Introduction
L’intelligence artificielle (IA) est en train de remodeler l’économie mondiale — mais derrière l’innovation se cache une empreinte énergétique croissante. De l’entraînement et l’exploitation de modèles IA à grande échelle à la fabrication de puces et à l’alimentation des centres de données, chaque étape du cycle de vie de l’IA exige une quantité considérable d’électricité. A mesure que les capacités de l’IA se développent et que son adoption s’accélère, la consommation d’énergie augmente plus vite que les infrastructures ne peuvent suivre. Avec des projections montrant que la consommation électrique des centres de données américains pourrait tripler d’ici 2028 et des hyperscalers investissant des centaines de milliards dans l’IA, une nouvelle ère de calcul énergivore est en marche. Cette analyse explore l’ampleur, les moteurs et les défis d’infrastructure liés à l’alimentation de l’IA à son rythme actuel.
Points clés
- La demande croissante en IA pourrait conduire les centres de données américains à consommer jusqu'à 12% de l'électricité des Etats-Unis d'ici 2028.1
- Après deux décennies de stabilité de la croissance électrique, les fournisseurs d'énergie pourraient devoir faire face à une hausse de la demande allant jusqu'à 47% d'ici 2040, soulignant l'urgence des mises à niveau du réseau et de la production.2-3
- Le développement de l’IA et la volonté de durabilité environnementale semblent favoriser une renaissance du nucléaire, avec des investisseurs privés et des gouvernements qui reconnaissent son rôle stratégique.
- Les petits réacteurs modulaires (SMR) pourraient s’imposer comme solution mondiale aux besoins des centres de données, grâce à une coopération internationale et à des initiatives législatives accélérant l’essor du secteur nucléaire.
L’IA entraîne des besoins énergétiques massifs
Training AI Models
L’entraînement de modèles IA illustre l’ampleur des besoins énergétiques. Par exemple, l'entraînement de GPT-4 a consommé environ 50 gigawattheures (GWh) d’électricité — soit de quoi alimenter 6000 foyers américains pendant un an —, cinquante fois plus que GPT-3. Avec la mise en ligne publique de GPT-4 en 2023, la demande en clusters GPU a explosé.
Les hyperscalers multiplient les investissements : Meta prévoit jusqu’à 80 milliards de dollars de dépenses en capital (capex) en 2025, avec 1,3 million de GPU déployés. xAI ambitionne d’étendre son supercalculateur Colossus à 1 million de GPU dans les prochaines années. Microsoft prévoit également 80 milliards de dollars de dépenses en infrastructures IA sur l’année fiscale 2025.
Les GPU deviennent aussi plus gourmands en énergie : la puce Blackwell (GB200) de Nvidia, bien que plus efficiente, consomme près de sept fois plus que les puces A100 utilisées pour GPT-3. D’ici 2030, les centres de données américains pourraient héberger des millions de GPU avancés nécessitant une puissance colossale pour fonctionner et être refroidis.
Utilisation des applications IA
A mesure que les modèles IA arrivent à maturité, le secteur est passé de l’entraînement à l’inférence — le processus d’utilisation de modèles entraînés pour générer des prédictions ou des réponses. L’inférence est moins coûteuse par requête, mais sa fréquence bien plus élevée augmente la demande globale. Par exemple, une requête ChatGPT peut consommer 10 fois plus d’énergie qu’une recherche Google traditionnelle ; des tâches plus complexes comme la génération vidéo ou l’imagerie avancée peuvent demander jusqu’à 100 fois plus. Une minute avec un assistant vocal IA peut consommer autant d’énergie que 20 appels téléphoniques classiques.
La transition vers une IA dite «agentique», capable de prendre des décisions autonomes complexes, pourrait encore accroître les besoins. Le PDG de Nvidia, Jensen Huang, a déclaré lors du GTC 2025 que ces charges de travail exigeraient «100 fois plus» de puissance de calcul. En conséquence, les hyperscalers prévoient plus de 300 milliards de dollars d’investissements en 2025, centrés sur les infrastructures IA.
Fabrication de puces IA
La fabrication de semi-conducteurs est extrêmement énergivore, en raison de la précision requise. TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company), le plus grand fabricant mondial, consomme déjà 8% de l’électricité taïwanaise — un chiffre qui pourrait grimper à 24% d’ici 2030.
