L’euro peut-il survivre sans intégration politique?

Cyril Gomez

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Vanguard observe que la création des zones monétaires a précédé de plus d’un siècle la formation d’une union politique et budgétaire complète.

Les marchés européens sont restés relativement calmes en ce début de troisième trimestre. Mais, dans un ou deux mois, lorsque le gouvernement italien eurosceptique présentera son budget 2019, le débat sur l’avenir à long terme de l’euro s’intensifiera très probablement. Les investisseurs n’excluent pas la possibilité d’un nouveau retour aux urnes orchestré par la coalition des partis populistes M5S et la Ligue, visant à renforcer leur pouvoir de négociation vis-à-vis des autorités européennes. 

«Dans un tel cas de figure, les nouvelles élections seraient perçues par les investisseurs comme une sorte de référendum pour ou contre l’Union européenne, ce qui ferait s’envoler les spreads entre les BTP et les Bunds à plus de 300 points de base», craint par exemple BNP Paribas Asset Management. Vendredi, sur son blog officiel, le gérant d’actifs français dit cependant retenir le scénario à long terme du maintien de l’Italie dans l’Union et la zone monétaire européenne.

«A terme, les graves conséquences économiques et financières d’une sortie de l’UE devraient dissuader le gouvernement d’aller dans cette direction, d’autant que la plupart des Italiens restent favorables à l’euro. Une enquête du quotidien Il Corriere della Sera publiée mi-juin révèle que malgré la perte de confiance généralisée envers l’UE, une majorité d’Italiens voterait pour un maintien dans l’Union (55 %) ou l’euro (49 %) lors d’un référendum», explique BNP Paribas.

«Le stress des marchés émergents pourrait renforcer le soutien autour de l’euro.»

Mark Dowding, co-directeur des Marchés Développés chez BlueBay Asset Management (BlueBay), estime pour sa part que les problèmes économiques que subissent actuellement les marchés émergents montrent qu’avoir sa propre monnaie et ses propres taux d’intérêt ne constituent guère une défense infaillible contre les graves crises. «De ce point de vue, le stress des marchés émergents pourrait renforcer le soutien autour de l’euro», précise-t-il dans une note publiée vendredi.

Un peu plus tôt dans le mois, Peter Westaway, Alexis Gray et Eleonore Parsley, économistes chez Vanguard Research (Vanguard), ont également tenté d’évaluer les chances de survie de l’euro. «Le risque d’une crise immédiate de l’euro est faible», insistent-ils dans leur étude consacrée à la devise européenne, publiée fin juillet. «Nous estimons en effet à 95% les chances de survie de l’euro au cours des cinq prochaines années.»

Les experts du gérant d’actifs américain observent d’abord que la plupart des économistes – aussi bien pour que contre l’euro – citent souvent le manque d’intégration politique de l’union monétaire européenne comme son principal facteur d’inefficience. Si l’Union bancaire existe certes depuis bientôt cinq ans, il manquerait à l’Europe une union budgétaire, capable de garantir une meilleure répartition des risques parmi les membres. Or, pour que cette union soit possible, une union politique préalable constituerait une condition essentielle. 

Cette approche, explique Vanguard, serait l’écho plus ou moins direct de la théorie de Robert Mundell sur les zones monétaires optimales, publiées au début des années 60. Après avoir passé en revue les diverses unions monétaires qui ont effectivement existé au cours des 200 dernières années, les experts de Vanguard émettent toutefois des réserves sur le caractère obligatoire d’une union politique préalable à une union monétaire.

Certes, les Etats-Unis offrent l’un des meilleurs exemples d’une union monétaire complète, consistant en une monnaie commune, un système bancaire commun, un marché du travail commun et une politique budgétaire commune entre les Etats fédéraux. Mais Vanguard attire l’attention sur le fait que ces unions monétaires ont pris un temps considérable à acquérir toutes leurs caractéristiques actuelles. De plus, l’unité politique s’est réalisée très longtemps après l’intégration monétaire. Ce qui contredit l’idée selon laquelle une intégration politique totale serait une condition indispensable à la création d’une union monétaire.

«Le plus urgent, selon nous, concerne le développement d’un plan de sauvetage
européen pour gérer les crises financières».

Les Etats-Unis ont mis en effet 180 ans pour se doter d’une union monétaire complète, dans un processus particulièrement violent. La première tentative d’établir une banque centrale commune à tous les Etats fédéraux fut la First Bank of the United States, qui finit par expirer en 1811, tout comme son successeur, la Second Bank of the United States, qui déposa le bilan en 1836 (l’épisode de la Guerre des Banques ou ‘Bank War’). Les Etats-Unis ont également failli éclater en tant que nation et Etat durant la Guerre de Sécession (1861-1865).

Vanguard cite également trois unions monétaires, dans les Caraïbes et en Afrique, qui ont survécu depuis des décennies sans pour autant constituer d’union politique et/ou budgétaire. «La longévité de ces unions incomplètes suggère qu’une intégration totale ne constitue pas une condition nécessaire à la survie d’une zone monétaire, bien que celle-ci soit un facteur positif, comme le suggère l’exemple américain», précisent les experts du gérant d’actifs.

Ces observations ne doivent cependant pas laisser penser que la zone euro n’a pas besoin d’union budgétaire et politique pour assurer son avenir. Elles suggèrent plutôt que les réformes visant à renforcer l’intégration de la zone euro prennent du temps à mettre en place. «Le plus urgent, selon nous, concerne le développement d’un plan de sauvetage européen pour gérer les crises financières, ainsi que de nouvelles règles donnant lieu à des stabilisateurs budgétaires automatiques durant les récessions», expliquent les économistes de Vanguard.

Pour ces derniers, il est essentiel que les économies les moins affectées durant les récessions prolongées puissent être en mesure de fournir le soutien nécessaire aux économies les plus touchées, sans subir les contraintes liées aux limites des dépenses budgétaires, comme ce fut le cas lors de la crise souveraine européenne. Enfin, autre réforme nécessaire pour la survie de la zone euro sur le long terme: une union budgétaire qui verrait la création d’un «trésorier européen» en charge de la politique budgétaire. Non pas que l’euro ne puisse survivre sans elle, mais une union budgétaire aurait au moins le mérite de rendre l’union monétaire beaucoup plus stable et plus résiliente aux crises.