La clef du succès: apprendre par cœur ou avec le cœur?

Philippe Szokolóczy-Syllaba

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Les valeurs d’altruisme, de compassion, d’empathie, de partage avec les autres dans un esprit de bienveillance, ça marche pas mal!

Si l’on veut réussir ses études, il vaut mieux connaitre ses leçons sur le bout des doigts. L’école nous apprend que pour réussir, il faut avant tout savoir régurgiter ce que l’on nous a enseigné. Certes avec un minimum d’intelligence et de discernement, mais sans trop dévier du cadre prescrit. L’école n’aime pas tellement ceux qui sortent des rangs, sous prétexte qu’ils seraient plus difficiles à évaluer ou à cadrer. Et puis il y a des écoles spéciales pour ceux qui ne raisonnent pas comme les autres.

La norme c’est pratique, ça permet de formater les esprits et d’évaluer les élèves selon des standards bien définis. De sélectionner des gars et des filles qui auront été entrainés dès leur plus jeune âge à travailler sans s’économiser et à ne pas trop remettre en cause le dogme, cette opinion revêtue d'une autorité qu'on ne discute pas. Au contraire, à en devenir ses meilleurs défenseurs, sciemment ou pas, de façon à le perpétuer. Ils deviendront ainsi de bons citoyens, à savoir des pions dociles sur l’échiquier du système de consommation. Ils continueront à s’échiner, en couvant des rêves de succès, dépenseront tout leur salaire en biens et services pour faire tourner l’économie, s’endetteront (car s’il suffisait à l’économie de dépenser tout ce que l’on gagne, ça se saurait) et ne seront pas prônes à se poser trop de questions. Ils ne risqueront d’ailleurs pas d’en avoir le temps car la compétitivité ambiante dans laquelle ils auront été dressés ne leur conférera pas loisir de prendre le recul de la réflexion, s’ils ne veulent pas se faire piétiner par le reste de la meute.

A force d’en avoir bavé pour faire et avoir,
on n’arrive plus vraiment à être.

Si l’on s’en tient à ce que nous dit la science, nous n’existons qu’en raison d’un accident cosmique (théorie du Big Bang) et nous ne survivons qu’en vertu de la loi du plus fort (théorie de l’évolution). Sur un plan existentiel nos vies n’auraient donc aucun sens, sauf à tâcher de surnager et de faire perdurer une trajectoire due au hasard. Pas gai et moyennement motivant si l’on cherche des raisons de se lever chaque matin. Normal donc que nous nous réfugions dans la course au pouvoir et au matérialisme, en évitant de se poser trop de questions.

Mais le jour où nos rejetons darwiniens accèdent à la réussite, pour le petit nombre d’entre eux qui y parviennent, car la lutte est âpre, il n’est pas sûr qu’ils arrivent à relever la tête du guidon pour autant. Que ce soit l’habitude de trimer ou l’angoisse du vide, on ne se défait pas si facilement de réflexes aussi durement acquis. Comme me le rappelait à propos mon ami Aymeric, nos sociétés occidentales nous apprennent à FAIRE, pour AVOIR et ensuite à finalement ÊTRE. Mais à force d’en avoir bavé pour faire et avoir, on n’arrive plus vraiment à être. Tout au plus à paraître, avant de disparaître...

Et c’est pourtant la voie qu’on nous enseigne, que ce soit à l’école ou dans la vie professionnelle. Elle s’appelle le chemin du succès. Mais de quel succès parle-t-on? Et surtout à quel prix? Je sais que mes associations d’idées subtiles, dont la finesse ferait croire à une ficelle qu’elle n’est qu’une grosse corde, vous ont amené à trouver la réponse tout(e) seul(e): je parle du succès matériel bien sûr, celui qui ne fait pas le bonheur et dont le prix est souvent plus élevé qu’on ne se l’était imaginé, bravo vous aviez deviné.

Blague à part, pourquoi n’apprendrions-nous pas à nos enfants d’abord à ÊTRE, pour qu’ils puissent ensuite décider que FAIRE et, si ça les amuse encore, d’AVOIR? Pourquoi cultive-t-on l’esprit de compétition sous prétexte d’une quête d’excellence alors qu’au final le résultat n’est que division et rivalité? Pourquoi cette culture du chacun pour soi afin de réussir à tout prix?

