BNS: vers d’autres relèvements de taux

Yves Hulmann

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Thomas Jordan n’anticipe qu’une décélération graduelle de l’inflation en Suisse à 2,6% en moyenne annuelle pour 2023, puis à 2% en 2024.

Immédiatement après avoir communiqué le relèvement de 50 points de base du taux directeur de la BNS, ce qui le porte à 1,5% à compter de vendredi, Thomas Jordan, le président de la direction générale de la Banque nationale suisse (BNS), a annoncé la couleur pour les prochains mois: «Il n’est pas exclu que d’autres relèvements de taux soient nécessaires pour assurer la stabilité des prix à moyen terme», a-t-il déclaré lors de la conférence de presse de jeudi à propos sa décision de politique monétaire, laquelle a toutefois été aussi largement consacrée à l’opération de sauvetage de Credit Suisse annoncée dimanche. Le relèvement de taux d’un demi-point annoncé jeudi a été effectué «pour contrer la pression inflationniste qui s’est encore accrue», a-t-il ajouté. En février, l’inflation en Suisse s’est établie à 3,4%, soit bien au-dessus de l’objectif de stabilité des prix à moins de 2% que se fixe la banque nationale.

Les prix augmentent désormais «sur un large front»

Certes, l’accélération récente résulte surtout du renchérissement de l’électricité, des services touristiques et des denrées alimentaires - mais pas seulement. Selon Thomas Jordan, «les prix augmentent désormais sur un large front». Selon la nouvelle prévision d’inflation conditionnelle de la BNS (qui est basée sur un taux directeur de 1,5% pour toute la période de prévision allant jusqu’à 2025), l’inflation annuelle moyenne devrait graduellement ralentir de 3,2% au premier semestre en pour ne plus atteindre 2,3% au quatrième trimestre de 2023 avant de retomber à 2% à fin 2024. L’inflation moyenne devrait ainsi s’inscrire à 2,6% en 2023, puis à 2% en 2024 ainsi qu’en 2025. Côté croissance, celle-ci devrait rester «modeste» durant le reste de l’année. Dans l’ensemble, le produit intérieur brut (PIB) helvétique devrait progresser d’environ 1% en 2023, prévoit la BNS.

Pas le dernier tour de vis, selon les experts

Comment interpréter les propos de la BNS et que faut-il attendre pour la suite? Aux yeux de Karsten Junius, chef économiste de J. Safra Sarasin, l’institut d’émission a aussi «signalé qu’au moins un autre relèvement de taux est nécessaire alors que les pressions inflationnistes se sont encore renforcées, tandis que les prix ont augmenté sur un large front». La BNS a revu à la hausse ses projections d'inflation pour 2023 et 2024, passant de 2,4% et 1,8% initialement à respectivement 2,6 % et 2,0%. «Au quatrième trimestre 2025, soit à la fin de l'horizon de projection, l'inflation devrait s'établir à 2,1 %, ce qui dépasse toujours la limite supérieure du taux d'inflation cible situé entre 0 à 2%. Il est donc évident qu'un resserrement des politiques est nécessaire. Nous prévoyons une nouvelle hausse des taux de 25 points de base en juin», ajoute Karsten Junius.

Martin Rees, chef pour la Suisse chez BNY Mellon IM, s’attend à une politique de resserrement des taux moins marquée du côté de la BNS comparativement à celle de la Banque centrale européenne (BCE). «Nos économistes s'attendent à ce que la BCE relève encore ses taux de 50 à 75 points de base avant d'atteindre, à la fin de l'année, le niveau maximal du cycle actuel de hausse des taux, tandis que la BNS devrait se limiter à une seule hausse de 25 points de base jusqu'à la mi-2023.» Maxime Botteron, économiste au sein de l’équipe Swiss Macro & Strategy chez Credit Suisse, ne pense pas que la BNS va s’arrêter en si bon chemin: «Nous maintenons notre prévision selon laquelle la BNS relèvera son taux directeur jusqu'à 2,25% au cours de l'année. Nous anticipons un relèvement de 0,5 point de pourcentage en juin, à 2,00 %, puis de 0,25 point de pourcentage en septembre, ce qui le porterait à 2,25%.»

Soutien apporté à Credit Suisse: ce sont «des prêts, pas des cadeaux»

S’agissant du plan de mesures annoncées dimanche par la banque nationale dans le cadre de la reprise de Credit Suisse par UBS, Thomas Jordan, le président de la direction générale de la BNS, a surtout insisté sur l’absence d’alternative pour la banque centrale. «Une faillite du Credit Suisse aurait eu des conséquences graves sur la stabilité financière en Suisse et dans le monde, et sur l’économie suisse. Il aurait été irresponsable de courir un tel risque», a-t-il jugé pour justifier les liquidités supplémentaires sous forme de prêts qui ont été mises à disposition par la BNS.

L’occasion pour Thomas Jordan d’insister sur la nature du soutien de plus de 200 milliards apporté par la BNS. «Les liquidités que nous mettons à disposition sont des prêts, qui sont couverts et donnent lieu à la perception d’intérêts. Ce ne sont pas des cadeaux», a-t-il souligné. Dans le détail, Martin Schleger, vice-président de la direction générale, a rappelé que la BNS a mis à disposition, d’une part, une aide extraordinaire sous forme de liquidités (en anglais «emerging liquidity assistance», ELA) que la banque nationale a accordé contre le transfert de cédules hypothécaires ou la remise de titres en garantie pour un montant maximal de 100 milliards. D’autre part, Credit Suisse peut disposer de liquidités jusqu’à concurrence de 100 milliards de francs dans le cadre d’un mécanisme public de garantie des liquidités («public liquidity backstop», PLB).

Un démantèlement de Credit Suisse aurait-il pu être envisagé? Non, a estimé Thomas Jordan, en réponse à une question des médias. «Une dissolution de Credit Suisse n'aurait pas été une option dans ce cas. Cela aurait affecté aussi bien la place financière suisse que le pays tout entier», a-t-il commenté. Quant à la possibilité de procéder à une nationalisation de Credit Suisse, celle-ci n'entrerait pas en ligne de compte pour le Conseil fédéral, s’est limité à observer Thomas Jordan.
 

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