L’intérêt est énorme pour la place genevoise

Emmanuel Garessus

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Les banques étrangères font de plus en plus des yeux doux aux établissements suisses, affirme Frederic Gross d’Actoria.

L’activité risque d’être forte dans les fusions et acquisitions d’instituts financiers en Suisse. Expert en fusions et acquisitions, Frederic Gross, Managing Partner en banque et finance auprès d’Actoria, estime que 40% des banques suisses ont disparu ou ont été fusionnées depuis 1997. La diminution n’est toutefois que de 10% en termes d’effectifs. Et ces deux dernières années, elle a fait place à une stabilisation de l’emploi.

Le prix d’achat d’une banque en Suisse

Le prix s’est accru ces dernières années parce que le nombre de «bons» objets s’est raréfié, affirme Frederic Gross «Il s’est affiné parce que l’acheteur ne veut pas qu’un nom inscrit sur une porte. Il achète un outil qu’il veut développer en fonction d’une logique commerciale et d’un positionnement», ajoute-t-il.

Le prix correspond au total de la valeur nette des actifs auquel on ajoute le goodwill et dont on réduit les risques. La variation du prix concerne surtout la valorisation du goodwill. L’acheteur paie environ 0,8% des actifs pour un compte en administration et jusqu’à 1,5% pour un compte en gestion discrétionnaire active. Mais il doit prendre en compte les risques. Sur ce plan, selon notre interlocuteur, la manière de payer a évolué pour prendre en compte les risques, la cohérence et la réaction de la clientèle face au changement de propriétaire. «Nous assistons donc à un allongement des durées de paiement des transactions et des transitions», observe Frederic Gross.

«Le groupe Intesa Sanpaolo rachète des établissements sur un rythme soutenu et semble consolider ses activités de gestion de fortune autour de sa nouvelle entité Reyl Intesa Sanpaolo.»

L’activité démarre bien en 2023, juge l’expert. La demande est très forte de la part de banques de plusieurs continents qui cherchent à s’établir en Suisse. «Elle provient de grandes banques qui veulent soit établir une filiale suisse, soit reprendre une banque suisse et consolider les activités». Le Managing Partner d’Actoria observe que le groupe Intesa Sanpaolo rachète des établissements sur un rythme soutenu et semble consolider ses activités de gestion de fortune autour de sa nouvelle entité Reyl Intesa Sanpaolo. De même, Arab Bank a repris Gonet & Cie qui devrait constituer le centre d’un pôle de gestion de fortune pour poursuivre le développement. «Si une banque déjà connue dans la gestion souhaite s’installer en Suisse, il est probable qu’elle le fasse sous son nom et consolide des actifs cohérents, incluant le segment des gérants de fortune indépendants. Nous enregistrons plusieurs demandes dans ces deux stratégies», poursuit Frederic Gross.

Vif intérêt pour Genève

Une réallocation de l’emploi s’opère entre les grandes banques et les banquiers privés vers les banques étrangères et les banques cantonales ou caisse Raiffeisen. De plus, le développement de banque plus spécialisées et l’émergence de banques digitales permet à l’emploi, selon Frederic Gross, de ne pas suivre la baisse du nombre d’établissements.

La phase de consolidation se stabilise en raison de l’attractivité de la Suisse pour des banques et des groupes situés en dehors de la zone euro. Pour Frederic Gross, «nous pourrions même assister à une augmentation du nombre de licences bancaires à moyen terme, à condition que la Finma l’accepte».

La place genevoise, sixième place financière au monde, est constituée de banques suisses, d’instituts cotés en bourse et de sociétés étrangères présentes en Suisse. «Elle suscite un énorme intérêt pour son savoir-faire, sa situation géographique et ses capacités logistiques. Genève reste un nom attrayant, davantage que Zurich», juge l’expert, surtout pour des groupes du Moyen Orient, d’Afrique ou d’Asie, précise-t-il. Genève gère d’ailleurs 27% des capitaux offshore mondiaux. Le réservoir de ressources humaines disponibles ainsi que l’excellence de la formation sur l’axe lémanique, motivent l’intérêt pour Genève. Des décisions règlementaires ont eu également des impacts importants sur Genève, comme les nouvelles exigences de couvertures des financements de matières premières. Plusieurs acteurs ont quitté Genève. Le segment des banques d’investissement et du crédit s’intéressent également aux ressources concentrées à Genève, analyse Frederic Gross, auquel s’ajoutent les banques spécialisées dans le segment des entreprises, parce que la concurrence y est moins forte que dans la gestion privée.

