Investir dans la dette d'infrastructure avec un impact positif pour le climat

Pierre Husser, Asteria Investment Managers

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Historiquement considéré comme une compétence des gouvernements, le rôle délégué au secteur privé dans les actifs d'infrastructure a augmenté au cours des deux dernières décennies.

Les infrastructures offrent des services essentiels au bon fonctionnement d'une société. En ce début d'année, nous sommes convaincus que les investissements dans les infrastructures durables sont au cœur de cette transition séculaire qui permettra un développement économique durable à long terme. En effet, la lutte contre le changement climatique est l'exigence la plus pressante pour la planète et la société. Elle est au premier plan des politiques gouvernementales en Europe et dans le monde. En particulier, en raison de l’effet de la pandémie de Covid-19 sur les budgets des Etats, le capital privé jouera un rôle essentiel pour aider les gouvernements à atteindre les objectifs de l'Accord de Paris. Ces besoins immédiats et massifs persisteront. Cette opportunité immédiate est massive et s’inscrit sur le long terme. Il s'agit donc de la plus importante et attrayante opportunité que nous observons sur le marché privé.

Historiquement considéré comme une compétence des gouvernements, le rôle délégué au secteur privé dans les actifs d'infrastructure a augmenté au cours des deux dernières décennies. Conséquence des politiques de limitations des dépenses publiques les privatisations ont également entraîné un besoin croissant de capitaux privés. Cet environnement favorable a conduit à la croissance des fonds d'infrastructure non cotés qui pèsent actuellement 640 milliards de dollars et devraient atteindre 1,87 trillion de dollars d'ici 20261. La nature à long terme, diversifiée et résiliente des actifs d'infrastructure ainsi que leur fort profil de rendement ont suscité l'intérêt d'un nombre croissant de gestionnaires d'actifs et de fonds de pension. En Europe uniquement, pour atteindre l’objectif net zéro 2050, il faudra dépenser jusqu'à 7000 milliards d'euros en infrastructures au cours des 30 prochaines années, dont environ 3000 milliards d'euros proviendront de sources privées2.

La croissance du marché de la dette privée finançant des infrastructures

Autrefois considérée comme un sous-ensemble des investissements alternatifs, l'infrastructure est désormais pleinement reconnue comme une classe d'actifs distincte et attrayante. C'est ce que reconnaît désormais la Suisse avec la modification des règles applicables à la prévoyance professionnelle (OPP2). Au lieu d'être incluse dans l'allocation d'actifs alternatifs, la nouvelle réglementation permet aux caisses de pensions suisses d'investir jusqu'à 10% de leur portefeuille dans des actifs d'infrastructure, financés par une combinaison d'actions ("private equity") et de dettes. Ce principe de financement divise intrinsèquement le marché privé des infrastructures entre le segment du private equity et celui de la dette privée. Ce dernier est prédominant en volume. En effet, la dette représente 70 à 80% du montage financier nécessaire à la construction et à l'exploitation d'un actif. Les 20 à 30% restants sont constitués par le private equity. Massifs et stables, les volumes de dette privée d'infrastructure dans les pays de l’OCDE sont de l'ordre de 250 à 300 milliards de dollars par an depuis 20073.

Historiquement, en Europe, ce sont les banques qui ont assuré le financement des infrastructures. Cependant, en conséquence de la crise financière de 2008, le secteur bancaire, a été progressivement contraint par les exigences de fonds propres imposées par la réglementation bancaire de Bâle. Suite à cette modification en profondeur de leur environnement réglementaire, de nombreuses banques se sont retirées des prêts d'infrastructure à long terme, permettant de ce fait aux gestionnaires d'actifs d'accéder à cette classe d'actifs et de jouer un rôle croissant.

Malgré l'impact de la pandémie de Covid-19, le marché européen de la dette d'infrastructure a gagné en dynamisme au cours du second semestre 2020, pour revenir aux niveaux d'avant Covid en 2021. En 2020, 251 transactions ont été réalisées en Europe, représentant un volume de 105 milliards d'euros. Environ 70% de ce volume ont été financés par la dette4. Les 30% restants (31,5 milliards d'euros) représentent le volume des transactions de private equity dans les infrastructures européennes, ce qui pèsent sur la capacité de déploiement des larges volumes sous gestion positionnés sur ce dernier segment du private equity.

