La publication de chiffres de l’emploi médiocres aux Etats-Unis a attisé l’inquiétude des investisseurs, qui craignent que la Réserve fédérale américaine (Fed) n’ait attendu trop longtemps avant de réduire ses taux d’intérêt et que l’économie américaine ne se dirige vers une récession. Dans la foulée, l’aversion au risque s’est intensifiée, entraînant une chute de plus de 12% de l’indice Nikkei 225 au Japon.
Un taux de chômage relativement bas
Les chiffres de l’emploi pour juillet ont déçu les investisseurs, le nombre de créations d’emplois non agricoles n’ayant augmenté que de 114'000 et le taux de chômage étant remonté à 4,3% (contre 4,1% le mois précédent et un record plancher de 3,4% en mai 2023). Le salaire horaire moyen est ressorti en hausse de 0,2% en glissement mensuel et le nombre d’heures travaillées par semaine est en baisse, avec des conséquences négatives sur le revenu des ménages.
Malgré un taux de chômage relativement bas d’un point de vue historique, une hausse aussi rapide par le passé a souvent été associée à un ralentissement brutal de la croissance économique. Ces résultats décevants ont incité les investisseurs à anticiper une accélération du rythme de l’assouplissement monétaire, les marchés tablant désormais sur une réduction des taux de la Fed de près de 120 points de base (pb) cette année, contre 66 pb il y a encore deux semaines et 36 pb début juillet.
Les marchés semblent également impatients de voir les investissements massifs dans l’intelligence artificielle (IA) commencer à porter leurs fruits pour les grandes entreprises technologiques.
Le moral des investisseurs a également été ébranlé par la montée des tensions régionales au Moyen-Orient, certaines informations faisant état d’une attaque imminente de l’Iran et de ses alliés en représailles contre Israël. Ces rumeurs font suite à l’assassinat du chef politique du Hamas à Téhéran, l’Iran ayant déclaré qu’Israël en était responsable.
Que faut-il en penser?
Accorder trop d’importance à une statistique isolée peut induire en erreur. Il est possible que la faiblesse des chiffres de l’emploi aux Etats-Unis en juillet ait été accentuée par l’ouragan Beryl. Le nombre de personnes qui se sont déclarées dans l’incapacité de travailler en raison des conditions météorologiques était de 436'000, contre une moyenne de 33'000 pour le mois de juillet depuis l’an 2000.
Dans la mesure où l’inflation se rapproche durablement de l’objectif de la Fed, la banque centrale a sans doute toutes les raisons de réduire ses taux plus tôt que prévu.
En outre, la hausse du chômage s’explique en partie par l’augmentation du nombre d’Américains à la recherche d’un emploi. On verra si les chiffres du mois d’août apportent des éclaircissements à ce sujet. Quoi qu’il en soit, ces chiffres sont indéniablement décevants et renforceront les craintes que la Fed n’ait maintenu ses taux d’intérêt à un niveau trop élevé pendant trop longtemps.
Dans la mesure où l’inflation se rapproche durablement de l’objectif de la Fed, la banque centrale a sans doute toutes les raisons de réduire ses taux plus tôt que prévu. Dernièrement, le président de la Fed, Jerome Powell, a indiqué que la Fed « surveillerait très attentivement » les signes d’une tendance baissière sévère du marché du travail.
Dans ce contexte, on prévoit désormais que la Fed réduira ses taux de 100 pb cette année, contre 50 pb précédemment. Sauf amélioration des chiffres de l’emploi en août, la banque centrale américaine entamera certainement son cycle d’assouplissement par une réduction de 50 pb à l’issue de sa réunion de septembre.
Le spectre d’une récession s’éloigne
Néanmoins, la Recherche d’UBS prévoit toujours dans son scénario de base que les Etats-Unis échapperont à une récession, avec une croissance qui se maintiendra aux alentours du taux tendanciel de 2%. Avec des taux au plus haut depuis 23 ans, la Fed dispose d’une grande latitude pour soutenir l’économie et les marchés.
Plus important encore, la situation financière des ménages est globalement bonne, avec une croissance positive des revenus réels, des coûts moyens du service de la dette qui restent faibles par rapport aux moyennes historiques, et une richesse nette globale qui a progressé de 37% depuis le début de la pandémie. Compte tenu de tous ces facteurs, la consommation réelle positive, principal moteur de la croissance économique, devrait continuer à augmenter.
En outre, les conditions financières se sont déjà nettement assouplies, les rendements obligataires ayant baissé sur l’ensemble de la courbe, ce qui devrait relancer le marché de l’immobilier et encourager les investissements.
Un contexte favorable aux actions
Par ailleurs, les conditions devraient rester largement favorables au marché américain des actions. Malgré quelques signes de tassement des révisions des bénéfices, le bénéfice par action du S&P 500 devrait encore progresser de 11% en 2024.
La crispation du marché à l’égard de l’IA semble également prématurée. Sans doute faudra-t-il être patient avant de voir les entreprises démontrer qu’elles peuvent rentabiliser leurs investissements dans l’IA, mais rien n’indique qu’elles reviennent sur leurs plans d’investissement, compte tenu des promesses que recèle cette technologie. Plus généralement, lors des précédentes périodes sans récession, le S&P 500 a gagné 17% en moyenne au cours des douze mois qui ont suivi la première baisse des taux de la Fed.