Consolidation entre gérants de fortune indépendants

Près de la moitié des gérants indépendants ont, suite à la nouvelle réglementation (LEFin et LSFin), renoncé à être inscrits à la Finma. «Mais dans ceux qui n’ont pas renoncé, il reste des sociétés qui n’ont pas encore décidé, des entités dont la structure, leur taille en terme d’actifs ou de personnes ne correspond pas aux critères», révèle Frederic Gross. L’expert observe également le choix de banques comme Julius Baer de vendre ses gérants indépendants, par exemple Fransad cédé finalement à son management. Enfin le développement de plateformes est une option pour les petites structures.

Dès le second semestre 2022, Frederic Gross a observé un phénomène d’embouteillage dans les procédures d’autorisation parce que les gérants indépendants n’ont pas suffisamment anticipé le changement de réglementation et que les ressources de la Finma étaient limitées. La modification est intervenue le 1er janvier. Le processus de concentration est lent «parce qu’il y a beaucoup de petits acteurs, de fortes personnalités, des relations triparties (client, banque et gérant) et le nombre de spécialistes des fusions de gérants indépendants est extrêmement limité».

Dans la banque de gestion de fortune, l’évolution de l’âge et des compétences de la clientèle induit entre autres un besoin de digitalisation.

Compte tenu de l’engorgement des dossiers, la Finma devrait probablement prolonger le délai. Les sociétés doivent d’abord s’enregistrer à la Finma avant de s’affilier à un organisme de surveillance. La loi (LSFin, LEFin) date de juin 2018. Mais l’expérience montre qu’un délai supplémentaire est souvent accordé, induit par l’attentisme des acteurs face à un changement. Les gérants qui se mettent à jour attendent le dernier moment, selon le responsable d’Actoria et se retrouvent avec des dossiers de nouvelles structures en face d’une administration aux ressources limitées.

Les défis des banques en Suisse

En Suisse, les banques doivent affronter deux principaux défis, aux yeux de Frederic Gross.

Dans la banque de gestion de fortune, l’évolution de l’âge et des compétences de la clientèle induit entre autres un besoin de digitalisation. Le client souhaite davantage d’autonomie et d’informations. Il veut même participer activement à la gestion. Cette même digitalisation doit aussi, à son avis, apporter une optimisation des coûts.

Le modèle de distribution se transforme aussi, ajoute-t-il. La couverture du réseau domestique pour la clientèle de la gestion de fortune est saturée. «Mais la clientèle étrangère qui souhaite la même qualité de gestion, c’est-à-dire une gestion patrimoniale à long terme, est en développement mais dans d’autres marchés. Le Moyen Orient et l’Afrique sont des marchés de croissance. La encore, la digitalisation peut venir en appui du réseau classique», analyse-t-il.

Enfin, les banques de la place genevoise, comme la plupart des établissements sont insuffisamment positionnées, révèle Frederic Gross. Toutes communiquent qu’elles sont centrées sur le client et dotées d’une architecture ouverte. Elles ne sont, pense-t-il, que peu profilées sur une compétence particulière, par exemple le numérique ou la performance dans la gestion d’actif.

«Je suis assez positif en ce qui concerne les perspectives à 5 ans», affirme Frederic Gross. En termes d’emplois, il prévoit une croissance qui devrait suivre la croissance des établissements. «J’anticipe également une augmentation des revenus plutôt que des actifs sous gestion. Les banques développeront plusieurs nouvelles unités d’affaires pour leurs clients dans une vision de gestion patrimoniale et de service plus universelle», conclut-ill.

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