L'attractivité de la dette privée d’infrastructures pour la diversification des portefeuilles   

Les rendements des transactions de dette privée d’infrastructure dans les économies développées varient entre 1,5% et 3% sur le segment core du marché et jusqu'à 7% pour les actifs à haut rendement. La dette privée d'infrastructure peut donc être considérée comme une alternative crédible, avec des rendements élevés, aux emprunts d'État et d'entreprise, car elle offre une prime d'illiquidité intéressante. En effet, en décembre 2021 à fourchette de notation de crédit BB-B égale la dette d’infrastructure Européenne offre un taux moyen de Euribor + 4,5% contre Euribor + 2,75% pour les obligations cotées d’entreprises5.

Globalement, dans cet environnement de taux bas, les investisseurs sont plus que jamais à la recherche de rendement. Il devient évident pour de nombreux investisseurs que les allocations importantes en obligations d'État à rendement nul ne leur permettront pas de faire face à leurs engagements.

La dette d’infrastructure offre aux investisseurs une exposition différente de celle des infrastructures en private equity. Tout d'abord, les volumes sont plus importants, ce qui accélère le déploiement du capital sous gestion des fonds d’investissement. Il offre également un retour stable et attractif, ajusté au risque de crédit pendant toute la durée du prêt. Le flux de dividendes du private equity peut être extrait des actifs, mais uniquement après le service de la dette, qui contient souvent une clause de blocage des dividendes. La plupart des rendements du private equity se matérialisent à un horizon lointain, souvent avec la vente de l'actif. Dans un contexte de valorisation actuelle élevé et d’augmentation des taux d’intérêts directeurs, le futur des retours en private equity en infrastructure sera compresser. Enfin, la dette d'infrastructure est plus sûre que le private equity, car elle bénéficie de protections contre les baisses des revenus et augmentation des coûts grâce à une structuration et des garanties solides, un classement prioritaire face au private equity et des clauses contractuelles spécifiques. Pour donner un aperçu du contexte, si un actif rencontre des difficultés à rembourser sa dette, les investisseurs en dette privée peuvent faire valoir certains droits. Ils peuvent puiser dans des comptes de réserve spécifiques, bloquer le tirage de l’emprunts par l’emprunteur ou cesser de verser des dividendes à l'investisseur private equity. Dans ce cas, l'investisseur en private equity dispose d'une protection limitée. Il doit faire face à des retards dans la perception des dividendes, à une réduction des rendements ou potentiellement à des pertes. La robustesse de ces protections de la dette privée d'infrastructure a été démontrée au cours de l'année 2020, marquée par l'impact de Covid-19, avec des dégradations de notation très limitées (-0,3% des émetteurs)6 tout en préservant généralement les remboursements de coupon et de principal. D'autre part, le taux de rendement interne des infrastructures de private équity était légèrement négatif pour cette même année7, bien qu'il ait rebondi depuis, mais à des degrés divers en fonction du modèle économique de l'actif et de son sous-secteur.

Comme l'immobilier, l'infrastructure est un actif réel qui génère des flux liquidités à long terme et une protection contre l'inflation grâce à des revenus contractuels à long terme indexés sur l'inflation.  La distinction est que la dette d'infrastructure peut bénéficier, lorsqu'elle est accessible par le biais d'une dette à taux variable, des augmentations de taux d'intérêt. Il est important de noter que la classe d'actifs infrastructure a une corrélation faible avec le cycle économique, avec une demande inélastique des consommateurs, un fort pouvoir de fixation des prix et une offre excédentaire limitée, contrairement au le marché immobilier suisse.

La dette d'infrastructure présente des taux de défaut et de recouvrement favorables par rapport aux obligations liquides d'entreprises. Les analyses cotées. Les recherches de Moody's montrent un taux de recouvrement moyen de 80% en cas de défaut, avec un recouvrement de 100% dans près de deux tiers des cas. A note de crédit BB égale, la probabilité de défaut à 10 ans est de 8% pour la dette d’infrastructure en Europe et 18% pour les obligations d'entreprises non-financières cotées en bourse. Les recouvrements moyens s'élèvent à 55% et 38% pour la dette d'infrastructure européenne non sécurisée et les obligations non sécurisées de sociétés non financières, respectivement8.   

 

1 Preqin’s ‘2022 Global Infrastructure Report’
2 Goldman Sachs Equity Research: The EU Green Deal, July 2020
3 Dealogic, excluding refinancing & oils, gas &mining sectors.
4 Inframation, January 2021
5 European Infrastructure debt margin: Asteria IM; Corporate Bonds: ICE BofA European High Yield BB-B Index (HE40) as of Dec-21  
6 Moody’s Default and recoveries: COVID-19 one year on – infrastructure proves its resilience, May 2021
7 Preqin’s ‘2022 Global Infrastructure Report’. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures
8 Moody's «Infrastructure Default and Recovery Rates 1983–2017»

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