La politique périlleuse de la Chine envers Taiwan

Minxin Pei, Claremont McKenna College

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Xi Jinping a refusé de renoncer à l'usage de la force pour empêcher Taiwan de chercher l'indépendance formelle.

© Keystone

La lutte géopolitique qui se déroule entre la Chine et les États-Unis a été décrite par beaucoup comme une nouvelle guerre froide. Si cette dernière devait se réchauffer, le détonateur pourrait être Taiwan, en grande partie à cause de la politique chinoise envers l'île.

Le gouvernement chinois a suspendu les contacts diplomatiques avec Taiwan en juin 2016, parce que le Parti progressiste démocratique (DPP) indépendantiste, qui venait tout juste de revenir au pouvoir, avait refusé de reconnaître le soi-disant Consensus de 1992, la base politique du principe d'une seule Chine. Depuis lors, toutefois, le président taïwanais Tsai Ing-wen a poursuivi une politique modérée, décevant les partisans de la ligne dure du DPP.

La Chine reste déterminée
à rechercher la réunification.

Ce n'est pas assez pour la Chine, qui a continué à augmenter la pression sur Taiwan. Par exemple, elle a convaincu cinq autres pays à rompre les liens diplomatiques à sa suite, ce qui réduit le nombre de pays qui entretiennent des relations officielles avec l'île à seulement 17. La Chine a également pris des mesures pour étouffer le tourisme au départ du continent: alors que presque 4,2 millions de touristes chinois continentaux ont visité Taiwan en 2015, lorsque le gouvernement pro-Pékin du Kuomintang était au pouvoir, le total est tombé à seulement 2,73 millions en 2017.

Le gouvernement de Taiwan n'a pas cligné des yeux. Mais, en novembre dernier, le DPP a subi un échec retentissant aux élections locales, en grande partie en raison de la croissance économique anémique – un résultat qui a poussé Tsai, politiquement affaiblie, à démissionner en tant que chef du parti.

Pour la Chine, cela semblait être le moment idéal pour faire monter la pression. Ainsi, le 2 janvier, le président chinois Xi Jinping a prononcé un important discours sur Taiwan, dans lequel il a clairement indiqué que la Chine reste déterminée à rechercher la réunification.

Xi a rejeté l'argument selon lequel le système politique autocratique de la Chine est fondamentalement incompatible avec la démocratie tumultueuse de Taiwan, insistant sur le fait que la formule «un pays, deux systèmes», d'abord appliquée à Hong Kong quand elle est passée de l’administration britannique à celle chinoise en 1997, serait suffisante pour protéger les intérêts et l'autonomie de Taiwan. Cette formule est cependant de moins en moins effective à Hong Kong aujourd’hui, où les libertés ont été progressivement érodées au cours du mandat de M. Xi.

Le gouvernement de Taiwan
est resté imperturbable.

Xi n'a pas non plus indiqué qu'il offrirait des concessions pour attirer Taiwan à la table de négociation. Au contraire, en dépit d’avoir déclaré que «des Chinois ne combattront pas des Chinois», il a refusé de renoncer à l'usage de la force pour empêcher Taiwan de chercher l'indépendance formelle. La Chine doit, selon ses mots, «se réserver la possibilité de prendre toute mesure nécessaire», bien qu’il affirme que la menace ne vise que «les forces extérieures et un très petit nombre de séparatistes du mouvement ‘Taiwan indépendance».

Encore une fois, le gouvernement de Taiwan est resté imperturbable. Tsai a répondu par un discours provocant à son tour, dans lequel elle a catégoriquement rejeté à la fois le principe d'une seule Chine et la formule «un pays, deux systèmes», et a appelé la communauté internationale à soutenir l'indépendance de facto de Taiwan.

Même si la position ferme de Xi envers Taiwan pourrait finir par raviver le soutien affaiblit à Tsai et au DPP, il n'y a aucune raison de penser qu'il puisse en changer dans un avenir proche. Mais il n’y a pas non plus de raison de penser que la politique de la Chine cessera de se retourner contre elle. Bien que les préjudices économiques et l’humiliation diplomatique imposés à Taïwan puissent produire une certaine satisfaction psychologique à court terme en Chine, l'île s’ajustera au fil du temps et les actions chinoises donneront des rendements décroissants.

Par exemple, après que la Chine ait réduit le nombre de visiteurs en provenance du continent, Taiwan a tourné son attention vers l’attraction de touristes d'autres pays. En dépit de la baisse du nombre de visiteurs du continent, 11 millions de touristes – ce qui représente un nouveau record – ont visité l'île en 2018. Dans le but de réduire sa dépendance économique au continent, Taiwan a également cherché très activement à diversifier ses marchés d’outre-mer.

La Chine a répondu à ces défis pesant sur sa politique
d'une Chine unique en augmentant la pression sur Taiwan.

Par ailleurs, bien que l'économie chinoise soit beaucoup plus grande, Taiwan a des sources de levier importantes. Par exemple, limiter les possibilités pour son industrie électronique – qui forme un lien vital entre la Chine et les chaînes d'approvisionnement mondiales dans le domaine des technologies de l’information – de faire des affaires avec le continent accélérerait considérablement l'exode des fabricants chinois tournés vers l'exportation déclenché par la hausse des tarifs d'importation des États-Unis.

Peut-être la conséquence la plus dangereuse de la politique chinoise envers Taiwan est qu'elle soulève de nouvelles tensions avec les États-Unis. En tant que protecteur ultime de l'indépendance de facto de Taiwan, les Etats-Unis ont déjà pris des mesures pour faire passer le message qu'ils ne se contenteront pas d’observer en silence la Chine intimider l'île dans le but de la soumettre. En février dernier, le Congrès américain a adopté à l'unanimité la Loi Taiwan Travel, qui permettra aux hauts fonctionnaires américains de visiter Taiwan et vice versa. Bien que la mesure soit largement symbolique, elle a provoqué la colère de la Chine, parce que cela revient à une reconnaissance officielle du gouvernement de Taïwan.

De plus, en septembre, les Etats-Unis ont rappelé leurs ambassadeurs en République dominicaine, à El Salvador et au Panama, afin de protester contre la décision de ces pays de rompre les liens diplomatiques avec Taiwan. Et des propositions visant à renforcer la coopération militaire entre les États-Unis et Taiwan, y compris par la vente d'armes de pointe, sont en discussion.

Jusqu'à présent, la Chine a répondu à ces défis pesant sur sa politique d'une Chine unique en augmentant la pression sur Taiwan – continuant une dynamique très dangereuse à un moment où les relations sino-américaines sont déjà tendues. À moins que les dirigeants de la Chine brisent ce cycle, un bras de fer de plus en plus dur avec les États-Unis pourrait dégénérer en conflit direct.

Traduit de l’anglais par Timothée Demont

Copyright: Project Syndicate, 2018.

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