Inversion de la courbe: cinq questions pour les investisseurs en actions mondiales

Shoaib Zafar, SYZ Asset Management

3 minutes de lecture

2019 ressemble à 1998, et l’action menée par la Fed en 1998 a ouvert la voie à plusieurs années de hausse des actions.

L’ESSENTIEL 
  • Selon les économistes, l’inversion de la courbe des taux annonce une récession. Les données historiques soutiennent cette thèse, bien qu’il y ait également des exceptions comme en 1998. 
  • 2019 ressemble à 1998, et l’action menée par la Fed en 1998 a ouvert la voie à plusieurs années de hausse des actions. Les banques centrales disposaient toutefois d’une bien plus grande puissance de feu comparé à 2019. 
  • Il est impossible de se faire une opinion de la direction des marchés, notamment compte tenu des tweets protectionnistes de Donald Trump dont le moment et le ton sont imprévisibles. 
  • Les conditions économiques actuelles caractérisées par des taux d’intérêt extrêmement bas, des marchés volatils et d’autres symptômes de fin de cycle créent toutefois un environnement propice aux actions assorties de dividendes élevés. 
  • A l’aune de critères traditionnels comme les ratios cours/bénéfices, les valorisations des actions pourraient sembler excessives, mais au regard d’indicateurs tels que le rendement des flux de trésorerie disponible et le rendement des dividendes, elles restent très attrayantes par rapport au rendement qu’offrent les obligations.
1. Qu’en est-il de l’inversion de la courbe des taux américaine?

La courbe des taux américaine est un indicateur que les économistes surveillent étroitement pour évaluer la santé globale de l’économie. Une inversion est liée à un ralentissement économique voire même à une récession. Le graphique ci-dessous met clairement en évidence le lien entre les inversions de la courbe des taux et les périodes de récession.

La courbe des taux des bons du Trésor américain s’est inversée en août. Le spread s’est également resserré en Europe où les taux à 10 ans sont déjà en territoire négatif dans des pays comme la Suisse et l’Allemagne (voir graphique ci-dessous).

2. Quelle signification accorder à la récente inversion dans le contexte actuel? 

Il est intéressant de comparer 2019 avec l’une des deux précédentes exceptions où l’inversion de la courbe n’a pas été immédiatement suivie d’une récession, à savoir 1998. La fin des années 1990 constituait une phase avancée du cycle économique tout comme la fin des années 2010, et des signes de fin de cycle commençaient à se manifester avec une baisse des indices PMI manufacturiers et des cours du pétrole à l’approche de l’inversion. La situation en 2019 est similaire. Un autre parallèle est le ton conciliant de la Fed avant l’inversion de 1998 et la reprise de son assouplissement monétaire cette même année.

Reste à savoir si la récente inversion sera elle aussi suivie d’une hausse du marché plusieurs années durant comme celle amorcée suite à l’intervention de la Fed en 1998. Cependant, après plusieurs séries d’assouplissement quantitatif cette décennie, la puissance de feu des banques centrales en 2019 pourrait bien être plus faible que jamais. 

Ce qui brouille la situation est la capacité discutable de la forme de la courbe des taux à rendre compte de la santé de l’économie dans le contexte actuel. Ce flou résulte là encore des mesures d’assouplissement quantitatif qui ont probablement faussé la manière dont fonctionne l’économie, outre le pessimisme ambiant lié à la montée du protectionnisme à travers le monde. 

3. Décèle-t-on des signaux économiques positifs? 

Plusieurs signaux économiques font preuve d’une relative bonne résistance. Citons par exemple le niveau élevé de la consommation privée et de la confiance des ménages, qui tient essentiellement à la vigueur de l’emploi dans la plupart des pays, à la hausse des salaires et aux plus-values régulières qu’offrent la plupart des classes d’actifs. 

L’un des indicateurs étroitement surveillés est l’indice Citigroup de surprises économiques. Les surprises économiques se sont améliorées ces derniers mois, les données mondiales sur un an se montrant relativement plus stables. 

