Dette émergente en devise locale: investir sur les marchés frontières

Peter Becker, Capital Group

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S’ils offrent un éventail d’opportunités, leur taille réduite et leur efficacité moindre engendrent une variété de difficultés et de risques.

Les marchés frontières restent une destination relativement inexplorée par les investisseurs. S’ils offrent un éventail d’opportunités aux avertis, leur taille réduite et leur efficacité moindre engendrent une variété de difficultés et de risques. Dans cet article, nous tentons de définir la dette des marchés frontières en devise locale, leurs atouts potentiels pour les investisseurs et les meilleurs moyens pour y accéder.

Les marchés frontières désignent généralement les économies de marché les moins développées de l’univers des pays émergents et qui relèvent de la catégorie «non-investment grade». Elles reposent sur une infrastructure souvent plus fragile et sont à la traîne en termes d’indicateurs sociaux. Ces pays n’ont pas encore entamé un processus de réforme positive durable de leurs institutions permettant de stimuler leur croissance économique. Certains sont des «anges déchus», d’anciens marchés émergents qui ont été déclassés à la suite d’une crise économique la plupart du temps provoquée par des politiques économiques populistes et court-termistes.

Les 33 marchés qualifiés de «nouvelle génération»
sont de qualité spéculative.

Il n’existe pas d’indice des marchés frontières, et c’est souvent l’indice JPMorgan Next Generation Markets (NEXGEM) qui permet de délimiter ce groupe dans l’univers obligataire. Les 33 marchés qualifiés de «nouvelle génération» sont de qualité spéculative, ils émettent assez peu de dette et sont moins liquides.

Croissance potentielle/résultats supérieurs

Bon nombre de pays émergents traditionnels (Mexique, Russie, Afrique du Sud, etc.) se sont considérablement développés ces dernières décennies, et ont amélioré la stabilité de leurs institutions et infrastructures. De ce fait, il leur sera difficile de se développer encore au même rythme. En parallèle, leurs marchés financiers se sont approfondis, les autorités communiquent mieux et les primes de risque ont reculé, ce qui limite les résultats espérés pour les investisseurs. À l’inverse, bien des marchés frontières (Égypte, Ghana, Inde, etc.) en sont globalement aux prémices de leur développement économique, politique et financier, et partagent la plupart des caractéristiques arborées il y a longtemps par les pays émergents traditionnels.

Le dividende démographique: les populations jeunes et en expansion sont un atout clé pour accélérer la croissance économique des marchés frontières. Leur population active augmente actuellement plus vite que la population qui en dépend, ce qui permet de libérer des ressources pour l’investissement dans le développement économique et le bien-être social. Voilà qui peut contribuer à doper le revenu par habitant et les dépenses des ménages, et pérenniser la croissance économique.

L’amélioration du contexte macroéconomique et de la gouvernance: un gouvernement efficace et responsable peut poser les bases et créer un contexte macroéconomique stable, ce qui favorise une croissance plus régulière (plutôt que des cycles d’expansion et de récession) et peut stimuler les résultats potentiels. Malgré des difficultés encore réelles, la gouvernance et la responsabilité s’améliorent dans de nombreux marchés frontières, un processus qui s’avère en partie naturel car l’électorat est plus instruit et les dirigeants comprennent l’importance d’une bonne gouvernance pour favoriser le fonctionnement harmonieux des lois naturelles de l’économie. Le Fonds monétaire international (FMI) a également contribué au développement de certains marchés frontières. Ses programmes de prêt sont subordonnés à des conditions, qui imposent aux marchés frontières d’améliorer leur responsabilité et de créer un contexte macroéconomique favorable en échange de financements. L’Égypte a par exemple fait des progrès en matière de stabilisation macroéconomique, de croissance, d’inflation et de déficit budgétaire dans le cadre d’un programme du FMI.

Des cibles attrayantes pour l’investissement direct étranger: conjugués à des ressources naturelles souvent abondantes, les facteurs susmentionnés font des marchés frontières des destinations attrayantes pour l’investissement direct étranger (IDE) et les nouveaux pôles de fabrication. La Chine a été un important bénéficiaire d’IDE par le passé, mais la hausse des coûts de main-d’oeuvre ces dernières années a incité bien des sociétés à déplacer leur appareil de production vers les marchés frontières. En parallèle, la Chine investit dans de nombreux pays d’Afrique, notamment dans les secteurs liés aux matières premières et aux infrastructures.

Diversification

De tout temps, les marchés frontières ont été faiblement corrélés à leurs homologues développés et émergents, mais aussi entre eux. Ce phénomène tient en partie à ce que les capitaux qu’ils lèvent proviennent majoritairement d’investisseurs nationaux (plutôt qu’étrangers), que ces investissements ne sont pas gérés passivement, et qu’ils sont moins endettés (et donc moins tributaires des fluctuations des devises et des taux d’intérêt) et généralement moins exposés au commerce mondial.

