Changement de ton à la Fed: Powell tacle l’inflation

Thomas Planell, DNCA Invest

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Sonnées par un scénario de croissance et d’inflation moins optimiste, les valeurs cycliques, financières et value trébuchent.

La pochette de costume et l’inflation ont un point commun: icônes évanescentes des années 1970, elles échouent systématiquement à s’imposer à nouveau sur le devant de la scène du XXIe siècle. Rare homme politique à orner son présidentiel plastron de l’anachronique pièce de soie, Joe Biden lui-même a finalement cédé à la sobriété européenne du G7. Il est vrai qu’eu égard aux 45 ans qui le séparent d’Emmanuel Macron, il n’est nullement nécessaire pour l’aîné du sommet de rappeler par son apparat l’étendue de son expérience et de sa sagesse vermeilles. De surcroît, l’âge et la santé du 46e président des Etats-Unis sont au cœur de la guerre de désinformation que les agences de renseignements américaines attribuent à la Russie.

Mais le regard des marchés ne se portait ni sur Cornwall où se réunissait le club des 7 du monde libre ni sur le duel Biden-Poutine au bord du lac Léman. C’était aux lèvres de Jerome Powell que l’attention des investisseurs était suspendue. Car le président de la Fed, à deux mois de Jackson Hole, a peut-être donné mercredi dernier le discours le plus important de sa carrière. Et pour les marchés, il pourrait être aussi décisif que la découverte l’an dernier du premier vaccin efficace à plus de 90% contre le COVID-19. 

Le consensus qui s’était formé depuis mars 2020
autour d’un soutien monétaire inconditionnel s’est fragilisé.

Si les membres de la Fed ont, comme prévu, unanimement voté en faveur d’un maintien des taux à leur niveau actuel, le consensus qui s’était formé depuis mars 2020 autour d’un soutien monétaire inconditionnel s’est fragilisé. En effet, pour la première fois, un ralentissement du programme de rachats d’actifs a été évoqué. Surtout, la toute première indication tangible d’un calendrier de hausses des taux a été donnée, et elle interviendra un an avant la date prévue par le marché, à raison de deux hausses qui interviendront avant la fin de 2023. 

Enfin, à cette échéance où il envisage donc d’avoir déjà par deux fois rehaussé le niveau de ses taux directeurs, le FOMC table sur un niveau d’inflation de seulement 2%, en ligne avec son mandat, ce qui constitue un élément de langage crucial. Il signifie que la Fed n’envisage plus de laisser filer la hausse des prix, du moins, pas au-delà de 2023. 

Ce tacle porté par Jerome Powell au-dessus de la cheville de l’inflation a très violemment renversé la course des marchés obligataires. Les rendements de la partie courte de la courbe ont ainsi progressé, intégrant désormais une prime reflétant le risque de hausse des taux par la Fed. Au contraire, la prime de maturité des taux longs, censée progresser avec les anticipations d’inflation et de croissance s’est dégonflée : le rendement des obligations souveraines à 30 ans a ainsi cédé 50 points de base depuis ses sommets de mars. 

Les valeurs de croissance contre-attaquent en livrant
leur plus forte performance relative depuis le rebond de mars 2020.

Conséquence d’une remontée des taux courts et d’une baisse des taux longs, la courbe des taux subit un mouvement non parallèle d’aplatissement. Le coup franc est aussitôt sifflé par le marché actions. Sonnées par un scénario de croissance et d’inflation moins optimiste, les valeurs cycliques, financières et value trébuchent. Les valeurs de croissance contre-attaquent en livrant leur plus forte performance relative depuis le rebond de mars 2020. Depuis 2000, la Fed a été contrainte de réduire ses taux de 100 points de base à trois reprises. Entre 2001 et 2003, entre 2007 et 2008, puis à partir de 2020. A l’issue de chacune des périodes de normalisation monétaire précédentes, les taux réels dits «naturels» n’ont jamais renoué avec leur régime précédent en raison d’une démographie toujours moins dynamique, de gains très marginaux de productivité et d’une modeste croissance de la population en âge de travailler. 

Disposant désormais d’une date quant au retour à la normale monétaire, les marchés pourraient être déjà en train d’envisager la fin de la période de reprise et le retour à un cycle économique moins dynamique et moins inflationniste que le précédent. Mais six grandes tendances structurelles pourraient remettre en cause ce scénario assez simpliste de répétition de l’histoire. Il s’agit de l’expansion budgétaire des Etats, la relocalisation industrielle, le rééquilibrage des investissements dans l'information (données, actifs intangibles) vers les infrastructures physiques (5G, fibre, data centers, transports), la restauration de l'autonomie stratégique dans l’industrie de haute technologique (comme les semi-conducteurs), la transition écologique et enfin, d’un point de vue social, la prise en compte de la nécessité de lutter contre les inégalités. Ces tendances tranchent avec les doctrines des deux cycles précédents et ne permettent pas de siffler aussi tôt la fin du match contre l’inflation. 

Et si c’était au contraire la prise en compte de ce nouveau paradigme économique qui motivait Jerome Powell à agir plus tôt que prévu?

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