Même si les effets en sont encore peu visibles, l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne est entré en vigueur en janvier de cette année.
Même si les effets en sont encore peu visibles, l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne est entré en vigueur en janvier de cette année. Pour l’instant, certes, le Royaume-Uni se trouve toujours dans une situation assez floue en raison de la période de transition d’un an; mais le 31 décembre au plus tard, il sera temps de conclure et le pays devra quitter l’Espace économique européen, avec ou sans accord.
Les plus importants sujets de discorde demeurent les droits de pêche et des conditions de concurrence équitables, autrement dit «Level Playing Field» («sur un pied d'égalité» en français), qui donnerait aux entreprises britanniques un accès quasiment illimité au marché intérieur de l’UE. En échange, Bruxelles exige toutefois que le Royaume-Uni s’en tienne à la règle du «zéro dumping»: par exemple, ne pas chercher à faire monter les subventions accordées aux entreprises britanniques ni tirer vers le bas les normes environnementales et sociales, leur fournissant ainsi un avantage concurrentiel. Londres considère néanmoins que ces exigences menacent sa souveraineté nationale et refuse de conclure un accord dans de telles conditions de concurrence. Des divergences existent également en ce qui concerne le type et la portée des sanctions en cas de violation de l’accord.
Nous avons déjà fait un point sur la situation économique du Royaume-Uni dans un précédent commentaire. Mais quelles sont les conséquences du Brexit sur la livre sterling et sur les obligations d’État britanniques ? Comme souvent, le passé vaut la peine d’être étudié afin d’essayer d’en déduire la tendance future de l’évolution des prix. Après le référendum du Brexit, la livre sterling s’est brutalement dépréciée et depuis, son taux de change n’a plus jamais renoué avec ses niveaux précédents. Dans la perspective du léger regain d’optimisme qui pourrait encore résulter de la conclusion d'un accord entre les deux parties, la devise britannique s’est récemment redressée et se négocie actuellement tout juste au-dessus de 1,10 euro. Toutefois, ce niveau est loin de celui qui prévalait avant le Brexit et cette issue semble irréaliste dans un avenir proche. Le même raisonnement s’applique, mais à l’inverse, aux obligations d’État britanniques: pour l’instant, nous pensons que les rendements devraient se maintenir à des niveaux faibles.
Nos anticipations se fondent sur le fait que l'économie britannique a été particulièrement pénalisée par le double choc du Brexit, puis de la pandémie de coronavirus. La hausse du chômage, les baisses de chiffres d’affaires et les suppressions d’emplois, notamment dans le commerce de détail et dans le secteur du divertissement, ont entraîné au Royaume-Uni la plus forte contraction du PIB recensée parmi tous les grands pays industrialisés. D’autre part, la dépendance du pays envers ses relations commerciales avec l’UE est déséquilibrée. Alors que près de la moitié des importations et des exportations de biens et de services du Royaume-Uni ont lieu avec l’UE, cette dernière dispose d'une balance commerciale bien plus diversifiée. Même un accord de Brexit aux conditions les plus avantageuses du point de vue de Londres impliquerait des investissements massifs dans la restructuration des chaînes de production et d’approvisionnement, ainsi que des ajustements par rapport aux nouveaux contrôles aux frontières et aux obligations de documentation. Pour l’économie britannique, cette situation serait un poids supplémentaire qui, conjugué au climat d’incertitude (récemment, un sondage a révélé qu’environ la moitié des PME n’avaient aucune idée de l’impact qu’aurait la fin de la période de transition sur leur activité), exercera de nouvelles pressions baissières sur la livre sterling. À l'inverse, les obligations d’État britanniques devraient conserver leur statut de valeur refuge.
Variation du PIB en% entre le troisième trimestre 2019 et le troisème trimestre 2020
Par ailleurs, la Banque d’Angleterre a déjà réduit de 0,75% ses taux directeurs à l’occasion de deux interventions cette année, les portant à 0,1%, et a récemment renforcé de 150 milliards GBP son programme d’achats d’obligations d’État, qui s'élève désormais à 875 milliards GBP. La demande ainsi créée devrait, d’une part, stabiliser le marché obligataire, et d’autre part contribuer à maintenir les taux à des niveaux faibles, facilitant ainsi le financement public par la dette. En définitive, les investisseurs sont presque assurés qu’en cas de besoin, les obligations d’État dont ils disposent pourront être rachetées par la banque centrale.
La situation économique difficile du Royaume-Uni a de nouveau été confirmée dernièrement par le Chancelier Rishi Sunak. La croissance économique pour 2020 est estimée à -11,3%, soit la plus forte contraction des trois siècles précédents. Le Chancelier ne prévoit pas de redressement total avant la fin 2022 au plus tôt. Pour ne rien arranger, un mois à peine avant la fin de la période de transition du Brexit, aucun accord raisonnable sur les futures relations commerciales avec l’UE n’a encore été trouvé. Des pressions devraient donc continuer de s’exercer sur la livre sterling. La banque centrale fera tout ce qui est en son pouvoir pour atténuer les conséquences négatives de la sortie de l’UE et de la pandémie. Des achats supplémentaires d’obligations ont déjà été annoncés et d'autres mesures sont à l’étude. Jusqu'à présent, cependant, la Banque d’Angleterre s’est opposée à l’idée d’introduire des taux d'intérêt négatifs. Elle devra se montrer attentive à la viabilité du volume considérable de dette publique supplémentaire, dans la mesure où le Chancelier prévoit encore de lever pratiquement 400 milliards GBP d’obligations d’ici la fin de l’exercice budgétaire en cours, qui prend fin le 31 mars 2021. Soit environ 19% du produit national brut.
La croissance économique inférieure à la moyenne, le déficit public abyssal, le flou persistant dans la relation avec l’UE et la politique monétaire encore plus expansionniste sont autant d'éléments qui risquent fort d’entraîner une nouvelle dépréciation de la livre sterling face à l’euro. Alors certes, la Banque d’Angleterre s’est refusée jusqu’à maintenant à introduire des taux négatifs, mais nous pensons que là encore, elle osera briser le tabou et qu’elle emboîtera le pas à la BCE. Ceci créera d’autres pressions baissières sur la livre britannique et causera une dépréciation supplémentaire.
Et il reste encore la possibilité la moins évoquée dans le débat public, qui ne semble plus si improbable dans le contexte de négociations qui durent depuis maintenant plus de quatre ans et de l’échéance du 31 décembre qui approche à grand pas, à savoir que le délai, une nouvelle fois, ne soit pas respecté et que les discussions soient reportées à l’année prochaine. Il s’agirait alors d’une histoire sans fin, ce qui serait probablement le pire scénario de tous, compte tenu des incertitudes persistantes à prévoir. Ceci aurait des conséquences supplémentaires sur une économie britannique déjà bien affaiblie par la crise sanitaire. Il ne reste qu’à espérer que ce scénario soit épargné tant au peuple qu’à l’économie britanniques.