne peuvent pas se permettre d’échouer, même pour un bref instant. «Bien que nous concevions ce risque pour les grandes institutions, nous soutenons toutefois qu’un changement trop lent peut se traduire par des pertes de parts de marché, dès lors que les préférences des consommateurs évoluent avec une grande rapidité, au point que les services bancaires peuvent prendre une toute autre forme en l’espace de seulement cinq ans.»