La relocalisation des chaînes de production avancées aux Etats-Unis pourrait rapidement faire grimper la demande énergétique. Le premier site de TSMC à Phoenix (Arizona) nécessitera une puissance de 200 MW à son pic, soit l’équivalent de 30’000 foyers. TSMC prévoit 100 milliards de dollars supplémentaires d’investissement pour établir six usines aux États-Unis. En tout, 73 sites de production sont en projet ou en construction, avec une ambition de produire 20 % des puces les plus avancées d’ici 2030.
Demande énergétique des centres de données
Les modèles plus efficients comme DeepSeek r1 promettent de réduire les coûts et la consommation. Toutefois, comme l’explique le paradoxe de Jevons, les gains d’efficacité peuvent mener à une utilisation globale plus élevée. Nvidia continue d’enregistrer des ventes records et les Big Four (Amazon, Meta, Alphabet, Microsoft) confirment une hausse massive de leurs investissements. Le taux de vacance des centres de données américains a atteint un niveau historiquement bas de 2,6% fin 2024, avec 6,6 GW de capacité en construction.
Défis d’infrastructure
La consommation des centres de données américains passera de 176 TWh en 2023 à 580 TWh en 2028. Les producteurs d’électricité devront ajouter 50 GW de capacité d’ici 2030, sans compter les besoins liés aux semi-conducteurs et aux véhicules électriques — un défi de près de 60 milliards de dollars.
Le réseau électrique américain vieillit: 70% des lignes ont plus de 25 ans, les transformateurs plus de 40 ans. Beaucoup de lignes sont déjà saturées. Alors que les centres de données peuvent être construits en moins de deux ans, le développement de lignes à haute tension prend souvent quatre ans ou plus. A fin 2024, plus de 2 500 GW de projets sont en attente de raccordement, dont beaucoup liés à l’IA.
L’énergie nucléaire comme solution à la demande croissante
Les géants de la tech se tournent vers l’énergie nucléaire pour répondre à la montée en puissance des besoins IA. En 2022, les centres de données ont utilisé 460 TWh. Ce chiffre pourrait dépasser les 1000 TWh en 2026, soit près d’un tiers de la production nucléaire mondiale actuelle.
Face à l’urgence de la décarbonation et de la souveraineté énergétique, le nucléaire apparaît comme une solution incontournable. Les projets IA des grandes entreprises pourraient relancer l’industrie nucléaire, soutenue par les investisseurs privés et les Etats.
Une dynamique mondiale portée par l’IA et l’innovation
La COP29 a confirmé les ambitions: les Etats-Unis s’engagent à augmenter leur capacité nucléaire de 35 GW d’ici 10 ans et à la tripler d’ici 2050. Une législation bipartisane, l’«Advance Act», renforce les pouvoirs de la Commission nucléaire américaine en matière de nouveaux réacteurs et combustibles.
Les petits réacteurs modulaires (SMR) suscitent un intérêt croissant. Leur conception compacte et modulaire permet des installations plus rapides, moins coûteuses, et adaptées aux zones isolées. Des discussions sont en cours entre les États-Unis et plusieurs pays d’Asie du Sud-Est.
En Europe, la demande électrique des centres de données pourrait tripler d’ici 2030. La France, la Finlande, les Pays-Bas et la Suède appellent la Commission européenne à reconnaître le rôle du nucléaire dans la décarbonation.
Conclusion: L’efficacité accrue peut mener à une consommation accrue
L’intelligence artificielle révolutionne les secteurs, mais fait peser de lourds défis sur les infrastructures. Pour répondre à l’augmentation exponentielle de la demande énergétique, il est impératif de trouver des solutions durables, fiables et évolutives. L’énergie nucléaire, et particulièrement les SMR, semble offrir une réponse crédible. Si cette transition est bien orchestrée, elle pourrait alimenter l’essor de l’IA tout en ouvrant la voie à un futur énergétique plus propre et plus résilient.
1 Berkeley Lab, Energy Analysis & Environmental Impacts Division. (2024, December 19). 2024 United States Data Center Energy Usage Report
2 NextEra. (2024, October 23). Third Quarter 2024 Earnings Conference Call. [Presentation].
3 U.S. Energy Information Administration. (2024, December 10). Short Term Energy Outlook.