Cathie et les «Commos»

Charles-Henry Monchau, FlowBank

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Pour Cathie Wood, la surperformance des matières premières sera éphémère. Est-elle tout à fait sincère?

En 2020, les titres dits de croissance avaient enregistré des performances exceptionnelles, surperformant très nettement les secteurs cycliques. Il y avait deux raisons essentielles à cela. Tout d’abord, le confinement avait été bénéfique aux résultats des entreprises technologiques alors qu’il avait fortement pénalisé les secteurs liés à l’activité économique. Ensuite, la plupart des investisseurs préféraient payer des multiples d’évaluation élevés pour des sociétés offrant des taux de croissance des bénéfices attendus supérieures à la moyenne du marché.

Dans ce contexte, le gérant Ark Invest dirigé par Cathie Wood avait connu une année 2020 exceptionnelle, non seulement en termes de performance des fonds mais aussi en ce qui concerne la collecte d’actifs. Lorsqu’elle a fondé la société de gestion en 2014, Cathie Wood a adopté un style de gestion résolument tourné vers les sociétés à forte croissance. Persuadée que de nombreux secteurs sont en train d’être fondamentalement transformés par l’innovation et la technologie, elle s’est tournée vers les entreprises disruptives telles que Tesla, Roku mais aussi des titres emblématiques dans la Fintech, la génomique ou la robotique. Autant de thématiques d’investissement qui ont surperformé pendant la pandémie – et qui ont permis à Ark de multiplier ses actifs sous gestion par 11x.

Le retour des matières premières et des valeurs cycliques

Alors que certains tablaient sur une poursuite de cette tendance en 2021, c’est un autre scénario qui semble être privilégié par les marchés. En effet, une rotation des actifs s’effectue des valeurs de croissance vers les matières premières et les titres «cycliques».

En dehors des cryptomonnaies, la classe d’actif des matières premières est d’ailleurs celle qui affiche la meilleure performance depuis le début de l’année. L’indice Bloomberg Commodity est désormais proche du niveau qui était le sien en 2011.

Après avoir été boudé dans les portefeuilles, l’idée d’un retour en grâce des matières premières commence à faire son chemin parmi les stratégistes. JP Morgan et Goldman Sachs parient d’ailleurs sur l’émergence d’un nouveau «super-cycle».

L’«ambiance» est par contre beaucoup plus morose du côté des valeurs de croissance – et chez Ark Invest en particulier. Il existe une forte corrélation négative entre matières premières et valeurs technologiques. De ce fait, ces dernières sont devenues une source de fonds pour les investisseurs qui souhaitent réallouer une partie de leurs portefeuilles vers les matières premières ou les titres cycliques. Ark Invest en fait les frais.

Le fonds Ark Innovation ETF est en baisse de 20% en 2021.  Au cours des derniers jours, les remboursements avoisinent le milliard de dollar. En 2020, Cathie Wood avait bénéficié d’un cercle vertueux – les excellentes performances attiraient davantage d’investisseurs vers les fonds Ark Invest, les flux entrants étaient alors réinvestis au prorata dans les titres à l’origine de ces performances, créant un effet positif sur la performance et donc les flux, etc… La sous-performance relative du secteur technologique a-t-il amorcé un cercle vicieux chez Ark Invest?

Dans ces mêmes colonnes, nous avions évoqué début mars (cf. article Allnews.ch «L’effet Cathie Wood») le risque selon lequel Ark Invest pourrait être victime de son propre succès. Nous avions d’ailleurs à l’époque comparé sa situation avec celle du fonds Janus qui avait connu ce type de déboire au début des années 2000.

Cathie Wood semble bien être consciente de la situation. Elle est montée au créneau la semaine dernière, avec une attaque frontale sur les matières premières et valeurs cycliques. Pour Cathie, pas de doutes, la reprise des cycliques et des «commos» est un phénomène éphémère – une très sérieuse correction pourrait bientôt survenir et à terme, les investisseurs n’auront d’autres choix que de revenir vers l’innovation et donc les fonds Ark Invest.

Le phénomène de «ruée» sur les matières premières est beaucoup plus marqué que lors des cycles de reprise précédents.

S’agit-il d’une simple tentative de diversion afin de stopper l’hémorragie des remboursements ou d’une analyse de marché objective?

Matières premières: bientôt la fin de la hausse?

Voici les arguments présentés par Ark Invest lors d’un Webinar le 11 mai.  

