Etats-Unis et reste du monde: un découplage éphémère

Cyril Gomez

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La dynamique actuelle du marché américain exige la poursuite des injections de capitaux étrangers et en particulier des investisseurs japonais.

Hans W. Redeker, directeur global de la stratégie des changes chez Morgan Stanley Investment Management.

Les actifs risqués américains affichent une résilience manifeste face aux multiples avertissements liés à leurs valorisations. Ce marché continue d’absorber les capitaux internationaux, au point d’accentuer la vulnérabilité des marchés émergents. La montée des barrières commerciales, la stabilisation de la croissance chinoise et la baisse structurelle des prix des matières premières a largement pénalisé les économies émergentes et beaucoup moins les Etats-Unis.

«Les actifs américains donnent l’impression d’être dissociés du reste du monde, si l’on se base sur l’opinion selon laquelle les Etats-Unis peuvent demeurer à l’abri de tous ces défis», écrivent les stratèges de Morgan Stanley dans leur note quotidienne du marché des changes FX Pulse. Mais les apparences pourraient être trompeuses, préviennent ces derniers.

«L’aplatissement continue de la courbe des taux du marché monétaire
aux Etats-Unis contredit la progression du marché actions américain»

«Alors que le marché actions adopte la vue selon laquelle l’économie américaine surperformera, celui de la dette signale au contraire un ralentissement de l’économie globale pesant sur les Etats-Unis», souligne Hans Redeker, stratégiste chez Morgan Stanley. «L’aplatissement continue de la courbe des taux du marché monétaire contredit la progression du marché actions aux Etats-Unis», ajoute-t-il.

Pour la banque d’investissement américaine, tout dépendra de l’équilibre des liquidités. Pour que la tendance haussière des prix des actifs risqués américains se poursuive, il faut que la liquidité globale continue d’alimenter ces derniers. Et ce, à un rythme supérieur à celui auquel la Fed réduit son bilan. Il faut donc, par exemple, que les politiques monétaires des autres banques centrales se traduisent par une intensification des exportations de leurs devises vers le marché américain.

Or ce n’est pas ce qui semble se produire au Japon, l’un des plus gros exportateurs de devises étrangères à destination des Etats-Unis, où la politique monétaire tend à redonner un certain attrait à son marché obligataire. «Dès lors que la Banque du Japon (BoJ) s’efforce de pentifier sa propre courbe des taux, on peut s’attendre à une baisse du rythme des exportations de capitaux japonais», précise Hans Redeker. «La combinaison d’une réduction des importations de capitaux en provenance du Japon et un rythme de réduction plus rapide du bilan de la Réserve fédérale peut provoquer une baisse des actions américaines.»

C’est pourquoi le taux de change entre le dollar et le yen, en tant que baromètre de la capacité d’exportation des capitaux japonais, pourrait constituer l’un des principaux facteurs de perception du risque lié au marché américain. Dans la mesure où les phases de dissociation entre la croissance aux États-Unis et celle du reste du monde ne se sont jamais avérées durables, le regain de volatilité des actifs risqués américains pourrait ne pas tarder.

«Une baisse du yen face au dollar indique que l’appétit
du Japon vis-à-vis des actifs libellés en dollar s’atténue.»

Pour Morgan Stanley, les conditions d’un rally imminent des devises dures de pays développés affichant des surplus (yen, franc suisse et euro) se mettent rapidement en place. Aussi longtemps que les Etats-Unis continueront d’absorber les capitaux internationaux au détriment des économies émergentes, celles-ci se verront contraintes d’augmenter leur taux d’intérêt, causant au passage une détérioration de la croissance économique. Mais, dès lors que les canaux commerciaux et de portefeuilles (titres des pays émergents rapportant des revenus aux investisseurs des pays développés) les relient aux économies développées, celles-ci seront également affectées par le stress financier subi par leurs partenaires commerciaux.

«La sous-performance des actifs américains commencera dès que la contribution nette des liquidités investies dans les actifs américains sera éclipsée par la rythme régulièrement croissant de la normalisation du bilan de la Fed», anticipe Hans Redeker. «Une baisse du yen face au dollar indique que l’appétit du Japon vis-à-vis des actifs libellés en dollar s’atténue, suggérant à son tour une contraction de la liquidité globale, finissant par toucher les Etats-Unis.» Certes, le dollar surperformerait contre les devises les plus risquées, mais pas contre les trois monnaies dures précitées.

Pour que le scénario opposé se matérialise, le retour à une croissance globale synchronisée est nécessaire. Dans un tel environnement, le dollar s’affaiblirait sous l’effet des conversions dans des devises risquées à haut rendement des pays émergents. C’est ce qui s’est produit en 2017, lorsque ces devises ont surperformé le billet vert. Cependant, les stratèges de Morgan Stanley retiennent pour l’heure le premier scénario, consistant en une accentuation de l’aversion vis-à-vis du risque.

Ce que semble déjà signaler les flux de capitaux depuis près de deux ans, les investisseurs ayant désormais plus peur de perdre de l’argent que l’espoir d’en gagner. «Ce fut à peine remarqué, mais les investissements étrangers nets aux Etats-Unis ont été réduits de moitié environ depuis 2016, les investisseurs s’interrogeant sur la perspective de croissance et la stabilité financière aux Etats-Unis», suspectent les experts de Morgan Stanley. Ceci suggère que la récente hausse du dollar a été essentiellement tirée par les flux nets ou ajustements de portefeuilles.