Le message dominant issu du dernier cycle de réunions des banques centrales est celui d’une grande incertitude autour des droits de douane, les banques centrales se montrant manifestement incapables de prévoir avec précision la politique commerciale américaine finale et ses répercussions sur leurs économies respectives.
La Réserve fédérale (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE) sont particulièrement intéressantes à observer, car elles semblent désormais toutes deux en mode «attentisme», bien que dans le cas de la BCE cela intervienne après plusieurs baisses de taux cette année. Le président de la Fed, Jerome Powell, a souligné lors de sa conférence de presse du 18 juin les difficultés actuelles de prévision, déclarant qu’il existait un éventail de scénarios possibles pour l’inflation comme pour le marché du travail, et que les responsables de la politique monétaire devaient faire preuve d’humilité quant à leur capacité à les anticiper.
Les «dot plots» mis à jour indiquent que les membres de la Fed prévoient toujours deux baisses de taux en 2025, comme lors de la réunion de mars. Toutefois, les détails montrent une certaine dispersion au sein du comité: sept membres anticipent aucune baisse, tandis que dix prévoient deux baisses ou plus. Par rapport au dernier «Summary of Economic Projections» (SEP) de mars, les membres du comité prévoient un taux de chômage plus élevé (4,5%), un PIB réel plus faible (1,4%) et une inflation PCE core plus élevée (3%).
Cela place, comme nous l’avons souvent souligné, la Fed dans une position délicate, et le message de Powell et de son équipe reste celui de la patience. Sans les risques liés aux droits de douane, nous pensons que la Fed aurait probablement abaissé ses taux lors de la réunion de juin, compte tenu du fait que l’inflation sous-jacente aux États-Unis continue de progresser vers l’objectif fixé, avec un indice CPI inférieur au consensus pour le quatrième mois consécutif en mai.
Moins de pression sur la BCE
À la BCE, la présidente Christine Lagarde a délivré un message similaire, estimant que la banque centrale est en bonne position pour gérer les effets des droits de douane dans les mois à venir, bien que le ton ait été très différent de celui de la Fed. Après avoir ramené son taux de dépôt à 2% (ce qui correspond à son taux neutre estimé), la BCE a surpris légèrement les marchés en minimisant la nécessité de futures baisses de taux. Contrairement à la Fed – qui souhaiterait probablement baisser ses taux mais s’en trouve empêchée – la BCE pourrait assouplir davantage, mais n’en voit pas la nécessité, dans la mesure où elle anticipe un impact minimal des droits de douane sur la croissance.
Les prévisions des services de la BCE tablent sur une croissance réelle du PIB de 0,9% en 2025, soit un chiffre inchangé par rapport aux projections de mars, tandis que l’inflation globale et l’inflation core sont prévues sous la cible des 2% en 2026. Lagarde a déjà souligné par le passé les effets potentiellement désinflationnistes des droits de douane, en raison du réacheminement des exportations asiatiques vers l’Europe plutôt que vers les États-Unis, ce qui illustre bien les différences actuelles entre les deux économies.
Les réunions de juin ont également entraîné des mouvements notables ailleurs en Europe. La Banque nationale suisse (BNS) a abaissé son taux directeur à 0%, pour la première fois depuis septembre 2022, marquant ainsi une sixième baisse consécutive. Son président, Martin Schlegel, a mis en avant les pressions désinflationnistes provoquées par l’appréciation continue de la monnaie nationale; l’inflation globale en Suisse est retombée en territoire négatif en mai, à -0,1%.
Si cette décision était attendue, la baisse de taux de la Norges Bank ne l’était pas: aucun économiste interrogé par Bloomberg ne prévoyait sa réduction de 25 points de base (à 4,25%) le 19 juin. Il s’agit de la première baisse depuis le pic des taux en décembre 2023. La gouverneure Ida Wolden Bache a indiqué que l’inflation s’est quelque peu modérée depuis le début de l’année et que, si l’économie évolue comme prévu, d’autres baisses pourraient suivre en 2025.
