Du juste prix du carbone

Gerrit Dubois, DPAM

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La flambée du prix de l’électricité a attisé le débat sur la tarification du carbone. La COP26 apportera-t-elle une solution?

Rappelons que le but de la tarification est de réduire les émissions de carbone. Cette tarification est effectuée pour l’essentiel selon deux approches, l’une est celle de la «taxation carbone» (comme en Suisse par exemple) et l’autre, celle dite de «plafonnement et d’échange». La première fixe un prix pour les émissions de CO2 et la réduction des émissions dépend du marché. Si le prix du carbone est «correct», ce qui est difficile à évaluer, il intégrera effectivement tous les coûts découlant des émissions. Cependant, cette approche ne permet pas d’anticiper l’importance de la réduction des émissions puisque cette dernière est fonction du marché. 

Au contraire, dans la seconde approche, le volume des émissions de CO2 autorisées étant plafonné, sa réduction est connue d’avance. Quant au prix de ces émissions, il est déterminé par le marché sur lequel s’échangent les quotas de carbone. Deux inconvénients à cette approche: d’une part, la fixation d’un plafond n’est pas aisée, d’autre part, le prix étant fixé par le marché, le coût de la réduction des émissions peut être supérieur à celui des avantages attendus découlant de cette réduction.

Plafond égale réductions prévisibles

Bien que de nombreux pays, 35 au total, aient opté pour la taxe carbone, c’est le plafonnement et l’échange de quotas qui sont souvent privilégiés au plan international. Le système européen d’échange de quotas d’émission (SEQE-UE) en est un bon exemple. En garantissant la possibilité d’échanger tous les quotas de carbone sur le marché, il permet aux pollueurs de choisir entre acheter des autorisations à émettre du carbone ou investir dans la réduction de leurs émissions. Cependant, ce système n’est pas parfait puisque des quotas gratuits sont encore attribués afin de limiter les risques de «fuite carbone» (1). Fort heureusement, cette pratique devrait être abolie d’ici 2025. De plus, une taxe carbone devrait être instaurée aux frontières. Le risque de «fuite carbone» devrait donc diminuer.

Un cinquième seulement de la hausse du prix de l’électricité est imputable au système européen d’échange de quotas d’émission.

La tarification carbone est-elle responsable de l’envolée du prix de l’électricité? Cette hausse résulte pour l’essentiel de l’augmentation du prix du gaz causée elle-même par une pénurie d’approvisionnement. De fait, un cinquième seulement de la hausse du prix de l’électricité est imputable au SEQE-UE. Cela s’explique de la manière suivante. En raison de la hausse du prix du gaz, les entreprises de services publics ont eu davantage recours au charbon. Or ces entreprises étant tenues d’acheter des quotas carbone pour utiliser des combustibles fossiles, elles ont fait grimper le prix des quotas.

Reste que la flambée du prix du gaz a relancé le débat sur l’impact sociétal d’une hausse du prix du carbone. Un mécanisme mondial de tarification de ce dernier pourrait s’avérer le plus équitable et c’est une approche qui gagne du terrain, notamment en raison de la volonté de l’UE de mettre en place un système transfrontalier. L’article 6 de l’Accord de Paris, qui définit les bases d’un marché international du carbone, pourrait donc être remis en avant lors de la COP26 (6).

A l’heure actuelle, c’est la question des contributions par pays qui est au centre du débat. La limitation du réchauffement climatique à 1,5°C implique une réduction considérable des émissions annuelles de carbone (51 gigatonnes). Seul un système de plafonnement permettrait de contrôler le volume de ces émissions et, partant du budget carbone mondial disponible, il devrait refléter équitablement les contributions de chaque pays. Pour qu’un tel système puisse fonctionner, il serait nécessaire de mettre en place un marché international du carbone. Ce dernier pourrait permettre de réduire les émissions de CO2 d’environ 5 Gt par an et de réaliser jusqu’à 250 milliards de dollars d’économies (3) d’ici à 2030. L’augmentation du prix du carbone incitant à réduire les émissions, pour que les économies avancées parviennent au «zéro émission nette» en 2050, il serait nécessaire que le prix du carbone passe à 130 dollars/tonne de CO2 émis d’ici 2030 puis à 250 dollars/tonne d’ici 2050 (4).

Vers un marché du carbone fiable et intègre?

L’un des résultats du protocole de Kyoto sur le changement climatique a été la création de deux marchés du carbone. Le premier était basé sur le «mécanisme en faveur d’un développement propre» (1) et il devait permettre aux économies avancées de réduire leurs émissions au travers du financement de projets de réduction des émissions dans les pays en développement. Bien que cette option se soit avérée totalement inefficace, elle a permis de tirer un certain nombre d’enseignements importants.

Il paraît indispensable d’arriver à mettre en place un marché du carbone fiable et crédible lié à des contributions plus ambitieuses des Etats.

Quant au second marché, le SEQE-UE, qui a connu un certain succès, il s’est révélé être l’un des systèmes de plafonnement les plus fiables et il continue d’évoluer. Lors de la COP26, il est probable que les discussions porteront essentiellement sur ces alternatives, d’autant plus que l’Europe insiste sur la question des importations. Elle envisage effectivement d’introduire un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières: les biens importés seraient évalués en fonction de l’intensité carbone de leur production et ils seraient donc taxés en conséquence.

Cela dit, il reste encore plusieurs inconnues. Se dirige-t-on vers un nouveau mécanisme d’échange des quotas d’émission ou va-t-on au contraire développer un système existant tel que le SEQE-UE? Ce mécanisme sera-t-il étendu à l’international ou comportera-t-il des variantes régionales? Mais, quelle que soit la solution retenue, il paraît indispensable d’arriver à mettre en place un marché du carbone fiable et crédible lié à des contributions plus ambitieuses des Etats. La clef de voûte de tout le système est bien entendu le «plafond». Mais il doit également permettre d’aboutir à une réduction effective des émissions mondiales grâce à un mécanisme d’échanges ou de marché crédible et intègre. Il doit tenir compte de facteurs tels que l’additionnalité environnementale, l’équité, le contrôle et la nécessité d’éviter les doubles comptages.

 

(1) La fuite de carbone désigne la situation qui pourrait se produire si, pour des raisons de coûts liés aux politiques climatiques, les entreprises devaient transférer leur production vers d'autres pays où les contraintes en matière d'émissions sont plus souples. Cela pourrait entraîner une augmentation de leurs émissions totales.
(2) Frank Timmermans, vice-président de la Commission européenne.
(3) Association internationale pour l'échange de droits d'émission.
(4) Agence internationale de l'énergie.
(5) Institut des ressources mondiales.
(6) en raison de sa complexité, l'article 6 n'a été approuvé que le dernier matin des négociations de Paris en 2015.

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