Les marchés frontières sont généralement
insuffisamment investis et recherchés.

On constate également des écarts substantiels entre les économies des marchés frontières, qui offrent des opportunités d’investissement différentes. En conséquence, plus que la conjoncture mondiale, c’est le contexte politique et économique local qui a tendance à freiner les investissements sur les marchés frontières. Il est en effet peu probable qu’un changement de régime politique en Égypte influence les perspectives de l’Argentine.

Opportunités de valeur relative

Les marchés frontières sont généralement insuffisamment investis et recherchés, ce qui peut engendrer des primes de risque supplémentaires et des opportunités de génération d’alpha.

Nous décelons des opportunités attrayantes parmi les obligations en devise locale de plusieurs marchés frontières. En Afrique, les obligations égyptiennes sont devenues attrayantes lorsque la banque centrale du pays a décidé fin 2006 de dévaluer fortement la devise et de la laisser flotter. L’Égypte est désormais sur la bonne voie: son inflation semble vouloir repasser sous la barre des 10% et le compte des opérations avec l’extérieur s’améliore. Le Ghana continue d’offrir des rendements attrayants, avec une inflation relativement contenue et en baisse, même si le cours de change du cedi ghanéen reste préoccupant. La politique monétaire et budgétaire du Nigeria semble quant à elle intenable à long terme, mais le rendement des obligations à court terme dépasse encore 17%, un niveau attrayant.

En Argentine enfin, la dollarisation de l’économie s’est quelque peu atténuée et la médiane des anticipations d’inflation à 12 mois a fini par chuter, ce qui a permis aux taux d’intérêt de reculer et de soutenir les obligations en devise locale.

Investir sur les marchés frontières grâce à une approche de recherche active

Référence pour les adeptes de la gestion passive des obligations émergentes en devise locale, l’indice JPMorgan GBI-EM Global Diversified comporte quelques marchés frontières comme l’Argentine et l’Uruguay. Toutefois, une grande partie de l’univers d’investissement et la plupart des marchés frontières en sont exclus en raison des difficultés rencontrées pour investir.

Une autre option consiste à investir par le biais d’une stratégie dédiée, ce qui peut toutefois s’avérer trop restrictif étant donné le nombre relativement limité de marchés frontières en mesure d’émettre des obligations en devise locale. Un univers d’investissement plus large permet d’éviter les investissements «forcés» dans des pays moins attrayants du fait de l’absence d’opportunités ailleurs.

Une stratégie active large d’obligations émergentes en monnaie locale

Bien que tous les investissements s’accompagnent d’une certaine incertitude, les marchés frontières comportent des risques supplémentaires car, contrairement à leurs homologues plus développés (marchés émergents compris), ils manquent de fonds de pension nationaux, d’infrastructures et de réglementations régissant les marchés financiers. Les risques sont notamment accrus dans les domaines de la politique et de la gouvernance (corruption, agitation sociale, etc.), mais aussi de la cyclicité macroéconomique.

Les marchés frontières ont tendance à être moins liquides
que des économies émergentes plus développées.

Ce type de risques exige une approche de gestion active fondée sur la recherche fondamentale bottom-up. Les gérants doivent se rendre fréquemment dans ces marchés de petite taille pour identifier l’évolution de leur environnement et des politiques macroéconomiques, et pour évaluer les opportunités à plus long terme dans la dette, dans l’idéal aux côtés de collaborateurs spécialistes des actions pour partager leurs idées d’investissement. Il s’agit là d’une approche plus importante pour les marchés frontières que pour les marchés plus développés.

Les marchés frontières ont également tendance à être moins liquides que des économies émergentes plus développées, ce qui peut avoir un impact à la fois positif et négatif: ils peuvent pâtir de contractions brutales en raison de ventes initiées par un petit groupe d’investisseurs, mais aussi mieux résister durant les corrections boursières généralisées, car les actifs plus liquides sont souvent vendus en premier. Un desk de trading expérimenté et aux nombreuses relations est donc essentiel pour suivre l’évolution du sentiment et des flux, et pour engager des transactions de petite ou grande ampleur selon les besoins.

De plus, compte tenu des difficultés d’accès pour les étrangers, il peut être judicieux de faire appel à des gérants actifs possédant des équipes pour enquêter sur tous les aspects de l’investissement sur les nouveaux marchés (conservation, compensation, rapatriement, réglementation des marchés domestiques, exécution des opérations de change, services locaux de courtage), ce qui permet aux gérants d’investir facilement lorsqu’une opportunité d’investissement apparaît.