Calme sur les taux: bien plus que les droits de douane
La volatilité des obligations d’État, thème dominant du marché obligataire en 2025, a diminué en juin, en partie en raison d’un manque relatif de nouvelles importantes concernant les droits de douane. L’indice MOVE, qui mesure la volatilité implicite du marché des bons du Trésor américain, est revenu à ses niveaux de mars (voir l’Exhibit 1), et la fourchette de variation des rendements à 10 ans depuis le début du mois est la plus étroite de l’année.
Il y a d’autres raisons à cela que l’absence de gros titres sur les tarifs douaniers.
Premièrement, le narratif budgétaire s’est quelque peu apaisé depuis que l’on connaît les ajustements apportés par le Sénat au «Big Beautiful Bill» du président Trump. Si nous continuons de penser que le déficit budgétaire restera une contrainte technique négative pour les Treasuries, nous n’anticipons pas d’augmentation de l’offre en bons du Trésor avant l’an prochain. Selon les projections, en incluant les recettes tarifaires, le projet de loi ne devrait pas accroître le déficit, qui, selon nous, reste néanmoins trop élevé à 6,5%). La désormais célèbre section 899 a été repoussée, et la proposition du sénateur Ted Cruz visant à supprimer le paiement des intérêts sur les réserves bancaires – une mesure que nous jugeons potentiellement très perturbatrice – n’a pas été retenue.
Deuxièmement, certains évoquent la thèse d’un «dédollarisation» des portefeuilles étrangers, avec des ventes massives de Treasuries par des investisseurs non-résidents. Mais les données TIC publiées le 18 juin, concernant les flux d’avril – période de forte volatilité – nuancent cette idée. En effet, elles révèlent des ventes nettes de Treasuries par des investisseurs privés étrangers, principalement canadiens, qui restent toutefois acheteurs nets depuis le début de l’année. Par ailleurs, les investisseurs officiels étrangers (banques centrales) ont été acheteurs nets en avril. Les dernières adjudications, y compris sur les maturités longues, se sont déroulées de manière satisfaisante.
Enfin, les données économiques américaines se sont nettement adoucies, ce qui, selon nous, devrait équilibrer les pressions sur les rendements des Treasuries au fil de l’été. Cela étant dit, la volatilité n’a pas disparu. Outre les tensions persistantes au Moyen-Orient – qui ont jusqu’ici provoqué une réaction relativement mesurée sur les marchés développés – le président Trump pourrait bientôt annoncer l’identité du prochain président de la Fed. Bien que Kevin Warsh ait longtemps été considéré comme favori, des rumeurs récentes évoquent Scott Bessent, actuel secrétaire au Trésor. À première vue, Bessent semble le choix le plus probable, dans la mesure où, d’après leurs déclarations publiques récentes, il adopterait probablement une position bien plus dovish que l’ancien gouverneur de la Fed. Cela dit, une telle nomination poserait la question de son remplacement au Trésor, un poste dont la voix a été déterminante ces derniers mois pour rassurer les marchés face à la politique tarifaire.
Crédit: le point d’équilibre
Dans ce contexte d’incertitude macroéconomique, la volatilité du crédit reste limitée. Compte tenu de l’impact relativement modeste des droits de douane sur les perspectives de croissance en Europe, nous estimons que les conséquences fondamentales sur le secteur corporate européen seront elles aussi limitées, ce qui nous conduit à considérer l’Europe comme la région la plus attractive pour une exposition au crédit.
Même si les spreads restent contenus dans une fourchette étroite, à des niveaux historiquement bas, le portage demeure un allié de taille, offrant à la fois une bonne protection contre les baisses et un rendement intéressant. In fine, nous considérons que le crédit – en particulier le crédit de haute qualité – reste la zone la plus favorable au sein de l’univers obligataire.