De plus, la saison des résultats d’entreprises vient de s’achever sur une note globalement satisfaisante. 

4. Quel positionnement adopter vis-à-vis des actions mondiales? 

Ne nous y trompons pas. Nous sommes déjà en phase avancée du cycle, en équilibre précaire entre des conditions de fin de cycle et des actifs richement valorisés. Surtout, les investisseurs sont sevrés de placements qui génèrent un rendement. 

Cela étant, la toile de fond macroéconomique caractérisée par l’extrême faiblesse des rendements au niveau mondial semble convenir parfaitement aux entreprises hautement liquides qui génèrent de la trésorerie et versent des dividendes. L’une des caractéristiques qui rendent ces dernières attrayantes est leur nature relativement défensive (sources de revenus prévisibles et distribution de trésorerie). 

La croissance du dividende en est une autre. Les secteurs des technologies de l’information, des valeurs financières et de la santé devraient présenter la plus forte croissance des dividendes ces trois prochaines années (taux de croissance annuel cumulé d’environ 10%). Les secteurs des services aux collectivités et de l’immobilier devraient eux aussi offrir une croissance honorable de leurs dividendes, soit 4% sur les trois ans à venir. 

L’équipe juge l’environnement actuel idéal pour garder la composante stratégique (environ 50% du portefeuille) investie dans des entreprises de très haute qualité qui versent des dividendes comme Unilever, Merck et NextEra Energy. Ce sont là des valeurs d’ancrage pour le fonds qui permettent à la fois des plus-values régulières et un revenu prévisible sous forme de dividendes. La vaste majorité de ces positions sont détenues depuis plus de 5 ans. 

Nous attachons de l’importance à la croissance du dividende, et c’est pourquoi un panier d’«accélérateurs» (environ 35% du portefeuille) composé de sociétés de niche comme Infosys et Mowi nous permet de la capter. Bon nombre de ces entreprises sont encore en phase de croissance et décident de consacrer une partie de l’excédent de trésorerie régulier qu’elles génèrent au versement de dividendes. 

Nous conservons une exposition relativement plus restreinte (environ 15%) aux nouveaux modèles économiques (moindres besoins de trésorerie, marges et génération de trésorerie plus élevées) que présentent des entreprises telles que Blackstone. Il s’agit d’un panier opportuniste qui permet également au fonds de maintenir son exposition au segment économiquement sensible du marché. 

Le rendement du dividende du fonds s’établit actuellement à 4,3% (projection pour les 12 prochains mois), soit un niveau très attrayant au regard du rendement négatif de certains emprunts d’Etat et du faible rendement qu’offrent d’autres classes d’actifs qui procurent un revenu.

5. Mais les valorisations ne sont-elles pas excessives? 

Le niveau actuel des valorisations est une préoccupation majeure des investisseurs en actions, ce qui se justifie au regard de critères traditionnels tels que le ratio cours/bénéfices. Mais à l’aune d’indicateurs tels que le rendement de la trésorerie disponible et comparé aux rendements qu’offre le crédit, les actions paraissent bien plus attrayantes. 

L’indice MSCI ACWI (aux côtés d’un grand nombre d’autres indices boursiers) présente actuellement un rendement supérieur à celui des bons du Trésor américain à 10 ans (voir graphique ci-dessous). Ce rendement apporte aux actions un soutien historiquement important.

CONCLUSION 

La récente inversion de la courbe des taux n’est pas passée inaperçue auprès des investisseurs internationaux et pourrait témoigner de la nervosité excessive qu’affiche le marché à l’heure actuelle. La principale cause de cette nervosité est sans doute l’incertitude induite par la guerre commerciale plutôt qu’un ralentissement tangible de l’économie mondiale. Mais ne nous y trompons pas. Nous nous situons dans une phase de fin de cycle dont des taux extrêmement faibles voire nuls et une volatilité généralisée sont les corollaires. Tant que l’économie mondiale continue de résister et que les fondamentaux des marchés de capitaux restent solides, nous ne voyons aucune raison de baisser les bras s’agissant des actions mondiales.

A lire aussi...