Il n'existe pas de solution simple à un problème complexe

Kevin Thozet, Carmignac

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Comme le Royaume-Uni l'a illustré, les faux pas perçus seront sévèrement punis par le marché. Christine Lagarde et les autres membres du Conseil des gouverneurs devront tout faire pour éviter un tel drame.

La Banque Centrale Européenne (BCE) reste tiraillée entre ses velléités de combattre à la fois l’inflation et le ralentissement économique conjoncturel, au risque d’être soupçonnée de «dominance budgétaire», i.e. une politique monétaire conditionnée par le financement des dépenses budgétaires.

Bien que cet exercice d’équilibriste devienne de plus en plus ardu, la BCE continuera de privilégier la mise en œuvre rapide d'une politique monétaire restrictive tant que se prolongera le choc inflationniste sévère que traverse la zone euro depuis novembre 2020. Et ce d’autant plus que dans la période actuelle mêlant risque de récession et forte inflation sur fond de crise énergétique, les gouvernements favorisent des mesures de soutien pour les ménages et les entreprises plutôt que des programmes d’austérité budgétaire.

Aussi, pour  l’une des dernières réunions de l’année des membres du Conseil des gouverneurs de la BCE, nous nous attendons à ce que Christine Lagarde maintienne une politique et un ton agressifs vis-à-vis de l'inflation.

L’outil des taux d’intérêt demeure l’instrument privilégié

Un relèvement de taux de 75 points de base le 27 octobre paraît acquis. Le voir suivi d’une hausse identique le 15 décembre prochain semble également très probable.

L’objectif de la BCE est en effet de porter le plus rapidement possible les taux d’intérêt vers un niveau qui ne stimule plus voire qui ralentit la croissance – le «taux neutre» estimé à 2% –, afin de peser sur la montée des prix. Car si le pic d’inflation se rapproche, la hausse des prix devrait toutefois encore ressortir à un rythme proche de 10% en moyenne au quatrième trimestre.

Composer avec un bilan colossal

L’avenir des quelques 8700 milliards d’euros qui constituent le bilan de la BCE après les achats opérés par l’institution pendant des années pour soutenir l’économie européenne fait moins l'objet de certitudes que de questionnements.

La logique voudrait que la BCE réduise son bilan, et procède ainsi au premier resserrement quantitatif de son histoire si l’on regarde ce qui se fait ailleurs par exemple, les autres grandes banques centrales ayant toutes commencé à vendre des obligations. Mais aussi si l’on considère les orientations prospectives – ces indications sur les intentions concernant la trajectoire future de la politique monétaire – qui stipulaient que le sujet de la taille du bilan de la BCE serait traité après la première hausse de taux qui a eu lieu il y a déjà quatre mois.

Toutefois, le recours à un tel instrument de politique monétaire pourrait être plus problématique qu’avantageux compte tenu de la situation actuelle des marchés de taux, où les mouvements ont été très violents dernièrement et qui semblent déconnectés des fondamentaux économiques. Plusieurs raisons expliquent cette situation sur les marchés obligataires: des mouvements de remontée des taux longs alors même que les perspectives de conjoncture économique se dégradent, des craintes de répliques des risques que font porter les fonds de pension à la stabilité financière ou encore la forte dégradation de la liquidité sur les marchés de la dette souveraine européenne. Aussi le resserrement quantitatif de la BCE devra-t-il être soigneusement préparé.

Un tel programme de rachat d’actifs pourrait s’accompagner d’un autre si nécessaire: le Transmission Protection Instrument  (TPI), cet outil destiné à lutter contre le risque de fragmentation au sein de la zone euro et dessiné pour assurer au mieux la transmission monétaire. Le TPI faisant déjà partie de l’arsenal de la BCE, son utilisation ne devrait pas nourrir, selon toute vraisemblance, les soupçons de revirement soudain ou de dominance budgétaire, comme ce fut le cas pour le Royaume-Uni.

Des questions en suspens

Reste que la réduction du bilan de la BCE n’est pas sans soulever un certain nombre de questions compte tenu de la disparité des achats de titres qui ont été effectués, la diversité des réalités économiques des pays de la zone euro et du risque de fragmentation européenne.

  1. Quels actifs seront cédés en premier? Et à quel rythme?  Si le resserrement quantitatif de la BCE ne devrait pas débuter avant le premier semestre de 2023, la réunion de la semaine prochaine pourrait apporter des précisions quant à sa mise en œuvre.
  2. Qu’en sera-t-il des prêts à long terme accordés aux banques (Targeted Longer-Term Refinancing Operations ou TLTRO)? Totalisant près de 2000 milliards d’euros, ils constituent une part non négligeable du bilan de la BCE et les conserver semble difficilement justifiable dans un contexte de resserrement de la politique monétaire et de profits records pour le secteur bancaire. Mais là aussi des risques existent: juridiques d’abord si les termes en sont changés, de crédibilité ensuite si la BCE revient sur ses promesses, et enfin techniques du fait des mouvements de réallocation des établissements bancaires que cela engendrerait.

La BCE fait face à une situation particulièrement complexe et fragile, à laquelle il n'existe pas de réponse simple. Et comme le Royaume-Uni l'a illustré, les faux pas perçus – qu'ils soient de nature budgétaire ou monétaire – seront sévèrement punis par le marché. Christine Lagarde et les autres membres du Conseil des gouverneurs devront tout faire pour éviter un tel drame.

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