Comment investir?
Les actions américaines devraient rester volatiles à court terme en raison des inquiétudes concernant la croissance, des doutes sur la monétisation de l’IA et des tensions géopolitiques. Toutefois, le repli de ces dernières semaines a certainement amélioré leur profil risque/rendement, en particulier celui des valeurs technologiques.
La dégringolade des marchés pourrait se prolonger si les craintes des investisseurs concernant le ralentissement de la croissance et le manque de réactivité de la Fed venaient à s’accentuer, si les avancées dans le domaine de l’intelligence artificielle n’étaient pas à la hauteur des attentes et si les tensions au Moyen-Orient dégénéraient en conflit de plus grande ampleur.
Cependant, comme à l’automne dernier, lorsque les craintes de surchauffe et le risque d’une politique plus restrictive de la Fed avaient provoqué une baisse de 10% du S&P 500, les inquiétudes sur la croissance qui alimentent la vente massive actuelle ne semblent pas justifiées.
Ainsi, la Recherche d’UBS table toujours sur un S&P 500 à 5900 points en fin d’année. Les fondamentaux des bénéfices restent positifs. Les bénéfices des entreprises du S&P 500 devraient progresser de 10 à 12% au deuxième trimestre. Alors que les résultats publiés représentent plus de 75% de la capitalisation boursière de l’indice S&P 500, ceux-ci sont généralement satisfaisants : 60% des sociétés font état de chiffres d’affaires supérieurs aux estimations et 75% d’entre elles ont annoncé des bénéfices meilleurs que prévu, ces données étant conformes aux moyennes historiques. Les prévisions des entreprises américaines pour le troisième trimestre sont également cohérentes avec les tendances saisonnières normales.
Dans ce contexte, les investisseurs peuvent envisager plusieurs stratégies.
- Se préparer à la baisse des taux d’intérêt
La dynamique mondiale de réduction des taux d’intérêt se confirme, avec la première baisse du cycle opérée par la Banque d’Angleterre. Récemment, la Fed a également indiqué, plus clairement que jamais, qu’elle allait réduire ses taux.
Avec le ralentissement de la croissance économique et la décrue de l’inflation, ainsi que les baisses de taux d’intérêt des banques centrales, on entrevoit de belles opportunités sur le marché obligataire. Les investisseurs auraient tout intérêt à placer leurs liquidités et leurs avoirs monétaires dans des obligations d’entreprise et des emprunts d’Etat de qualité élevée, dont les cours devraient s’apprécier à mesure que les marchés anticiperont une baisse plus franche des taux directeurs.
Les obligations de qualité devraient bien performer dans le scénario de base d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine et encore mieux dans le scénario d’une récession, ce qui permettrait d’atténuer les faiblesses d’autres composantes d’un portefeuille.
- Saisir l’opportunité de l’IA
Le marché ayant placé la barre très haut, le secteur mondial de la technologie a dû serrer les dents lors de la publication des résultats du deuxième trimestre. Toutefois, les fondamentaux restent solides et le secteur technologique mondial devrait enregistrer une croissance des bénéfices de 24% en glissement annuel pour le trimestre.
On peut prévoir une croissance de 43% en glissement annuel des dépenses d’investissement des géants technologiques pour 2024, après leur annonce d’une nouvelle hausse de 9 milliards de dollars. Les applications de l’IA telles que les assistants personnels et la génération de contenu devront justifier les dépenses dans l’infrastructure de l’IA au niveau des centres de données et des GPU (Graphics Processing Unit – unité de traitement unique).
Jusqu’à présent, les publications des bénéfices suggèrent que la confiance des dirigeants du secteur technologique dans le retour sur investissement des dépenses d’infrastructure de l’IA reste forte et que la monétisation de l’IA est en progression. L’optimisme est de mise quant à la croissance de l’IA et la récente correction du cours des actions devrait constituer une bonne occasion de s’exposer aux principaux bénéficiaires de l’IA dans les secteurs des semi-conducteurs, des logiciels et de l’Internet, à des valorisations plus raisonnables. Les investisseurs peuvent également envisager des stratégies structurées pour s’exposer progressivement aux actions du secteur technologique.
- Rechercher la croissance de qualité
La recherche d’une croissance de qualité devrait s’appliquer de façon générale aux actions détenues par les investisseurs. La croissance des bénéfices observée récemment a été principalement tirée par des entreprises qui bénéficient d’avantages concurrentiels et d’une exposition à des facteurs structurels qui leur ont permis de se développer et de réinvestir leurs bénéfices avec constance. Cette tendance devrait être appelée à se poursuivre et les investisseurs devraient privilégier les titres de croissance de qualité pour en bénéficier.
- Se diversifier à l’aide des actifs alternatifs
En période d’incertitude économique, on considère les placements alternatifs comme une source stratégique de diversification et de rendements corrigés du risque. Les hedge funds peuvent non seulement permettre de stabiliser les portefeuilles en période de tension, mais aussi de tirer parti des perturbations du marché et de générer des rendements attrayants lorsque d’autres classes d’actifs sont à la peine. Les investissements dans les produits alternatifs comportent des risques, à savoir l’illiquidité et le manque de transparence.