Pour Cathie, la hausse des matières premières est due au fait que les entreprises commandent deux ou trois fois plus que nécessaire dans le but de redémarrer leurs chaînes d'approvisionnement après les arrêts liés à la pandémie. Lorsque les commandes se normaliseront, les prix subiront le même effet de normalisation.

De son point de vue, le phénomène de «ruée» sur les matières premières est d’ailleurs beaucoup plus marqué que lors des cycles de reprise précédents, ce qui laisse présager d’une correction plus importante que dans le passé une fois que les carnets de commande se normaliseront.

Un retour à la moyenne similaire est attendu sur l’inflation. Dès lors, l’intérêt de la classe d’actifs en tant que protection contre une hausse de l’inflation pourrait très vite se tarir. A contrario, les investisseurs reviendront rapidement vers les thématiques qui performent le mieux dans un scénario déflationniste – c’est-à-dire les titres de croissance.  

Quels sont les contre-arguments des «bulls»?

Ils tiennent essentiellement en deux mots: le retour de l’inflation et la baisse du dollar américain. Dans un cycle «classique», la hausse des anticipations inflationnistes est rapidement contrée par une anticipation de hausse des taux. Mais le cycle actuel semble différent. Nous faisons face à la plus grande relance fiscale en temps de paix alors même que les taux d’intérêt sont au plus bas et que le Président de la Fed a déjà déclaré à plusieurs reprises qu’aucune hausse de taux n’est à prévoir avant au moins deux ans. Dans un tel scénario, une poussée inflationniste devient plausible, entrainant avec elle une dévaluation du dollar. Ce scénario resterait favorable aux matières premières – d’où l’hypothèse d’un nouveau «super-cycle».

Mais cette analyse est incomplète si on omet de s’intéresser à la Chine, dont l’influence sur les prix des produits de base est grandissante. Depuis maintenant plusieurs mois, nous assistons à une véritable frénésie d’achat de la part des Chinois. Les entités contrôlées par le gouvernement ont commencé à accumuler des matières premières depuis avril 2020. Ils semblent constituer des réserves alors même que les relations avec le Président Biden ne semblent pas être meilleures qu’avec l’administration précédente.

Dans l’hypothèse d’un pur effet «restockage» de la part des chinois, un ralentissement de leurs achats pourraient mettre un terme au cycle haussier des matières premières. Les chiffres de leur balance commerciale au mois d’avril ressemblent d’ailleurs à un avertissement puisque que les importations semblent déjà ralentir. Autre indicateur avancé, celui du cycle de crédit qui semble décélérer. Historiquement, cet agrégat a démontré sa capacité à anticiper les prix des matières premières 12 mois à l’avance (cf. graphique ci-dessous).  

Place à la sélectivité

Et si la vérité se situait entre ces deux scénarios extrêmes?

Au cours des derniers mois, les prix des matières premières se sont envolés de manière quasi-synchrone. Dans les mois qui viennent, il est peu probable qu’un tel scénario se répète. L’offre et la demande varient selon les produits de base considérés. Par conséquent, les performances pourraient diverger.

Par exemple, les métaux industriels pourraient voir leur cycle haussier être prolongé. En effet, la situation d’offre reste déficitaire sur de nombreux métaux alors même que l’essor de la voiture électrique et la transition énergétique créent des besoins structurels au niveau de la demande.  

Dans le secteur énergétique, la crise de 2020 a créé un déséquilibre temporaire entre l’offre et la demande. Mais sur le plus long-terme, la moindre dépendance aux énergies fossiles semble annihiler l’hypothèse d’un nouveau super-cycle sur le pétrole.

Les matières premières agricoles voient leurs prix s’envoler mais des conditions météorologiques exceptionnelles (grand froid aux Etats-Unis, etc.) ont joué un rôle important. Des éléments structurels (démographie, etc.) devraient continuer de peser à terme sur la demande.     

Conclusion

Le succès de Cathie Wood n’est pas dû au hasard. Les marchés lui ont longtemps donné raison. Désormais victime de son succès, certaines des thématiques d’investissement qui lui sont chères semblent survalorisées et c’est donc fort logiquement que la plupart de ses ETFs subissent une correction. Les investisseurs doivent-ils pour autant s’éloigner des thématiques de croissance au bénéfice des matières premières et des valeurs cycliques? Comme mentionné ci-avant, il est possible que le marché devienne bientôt beaucoup plus sélectif.  

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