Investment grade: les spreads de crédit sont-ils vraiment bon marché?

Christopher Hult, Columbia Threadneedle Investments

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Notre scénario de référence prévoit une reprise en forme de «U» dans le cadre de laquelle environ dix trimestres seraient nécessaires pour retrouver les niveaux de croissance de 2019.

De manière générale, les marchés d’actifs risqués ont enregistré l'une de leurs pires performances entre la mi-février et la fin mars, et cela est d'autant plus vrai pour le crédit investment grade (IG). Cette situation résulte de la crise de COVID-19 et a été marquée tant par la rapidité que par l’étendue de l’élargissement des spreads. 

Plus précisément, le spread des obligations IG mondiales par rapport aux emprunts d’Etat est passé de 100 points de base (pb) à 340 pb, ponctuant la correction la plus rapide jamais enregistrée dans le crédit IG. De surcroît, les spreads n'avaient plus été aussi larges depuis la crise financière mondiale en 2008 lorsqu'ils avaient atteint près de 500 pb. 

Le mois de mars s’est soldé par un rendement excédentaire de -9%, plus mauvaise encore que ceux enregistrés en septembre et octobre 2008 (respectivement, -6% et -5%) lors de la crise financière mondiale. A 340 pb, les spreads de crédit IG mondiaux se situaient à quelque trois écarts-types de leur moyenne à long terme (130 pb). Au cours du mois d’avril, les spreads se sont resserrés, effaçant une partie de cet élargissement; ils se situent désormais à 1,2 écart-type en dessous de leur moyenne à long terme. 

Les questions auxquelles il nous a fallu répondre

L'élargissement des spreads a soulevé un certain nombre de questions: les marchés du crédit sont-ils assez bon marché pour justifier une augmentation du risque du portefeuille? Le cas échéant, quelle proportion de notre budget de risque devrions-nous allouer? Et est-ce une occasion comme il s'en présente rarement de renforcer l’exposition au risque – le fameux «fat pitch»? 

Dans le cadre de notre approche fondamentale bottom-up, il convient en premier lieu d’évaluer les fondamentaux des entreprises avant de trancher véritablement la question de savoir si les valorisations surcompensent les risques. Il est incontestable que les marchés sont bien moins onéreux, comme il ne fait aucun doute que nous sommes confrontés à une situation inédite dans laquelle des secteurs entiers sont à l’arrêt total, les populations sont mises en quarantaine et le chômage flambe. Par exemple, les données sur le marché de l'emploi hors secteur agricole publiées la semaine dernière ont montré que la quasi-totalité des créations d'emploi enregistrées aux Etats-Unis depuis 2009 ont été annihilées, près de 21 millions d’emplois ayant disparu en l’espace de deux mois. 

La réponse à la crise 

En début d'année, notre évaluation du cycle de crédit appelait à une approche «prudente». Nous nous sommes basés sur l’attention croissante portée à la rentabilité pour les actionnaires, l’endettement élevé, le durcissement des conditions financières (même si l'Europe a fait exception du fait de la politique d’assouplissement quantitatif menée par la BCE), et des niveaux de valorisation proches, sinon en deçà, de leur moyenne à long terme. 

La situation dans le monde a bien changé. Les banques centrales et les gouvernements se sont affranchis des règles habituelles et ont engagé des programmes audacieux afin d’éviter les défaillances. Les facilités octroyées par les banques centrales fournissent des liquidités presque illimitées au système financier. Parallèlement, des mesures de soutien budgétaire sans précédent ont été mises en oeuvre en faveur des entreprises et des ménages afin d’empêcher un effondrement de l’économie et de lui permettre de se remettre du choc causé par la pandémie. L’effort est considérable. Nous avons dès lors revu à la hausse notre évaluation de l’environnement technique à «favorable». 

Un contexte économique défavorable, une détérioration de la santé des entreprises 

Nous avons en revanche revu à la baisse notre évaluation des perspectives économiques à «négative». Une récession mondiale importante nous paraît inévitable. Les indices PMI préliminaires (climat des affaires) ainsi que les statistiques sur le marché de l’emploi aux Etats-Unis sont particulièrement alarmants. Par ailleurs, les résultats du premier trimestre soulignent la chute brutale des revenus dans l’ensemble de l’économie. Notre scénario de référence prévoit une reprise en forme de «U» dans le cadre de laquelle environ dix trimestres seraient nécessaires pour retrouver les niveaux de croissance de 2019, après une année 2020 extrêmement négative. 