La réponse est simple, c’est parce qu’il n’y en a pas assez pour tout le monde sur notre belle planète bleue. Si chacun vivait comme un américain, il nous faudrait 5 planètes en termes de ressources. Déjà maintenant le monde fonctionne à crédit puisque nous utilisons chaque année 1,7 x les ressources que la planète est capable de renouveler en un an1. En d’autres termes, cela signifie que nous sommes bel et bien pris dans ce cercle vicieux du chacun pour soi: si l’on ne veut pas manquer et continuer à bien vivre sur le plan matériel, il faut faire partie de ceux qui ont. Et comme il n’y en a pas assez pour tous, faire partie de ceux qui ont se fait forcément au détriment de ceux qui n’ont pas, dont il faut tâcher de maintenir la tête sous l’eau.

Nous entretenons cette mécanique
qui à terme ne peut mener qu’à une impasse.

On comprend dès lors mieux la politique des dirigeants occidentaux de par le monde, notamment au Moyen-Orient: s’y approvisionner en ressources naturelles en s’entendant avec les chefs d’Etat disposés à collaborer dans l’intérêt de l’Occident et accessoirement dans leur intérêt personnel et, s’ils ne sont pas assez disposés, mettre leur pays à feu et à sang pour faire d’une pierre plusieurs coups: vendre quelques armes au passage, c’est toujours bon pour le commerce, renforcer le budget militaire pour y envoyer des troupes sous prétexte d’y déloger les affreux tyrans qui les dirigent (dont le principal crime a été de ne pas collaborer avec le monde occidental), mettre en place un dirigeant davantage enclin à nous laisser piller ses ressources, puis se faire encore un peu d’argent sur la reconstruction du pays que nous venons de détruire avec nos bombes. Après, l’on s’étonne que les habitants de ces pays, qui n’avaient rien demandé, souhaitent se réfugier en Europe.

Quand comprendrons-nous qu’en confiant nos enfants à un système qui les nourrit dès leur plus tendre enfance au biberon du Toujours Plus et du Toujours Mieux, nous entretenons cette mécanique qui à terme ne peut mener qu’à une impasse? Et c’est plus insidieux que nous ne le pensons. Quand quelque gourou du développement personnel nous affirme que nous devons apprendre à construire notre estime de soi, ne nous envoie-t-il pas le message de tirer la couverture à soi, de se regarder le nombril et de se comparer aux autres? Si l’on veut s’estimer, peut-on y parvenir dans l’absolu ou ne va-t-on pas nécessairement le faire par comparaison aux autres? Si je pense que je ne vaux rien, c’est forcément par rapport aux autres. Il faudrait donc que je considère que je vaux au moins autant qu’eux, voire mieux ! D’ici là à céder à la tentation de dénigrer les autres pour se valoriser, il n’y a qu’un pas qu’heureusement tous ne franchissent pas (du moins ceux qui savent qu’on ne s’élève jamais en rabaissant les autres). Mais dans une société qui compte nombre de gens mal dans leurs baskets, voire frustrés, dépressifs, aigris, jaloux, névrosés, dépités ou dans une forme ou une autre de déni, la tentation peut reprendre le dessus. Surtout dans une société qui valorise tant la réussite individuelle, la performance, la compétition.

Pourquoi ne pas simplement essayer la bienveillance,
envers soi-même comme envers les autres?

«Si tu veux une bonne image de toi, commence par te mettre en valeur» nous disent les publicités dans les magazines. «Fais du sport pour t’affermir, fais-toi relooker dans des émissions de télévision, prends de l’assurance, ne t’en laisse pas compter, etc...», bref beaucoup de «Me, Myself and I». Sûrement pour le plus grand bonheur des bijoutiers, marques de fringues, coiffeurs, esthéticiens, coaches et autres revendeurs de rêve. Mais est-ce que ça marche et fait de nous des humains épanouis pour une société meilleure?

Et pourquoi ne déciderions-nous pas d’arrêter d’apprendre par cœur les rituels qui nous permettent de rentrer dans les fourches caudines de ces diktats sociétaux aux relents de pub hollywoodiennes avec des sourires pleins les dents? Pourquoi ne commencerions-nous pas, à la place, à apprendre AVEC le cœur? Pourquoi ne pas simplement essayer la bienveillance, envers soi-même comme envers les autres? Certes ça ne fait pas nécessairement vendre, mais les valeurs d’altruisme, de compassion, d’empathie, de partage avec les autres dans un esprit de bienveillance, ça marche pas mal ! Plusieurs études montrent qu’en faisant du bien autour de soi, on se fait du bien à soi-même, tout en contribuant à une société meilleure. Plus besoin de se mettre en avant et de se stresser à essayer de se hisser au-dessus de la mêlée. Il suffit de penser à un petit geste, une parole bien intentionnée, une bonne action pour un ami, un voisin, un collègue, un être aimé. Essayez, c’est étonnant comme on se sent mieux après. N’est-ce pas?

 

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