En ce qui concerne les entreprises, nous étions pessimistes à l’égard des fondamentaux en début d'année et notre sentiment s’est encore dégradé depuis lors. Compte tenu du niveau d’endettement élevé des entreprises, nous avions initialement craint que leurs bilans soient fragilisés par un éventuel choc économique. Les banques centrales et les gouvernements ont pris des mesures inédites afin de fournir des liquidités et de soutenir l’économie, mais le fait que ce soutien soit apporté sous la forme de prêts signifie que la plupart des entreprises s’endettent davantage à un moment où leurs revenus ont considérablement diminué. 

Par conséquent, l’endettement des entreprises dans lesquelles nous investissons devrait augmenter. Certes, les taux d’intérêt sont bas, ce qui rend le service de cette dette gérable, mais il n’en demeure pas moins que les entreprises déjà fortement endettées sont amenées à emprunter encore plus pour consolider leurs bilans afin de surmonter la crise et éviter la faillite. Les mesures visent à prévenir les défauts en cascade, ce qui est une bonne chose, mais nous nous attendons à ce que la qualité des bilans des entreprises se dégrade considérablement. Le marché IG était jusqu’à présent constitué d’émetteurs notés A, mais notre scénario de référence anticipe désormais une baisse la qualité globale de cet univers au sein duquel la note BBB serait prédominante. Preuve en est les révisions à la baisse déjà opérées par les agences de notation.

La rémunération des risques est-elle excessive?

Depuis l’an 2000, l'univers IG mondial affiche une notation moyenne de A, avec un ratio d’endettement net d'environ 1,2x aux Etats-Unis et 2,3x en Europe. Les entreprises notées BBB dans cet univers présentent en moyenne un ratio d’endettement net d'environ 2x aux Etats-Unis et 2,6x en Europe. Lorsque nous consolidons les prévisions bottom-up de nos analystes dans notre scénario Covid-19 négatif, le ratio d’endettement net des émetteurs IG progresse de 1,7x à 2,2x aux Etats-Unis et augmente plus encore dans l’univers IG européen. 

Ainsi, dans un scénario de tension, nous observons que l’endettement net au sein de l’univers du crédit IG mondial atteint des niveaux qui se rapprochent davantage de ceux des entreprises notées BBB. De façon à prendre en compte la détérioration potentielle du crédit et de jauger ce qui est déjà intégré dans les prix du marché, nous comparons l’évolution du crédit IG mondial et celle de l'indice des obligations notées BBB. 

Les spreads du crédit IG mondial ont clôturé le mois d’avril à 209 pb, soit à 1,2 écart-type de leur propre moyenne à long terme (130 pb), mais à seulement 0,2 écart-type de la moyenne à long terme des obligations BBB (190 pb). Il est vrai que ce résultat procède d’un scénario de baisse extrême qui ne constitue pas notre cadre de référence, mais il permet de mieux cerner notre prise de risque. Les spreads sont donc réellement bon marché et se situent à des niveaux éloignés de la moyenne des obligations BBB, mais peut-être pas au point d’offrir une «opportunité unique», compte tenu de l’ampleur de la détérioration potentielle des fondamentaux des emprunteurs.

Comment cela se traduit-il au sein de nos portefeuilles?

Nous avons augmenté le profil de risque de nos fonds à la fin mars, d’un niveau presque neutre à environ 75% de notre budget de risque. A cet effet, nous avons essentiellement accru notre exposition aux secteurs défensifs qui, selon nous, sortiront de la crise indemnes, voire plus solides dans certains cas.

Nous avons étoffé nos positions dans la technologie, les services aux collectivités, les boissons et la consommation de base. Par ailleurs, nous avons opéré des ajustements dans le secteur bancaire au profit des sociétés basées dans les pays dont la situation budgétaire est solide. 

Il se pourrait bien que les équipes de direction donnent la priorité au désendettement une fois la crise de COVID-19 passée, mais pour l'instant nous continuons d’accroître notre exposition en privilégiant des secteurs relativement défensifs. Notre surpondération du risque de crédit nous paraît judicieuse, mais nous estimons que les valorisations actuelles ne justifient pas d’y consacrer la totalité du budget de risque.

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